Bel-Ami / Милый друг
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Alors il eut peur de son lit, et afin de ne plus le voir il ouvrit la fenetre pour regarder dehors.
Un froid glacial lui mordit la chair de la tete aux pieds, et il se recula, haletant.
La pensee lui vint de faire du feu. Il l'attisa lentement, sans se retourner. Ses mains tremblaient un peu d'un fremissement nerveux quand elles touchaient les objets. Sa tete s'egarait, ses pensees tournoyantes, hachees, devenaient fuyantes, douloureuses; une ivresse envahissait son esprit comme s'il eut bu.
Et sans cesse il se demandait: «Que vais-je faire? que vais-je devenir?»
Il se remit a marcher, repetant, d'une facon continue, machinale:
Puis il se dit: «Je vais ecrire a mes parents, en cas d'accident.»
Il s'assit de nouveau, prit un cahier de papier a lettres, traca: «Mon cher papa, ma chere maman…»
Puis il jugea ces termes trop familiers dans une circonstance aussi tragique. Il dechira la premiere feuille et recommenca: «Mon cher pere, ma chere mere; je vais me battre au point du jour, et comme il peut arriver que…»
Il n'osa pas ecrire le reste et se releva d'une secousse.
Cette pensee l'ecrasait maintenant. «Il allait se battre en duel. Il ne pouvait plus eviter cela. Que se passait-il donc en lui? Il voulait se battre; il avait cette intention et cette resolution fermement arretees; et il lui semblait, malgre tout l'effort de sa volonte, qu'il ne pourrait meme pas conserver la force necessaire pour aller jusqu'au lieu de la rencontre.»
De temps en temps ses dents s'entrechoquaient dans sa bouche avec un petit bruit sec; et il se demandait: «Mon adversaire s'est-il deja battu? a-t-il frequente les tirs? est-il connu? est-il classe?» Il n'avait jamais entendu prononcer ce nom. Et cependant si cet homme n'etait pas un tireur au pistolet remarquable, il n'aurait point accepte ainsi, sans hesitation, sans discussion, cette arme dangereuse.
Alors Duroy se figurait leur rencontre, son attitude a lui et la tenue de son ennemi. Il se fatiguait la pensee a imaginer les moindres details du combat; et tout a coup il voyait en face de lui ce petit trou noir et profond du canon dont allait sortir une balle.
Et il fut pris brusquement d'une crise de desespoir epouvantable. Tout son corps vibrait, parcouru de tressaillements saccades. Il serrait les dents pour ne pas crier, avec un besoin fou de se rouler par terre, de dechirer quelque chose, de mordre. Mais il apercut un verre sur sa cheminee et il se rappela qu'il possedait dans son armoire un litre d'eau-de-vie presque plein; car il avait conserve l'habitude militaire de tuer le ver chaque matin.
Il saisit la bouteille et but, a meme le goulot, a longues gorgees, avec avidite. Et il la reposa seulement lorsque le souffle lui manqua. Elle etait videe d'un tiers.
Une chaleur pareille a une flamme lui brula bientot l'estomac, se repandit dans ses membres, raffermit son ame en l'etourdissant.
Il se dit: «Je tiens le moyen.» Et comme il se sentait maintenant la peau brulante il rouvrit la fenetre.
Le jour naissait, calme et glacial. La-haut, les etoiles semblaient mourir au fond du firmament eclairci, et dans la tranchee profonde du chemin de fer les signaux verts, rouges et blancs palissaient.
Les premieres locomotives sortaient du garage et s'en venaient en sifflant chercher les premiers trains. D'autres, dans le lointain, jetaient des appels aigus et repetes, leurs cris de reveil, comme font les coqs dans les champs.
Duroy pensait:
Et il se mit a sa toilette. Il eut encore, en se rasant, une seconde de defaillance en songeant que c'etait peut-etre la derniere fois qu'il regardait son visage.
Mais il but une nouvelle gorgee d'eau-de-vie, et acheva de s'habiller.
L'heure qui suivit fut difficile a passer. Il marchait de long en large en s'efforcant en effet d'immobiliser son ame. Lorsqu'il entendit frapper a sa porte, il faillit s'abattre sur le dos, tant la commotion fut violente. C'etaient ses temoins. Deja!
Ils etaient enveloppes de fourrures. Rival declara, apres avoir serre la main de son client:
– Il fait un froid de Siberie.
Puis il demanda:
– Ca va bien?
– Oui, tres bien.
– On est calme?
– Tres calme.
– Allons, ca ira. Avez-vous bu et mange quelque chose?
– Oui, je n'ai besoin de rien.
Boisrenard, pour la circonstance, portait une decoration etrangere, verte et jaune, que Duroy ne lui avait jamais vue.
Ils descendirent. Un monsieur les attendait dans le landau. Rival nomma:
– Le docteur Le Brument.
Duroy lui serra la main en balbutiant:
– Je vous remercie.
Puis il voulut prendre place sur la banquette du devant et il s'assit sur quelque chose de dur qui le fit relever comme si un ressort l'eut redresse. C'etait la boite aux pistolets.
Rival repetait:
– Non! Au fond le combattant et le medecin, au fond!
Duroy finit par comprendre et il s'affaissa a cote du docteur.
Les deux temoins monterent a leur tour et le cocher partit. Il savait ou on devait aller.
Mais la boite aux pistolets genait tout le monde, surtout Duroy, qui eut prefere ne pas la voir. On essaya de la placer derriere les dos, elle cassait les reins; puis on la mit debout entre Rival et Boisrenard, elle tombait tout le temps. On finit par la glisser sous les pieds.
La conversation languissait, bien que le medecin racontat des anecdotes. Rival seul lui repondait. Duroy eut voulu prouver de la presence d'esprit, mais il avait peur de perdre le fil de ses idees, de montrer le trouble de son ame; et il etait hante par la crainte torturante de se mettre a trembler.
La voiture fut bientot en pleine campagne. Il etait neuf heures environ. C'etait une de ces rudes matinees d'hiver ou toute la nature est luisante, cassante et dure comme du cristal. Les arbres, vetus de givre, semblent avoir sue de la glace; la terre sonne sous les pas; l'air sec porte au loin les moindres bruits: le ciel bleu parait brillant a la facon des miroirs, et le soleil passe dans l'espace, eclatant et froid lui-meme, jetant sur la creation gelee des rayons qui n'echauffent rien.