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Bel-Ami / Милый друг
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Au-dessus de la porte s'etalait, comme un appel, en grandes lettres de feu dessinees par des flammes de gaz: La Vie Francaise. Et les promeneurs passant brusquement dans la clarte que jetaient ces trois mots eclatants apparaissaient tout a coup en pleine lumiere, visibles, clairs et nets comme au milieu du jour, puis rentraient aussitot dans l'ombre.

Forestier poussa cette porte:

– Entre, dit-il.

Duroy entra, monta un escalier luxueux et sale que toute la rue voyait, parvint dans une antichambre, dont les deux garcons de bureau saluerent son camarade, puis s'arreta dans une sorte de salon d'attente, poussiereux et fripe, tendu de faux velours d'un vert pisseux, crible de taches et ronge par endroits, comme si des souris l'eussent grignote.

– Assieds-toi, dit Forestier, je reviens dans cinq minutes.

Et il disparut par une des trois sorties qui donnaient dans ce cabinet.

Une odeur etrange, particuliere, inexprimable, l'odeur des salles de redaction, flottait dans ce lieu. Duroy demeurait immobile, un peu intimide, surpris surtout. De temps en temps des hommes passaient devant lui, en courant, entres par une porte et partis par l'autre avant qu'il eut le temps de les regarder.

C'etaient tantot des jeunes gens, tres jeunes, l'air affaire, et tenant a la main une feuille de papier qui palpitait au vent de leur course; tantot des ouvriers compositeurs, dont la blouse de toile tachee d'encre laissait voir un col de chemise bien blanc et un pantalon de drap pareil a celui des gens du monde; et ils portaient avec precaution des bandes de papier imprime, des epreuves fraiches, tout humides. Quelquefois un petit monsieur entrait, vetu avec une elegance trop apparente, la taille trop serree dans la redingote, la jambe trop moulee sous l'etoffe, le pied etreint dans un soulier trop pointu, quelque reporter mondain apportant les echos de la soiree.

D'autres encore arrivaient, graves, importants, coiffes de hauts chapeaux a bords plats, comme si cette forme les eut distingues du reste des hommes.

Forestier reparut tenant par le bras un grand garcon maigre, de trente a quarante ans, en habit noir et en cravate blanche, tres brun, la moustache roulee en pointes aigues, et qui avait l'air insolent et content de lui.

Forestier lui dit:

– Adieu, cher maitre.

L'autre lui serra la main:

– Au revoir, mon cher.

Et il descendit l'escalier en sifflotant, la canne sous le bras.

Duroy demanda:

– Qui est-ce?

– C'est Jacques Rival, tu sais, le fameux chroniqueur, le duelliste. Il vient de corriger ses epreuves. Garin, Montel et lui sont les trois premiers chroniqueurs d'esprit et d'actualite que nous ayons a Paris. Il gagne ici trente mille francs par an pour deux articles par semaine.

Et comme ils s'en allaient, ils rencontrerent un petit homme a longs cheveux, gros, d'aspect malpropre, qui montait les marches en soufflant.

Forestier salua tres bas:

– Norbert de Varenne, dit-il, le poete, l'auteur des Soleils morts, encore un homme dans les grands prix. Chaque conte qu'il nous donne coute trois cents francs, et les plus longs n'ont pas deux cents lignes. Mais entrons au Napolitain, je commence a crever de soif.

Des qu'ils furent assis devant la table du cafe, Forestier cria:

«Deux bocks», et il avala le sien d'un seul trait, tandis que Duroy buvait la biere a lentes gorgees, la savourant et la degustant, comme une chose precieuse et rare.

Son compagnon se taisait, semblait reflechir, puis tout a coup:

– Pourquoi n'essayerais-tu pas du journalisme?

L'autre, surpris, le regarda; puis il dit:

– Mais… c'est que… je n'ai jamais rien ecrit.

– Bah! on essaye, on commence. Moi, je pourrais t'employer a aller me chercher des renseignements, a faire des demarches et des visites. Tu aurais, au debut, deux cent cinquante francs et tes voitures payees. Veux-tu que j'en parle au directeur?

– Mais certainement que je veux bien.

– Alors, fais une chose, viens diner chez moi demain; j'ai cinq ou six personnes seulement, le patron, M. Walter, sa femme, Jacques Rival et Norbert de Varenne, que tu viens de voir, plus une amie de Mme Forestier. Est-ce entendu?

Duroy hesitait, rougissant, perplexe. Il murmura enfin:

– C'est que… je n'ai pas de tenue convenable.

Forestier fut stupefait:

– Tu n'as pas d'habit? Bigre! en voila une chose indispensable pourtant. A Paris, vois-tu, il vaudrait mieux n'avoir pas de lit que pas d'habit.

Puis, tout a coup, fouillant dans la poche de son gilet, il en tira une pincee d'or, prit deux louis, les posa devant son ancien camarade, et, d'un ton cordial et familier:

– Tu me rendras ca quand tu pourras. Loue ou achete au mois, en donnant un acompte, les vetements qu'il te faut; enfin arrange-toi, mais viens diner a la maison, demain, sept heures et demie, 17, rue Fontaine.

Duroy, trouble, ramassait l'argent en balbutiant:

– Tu es trop aimable, je te remercie bien, sois certain que je n'oublierai pas…

L'autre l'interrompit:

– Allons, c'est bon. Encore un bock, n'est-ce pas?

– Et il cria:

«Garcon, deux bocks!»

Puis, quand ils les eurent bus, le journaliste demanda:

– Veux-tu flaner un peu, pendant une heure?

– Mais certainement.

Et ils se remirent en marche vers la Madeleine.

– Qu'est-ce que nous ferions bien? demanda Forestier. On pretend qu'a Paris un flaneur peut toujours s'occuper; ca n'est pas vrai. Moi, quand je veux flaner, le soir, je ne sais jamais ou aller. Un tour au Bois n'est amusant qu'avec une femme, et on n'en a pas toujours une sous la main; les cafes-concerts peuvent distraire mon pharmacien et son epouse, mais pas moi. Alors, quoi faire? Rien. Il devrait y avoir ici un jardin d'ete, comme le parc Monceau, ouvert la nuit, ou on entendrait de la tres bonne musique en buvant des choses fraiches sous les arbres. Ce ne serait pas un lieu de plaisir, mais un lieu de flane; et on payerait cher pour entrer, afin d'attirer les jolies dames. On pourrait marcher dans des allees bien sablees, eclairees a la lumiere electrique, et s'asseoir quand on voudrait pour ecouter la musique de pres ou de loin. Nous avons eu a peu pres ca autrefois chez Musard, mais avec un gout de bastringue et trop d'airs de danse, pas assez d'etendue, pas assez d'ombre, pas assez de sombre. Il faudrait un tres beau jardin, tres vaste. Ce serait charmant. Ou veux-tu aller?

Duroy, perplexe, ne savait que dire; enfin, il se decida:

– Je ne connais pas les Folies-Bergere. J'y ferais volontiers un tour.

Son compagnon s'ecria:

– Les Folies-Bergere, bigre? nous y cuirons comme dans une rotissoire. Enfin, soit, c'est toujours drole.

Et ils pivoterent sur leurs talons pour gagner la rue du Faubourg-Montmartre.

La facade illuminee de l'etablissement jetait une grande lueur dans les quatre rues qui se joignent devant elle. Une file de fiacres attendait la sortie.

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