Bel-Ami / Милый друг
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«Je ne la verrais pas», pensa-t-il.
Il faisait froid, les ruisseaux geles gardaient des empatements de glace. Les trottoirs etaient secs et gris sous la lueur du gaz.
Quand le jeune homme entra chez lui, il songea: «Il faut que je change de logement. Cela ne me suffit plus maintenant.» Il se sentait nerveux et gai, capable de courir sur les toits, et il repetait tout haut, en allant de son lit a la fenetre: «C'est la fortune qui arrive! c'est la fortune! Il faudra que j'ecrive a papa.»
De temps en temps il lui ecrivait, a son pere; et la lettre apportait toujours une joie vive dans le petit cabaret normand, au bord de la route, au haut de la grande cote d'ou l'on domine Rouen et la large vallee de la Seine.
De temps en temps aussi il recevait une enveloppe bleue dont l'adresse etait tracee d'une grosse ecriture tremblee, et il lisait infailliblement les memes lignes au debut de la lettre paternelle:
«Mon cher fils, la presente est pour te dire que nous allons bien, ta mere et moi. Pas grand'chose de nouveau dans le pays. Je t'apprendrai cependant…»
Et il gardait au coeur un interet pour les choses du village, pour les nouvelles des voisins et pour l'etat des terres et des recoltes.
Il se repetait, en nouant sa cravate blanche devant sa petite glace:
Il pensa encore: «Il faudra pourtant que je finisse par aller les voir.» Mais comme sa toilette etait terminee, il souffla sa lumiere et descendit.
Le long du boulevard exterieur des filles l'accosterent. Il leur repondait en degageant son bras: «Fichez-moi donc la paix!» avec un dedain violent, comme si elles l'eussent insulte, meconnu… Pour qui le prenaient-elles? Ces rouleuses-la ne savaient donc point distinguer les hommes? La sensation de son habit noir endosse pour aller diner chez des gens tres riches, tres connus, tres importants, lui donnait le sentiment d'une personnalite nouvelle, la conscience d'etre devenu un autre homme, un homme du monde, du vrai monde.
Il entra avec assurance dans l'antichambre eclairee par les hautes torcheres de bronze et il remit, d'un geste naturel, sa canne et son pardessus aux deux valets qui s'etaient approches de lui.
Tous les salons etaient illumines. Mme Walter recevait dans le second, le plus grand. Elle l'accueillit avec un sourire charmant, et il serra la main des deux hommes arrives avant lui, M. Firmin et M. Laroche-Mathieu, deputes, redacteurs anonymes de la Vie Francaise. M. Laroche-Mathieu avait dans le journal une autorite speciale provenant d'une grande influence sur la Chambre. Personne ne doutait qu'il ne fut ministre un jour.
Puis arriverent les Forestier, la femme en rose, et ravissante. Duroy fut stupefait de la voir intime avec les deux representants du pays. Elle causa tout bas, au coin de la cheminee, pendant plus de cinq minutes, avec M. Laroche-Mathieu. Charles paraissait extenue. Il avait maigri beaucoup depuis un mois, et il toussait sans cesse en repetant:
Norbert de Varenne et Jacques Rival apparurent ensemble. Puis une porte s'etant ouverte au fond de l'appartement, M. Walter entra avec deux grandes jeunes filles de seize a dix-huit ans, une laide et l'autre jolie.
Duroy savait pourtant que le patron etait pere de famille, mais il fut saisi d'etonnement. Il n'avait jamais songe aux filles de son directeur que comme on songe aux pays lointains qu'on ne verra jamais. Et puis il se les etait figurees toutes petites et il voyait des femmes. Il en ressentait le leger trouble moral que produit un changement a vue.
Elles lui tendirent la main, l'une apres l'autre, apres la presentation, et elles allerent s'asseoir a une petite table qui leur etait sans doute reservee, ou elles se mirent a remuer un tas de bobines de soie dans une bannette.
On attendait encore quelqu'un, et on demeurait silencieux, dans cette sorte de gene qui precede les diners entre gens qui ne se trouvent pas dans la meme atmosphere d'esprit, apres les occupations differentes de leur journee.
Duroy ayant leve par desoeuvrement les yeux vers le mur, M. Walter lui dit, de loin, avec un desir visible de faire valoir son bien:
– Vous regardez mes tableaux?
Le mes sonna.
– Je vais vous les montrer. Et il prit une lampe pour qu'on put distinguer tous les details.
– Ici les paysages, dit-il.
Au centre du panneau on voyait une grande toile de Guillemet, une plage de Normandie sous un ciel d'orage. Au-dessous, un bois de Harpignies; puis une plaine d'Algerie, par Guillaumet, avec un chameau a l'horizon, un grand chameau sur ses hautes jambes, pareil a un etrange monument.
M. Walter passa au mur voisin et annonca, avec un ton serieux, comme un maitre de ceremonies:
– La grande peinture.
C'etaient quatre toiles: Une visite d'hopital, par Gervex; Une Moissonneuse, par Bastien-Lepage; Une Veuve, par Bouguereau, et Une Execution, par Jean-Paul Laurens. Cette derniere oeuvre representait un pretre vendeen fusille contre le mur de son eglise par un detachement de Bleus.
Un sourire passa sur la figure grave du patron en indiquant le panneau suivant:
– Ici les fantaisistes.
On apercevait d'abord une petite toile de Jean Beraud, intitulee: Le haut et le bas. C'etait une jolie Parisienne montant l'escalier d'un tramway en marche. Sa tete apparaissait au niveau de l'imperiale, et les messieurs assis sur les bancs decouvraient, avec une satisfaction avide, le jeune visage qui venait vers eux, tandis que les hommes debout sur la plate-forme du bas consideraient les jambes de la jeune femme avec une expression differente de depit et de convoitise.