Bel-Ami / Милый друг
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Mais la grosse brune qui s'etait appuyee tout a l'heure derriere la loge des deux camarades reparut, marchant arrogamment, le bras passe sous celui de la grosse blonde. Cela faisait vraiment une belle paire de femmes, bien assorties.
Elle sourit en apercevant Duroy, comme si leurs yeux se fussent dit deja des choses intimes et secretes; et, prenant une chaise, elle s'assit tranquillement en face de lui et fit asseoir son amie, puis elle commanda d'une voix claire:
– Garcon, deux grenadines!
Forestier, surpris, prononca:
– Tu ne te genes pas, toi!
Elle repondit:
– C'est ton ami qui me seduit. C'est vraiment un joli garcon. Je crois qu'il me ferait faire des folies!
Duroy, intimide, ne trouvait rien a dire. Il retroussait sa moustache frisee en souriant d'une facon niaise. Le garcon apporta les sirops, que les femmes burent d'un seul trait; puis elles se leverent, et la brune, avec un petit salut amical de la tete et un leger coup d'eventail sur le bras, dit a Duroy:
– Merci, mon chat. Tu n'as pas la parole facile.
Et elles partirent en balancant leur croupe.
Alors Forestier se mit a rire:
– Dis donc, mon vieux, sais-tu que tu as vraiment du succes aupres des femmes? Il faut soigner ca. Ca peut te mener loin.
Il se tut une seconde, puis reprit, avec ce ton reveur des gens qui pensent tout haut:
– C'est encore par elles qu'on arrive le plus vite.
Et comme Duroy souriait toujours sans repondre, il demanda:
– Est-ce que tu restes encore? Moi, je vais rentrer, j'en ai assez.
L'autre murmura:
– Oui, je reste encore un peu. Il n'est pas tard.
Forestier se leva:
– Eh bien! adieu, alors. A demain. N'oublie pas? 17, rue Fontaine, sept heures et demie.
– C'est entendu; a demain. Merci.
Ils se serrerent la main, et le journaliste s'eloigna.
Des qu'il eut disparu, Duroy se sentit libre, et de nouveau il tata joyeusement les deux pieces d'or dans sa poche; puis, se levant, il se mit a parcourir la foule qu'il fouillait de l'oeil.
Il les apercut bientot, les deux femmes, la blonde et la brune, qui voyageaient toujours de leur allure fiere de mendiantes, a travers la cohue des hommes.
Il alla droit sur elles, et quand il fut tout pres, il n'osa plus.
La brune lui dit:
– As-tu retrouve ta langue?
Il balbutia:
Ils restaient debout tous les trois, arretes, arretant le mouvement du promenoir, formant un remous autour d'eux.
Alors, tout a coup elle demanda:
– Viens-tu chez moi?
Et lui, fremissant de convoitise, repondit brutalement:
– Oui, mais je n'ai qu'un louis dans ma poche.
Elle sourit avec indifference:
– Ca ne fait rien.
Et elle prit son bras en signe de possession.
Comme ils sortaient, il songeait qu'avec les autres vingt francs il pourrait facilement se procurer, en location, un costume de soiree pour le lendemain.
II
Monsieur Forestier, s'il vous plait?
– Au troisieme, la porte a gauche.
Le concierge avait repondu cela d'une voix aimable ou apparaissait une consideration pour son locataire. Et Georges Duroy monta l'escalier.
Il etait un peu gene, intimide, mal a l'aise. Il portait un habit pour la premiere fois de sa vie, et l'ensemble de sa toilette l'inquietait. Il la sentait defectueuse en tout, par les bottines non vernies, mais assez fines cependant, car il avait la coquetterie du pied, par la chemise de quatre francs cinquante achetee le matin meme au Louvre, et dont le plastron trop mince se cassait deja. Ses autres chemises, celles de tous les jours, ayant des avaries plus ou moins graves, il n'avait pu utiliser meme la moins abimee.
Son pantalon, un peu trop large, dessinait mal la jambe, semblait s'enrouler autour du mollet, avait cette apparence fripee que prennent les vetements d'occasion sur les membres qu'ils recouvrent par aventure. Seul, l'habit n'allait pas mal, s'etant trouve a peu pres juste pour la taille.
Il montait lentement les marches, le coeur battant, l'esprit anxieux, harcele surtout par la crainte d'etre ridicule; et, soudain, il apercut en face de lui un monsieur en grande toilette qui le regardait. Ils se trouvaient si pres l'un de l'autre que Duroy fit un mouvement en arriere, puis il demeura stupefait: c'etait lui-meme, reflete par une haute glace en pied qui formait sur le palier du premier une longue perspective de galerie. Un elan de joie le fit tressaillir, tant il se jugea mieux qu'il n'aurait cru.
N'ayant chez lui que son petit miroir a barbe, il n'avait pu se contempler entierement, et comme il n'y voyait que fort mal les diverses parties de sa toilette improvisee, il s'exagerait les imperfections, s'affolait a l'idee d'etre grotesque.
Mais voila qu'en s'apercevant brusquement dans la glace, il ne s'etait pas meme reconnu; il s'etait pris pour un autre, pour un homme du monde, qu'il avait trouve fort bien, fort chic, au premier coup d'oeil.
Et maintenant, en se regardant avec soin, il reconnaissait que, vraiment, l'ensemble etait satisfaisant.
Alors il s'etudia comme font les acteurs pour apprendre leurs roles. Il se sourit, se tendit la main, fit des gestes, exprima des sentiments: l'etonnement, le plaisir, l'approbation; et il chercha les degres du sourire et les intentions de l'oeil pour se montrer galant aupres des dames, leur faire comprendre qu'on les admire et qu'on les desire.
Une porte s'ouvrit dans l'escalier. Il eut peur d'etre surpris et il se mit a monter fort vite, avec la crainte d'avoir ete vu, minaudant ainsi, par quelque invite de son ami.