Charles Perrault. Peau-d'Ane
Шрифт:
9. D’apr`es ce passage l’amour c’est… . Faites le devoir !
Il sortit avec peine de cette all'ee sombre et obscure, mais ce fut pour s’informer qui 'etait la personne qui demeurait dans cette petite chambre. On lui r'epondit que c’'etait une souillon, qu’on nommait Peau-d’^Ane, `a cause de la peau dont elle s’habillait ; et qu’elle 'etait si sale et si crasseuse, que personne ne la regardait, ni ne lui parlait ; et qu’on ne l’avait prise que par piti'e, pour garder les moutons et les dindons.
Le prince, peu satisfait de cet 'eclaircissement, vit bien que ces gens grossiers n’en savaient pas davantage, et qu’il 'etait inutile de les questionner. Il revint au palais du roi son p`ere, plus amoureux qu’on ne peut dire, ayant continuellement devant les yeux la belle image de cette divinit'e qu’il avait vue par le trou de la serrure. Il se repentit de n’avoir pas heurt'e `a la porte, et se promit bien de n’y pas manquer une autre fois. Mais l’agitation de son sang, caus'ee par l’ardeur de son amour, lui donna, dans la m^eme nuit, une fi`evre si terrible, que bient^ot il fut r'eduit `a l’extr'emit'e. La reine sa m`ere, qui n’avait que lui d’enfant, se d'esesp'erait de ce que tous les rem`edes 'etaient inutiles. Elle promettait en vain les plus grandes r'ecompenses aux m'edecins ; ils y employaient tout leur art, mais rien ne gu'erissait le prince.
Enfin ils devin`erent qu’un mortel chagrin causait tout ce ravage ; ils en avertirent la reine, qui, toute pleine de tendresse pour son fils, vint le conjurer de dire la cause de son mal ; et que, quand il s’agirait de lui c'eder la couronne, le roi son p`ere descendrait de son tr^one sans regret, pour l’y faire monter ; que s’il d'esirait quelque princesse, quand m^eme on serait en guerre avec le roi son p`ere, et qu’on e^ut de justes sujets pour s’en plaindre, on sacrifierait tout pour obtenir ce qu’il d'esirait ; mais qu’elle le conjurait de ne pas se laisser mourir, puisque de sa vie d'ependait la leur.
10. Intitulez ce fragment et faites le devoir !
La reine n’acheva pas ce touchant discours sans mouiller le visage du prince d’un torrent de larmes.
« Madame, lui dit enfin le prince avec une voix tr`es faible, je ne suis pas assez d'enatur'e pour d'esirer la couronne de mon p`ere ; plaise au ciel qu’il vive de longues ann'ees, et qu’il veuille bien que je sois longtemps le plus fid`ele et le plus respectueux de ses sujets ! Quant aux princesses que vous m’offrez, je n’ai point encore pens'e `a me marier ; et vous pensez bien que, soumis comme je le suis `a vos volont'es, je vous ob'eirai toujours, quoi qu’il m’en co^ute. – Ah ! mon fils, reprit la reine, rien ne me co^utera pour te sauver la vie ; mais, mon cher fils, sauve la mienne et celle du roi ton p`ere, en me d'eclarant ce que tu d'esires, et sois bien assur'e qu’il te sera accord'e. – Eh bien ! madame, dit-il, puisqu’il faut vous d'eclarer ma pens'ee, je vais vous ob'eir ; je me ferais un crime de mettre en danger deux ^etres qui me sont si chers. Oui, ma m`ere, je d'esire que Peau-d’^Ane me fasse un g^ateau, et que, d`es qu’il sera fait, on me l’apporte.
On courut `a la m'etairie, et l’on fit venir Peau-d’^Ane, pour lui ordonner de faire de son mieux un g^ateau pour le prince.
11. Intitulez ce fragment et faites le devoir !
Quelques auteurs ont assur'e que Peau-d’^Ane, au moment que ce prince avait mis l’oeil `a la serrure, les siens l’avaient apercu : et puis, que regardant par sa petite fen^etre, elle avait vu ce prince si jeune, si beau et si bien fait, que l’id'ee lui en 'etait rest'ee, et que souvent ce souvenir lui avait co^ut'e quelques soupirs. Quoi qu’il en soit, Peau-d’^Ane l’ayant vu, ou en ayant beaucoup entendu parler avec 'eloge, ravie de pouvoir trouver un moyen d’^etre connue, s’enferma dans sa chambre, jeta sa vilaine peau, se d'ecrassa le visage et les mains, se coiffa de ses blonds cheveux, mit un beau corset d’argent brillant, un jupon pareil, et se mit `a faire le g^ateau tant d'esir'e : elle prit de la plus pure farine, des oeufs et du beurre bien frais. En travaillant, soit de dessein ou autrement, une bague qu’elle avait au doigt tomba dans la p^ate, s’y m^ela ; et d`es que le g^ateau fut cuit, s’affublant de son horrible peau, elle donna le g^ateau `a l’officier, `a qui elle demanda des nouvelles du prince ; mais cet homme, ne daignant pas lui r'epondre, courut chez le prince lui porter ce g^ateau.
Le prince le prit avidement des mains de cet homme, et le mangea avec une telle vivacit'e, que les m'edecins, qui 'etaient pr'esents, ne manqu`erent pas de dire que cette fureur n’'etait pas un bon signe : effectivement, le prince pensa s’'etrangler par la bague qu’il trouva dans un des morceaux du g^ateau ; mais il la tira adroitement de sa bouche : et son ardeur `a d'evorer ce g^ateau se ralentit, en examinant cette fine 'emeraude, mont'ee sur un jonc d’or, dont le cercle 'etait si 'etroit, qu’il jugea ne pouvoir servir qu’au plus joli doigt du monde.
12. Lisez ce passage et dites si vous savez d'ej`a comment gu'erira le prince. Faites le devoir !
Il baisa mille fois cette bague, la mit sous son chevet, et l’en tirait `a tout moment, quand il croyait n’^etre vu de personne. Le tourment qu’il se donna, pour imaginer comment il pourrait voir celle `a qui cette bague pouvait aller ; et n’osant croire, s’il demandait Peau-d’^Ane, qui avait fait ce g^ateau qu’il avait demand'e, qu’on lui accord^at de la faire venir, n’osant non plus dire ce qu’il avait vu par le trou de la serrure, de crainte qu’on se moqu^at de lui, et qu’on le pr^it pour un visionnaire, toutes ces id'ees le tourmentant `a la fois, la fi`evre le reprit fortement ; et les m'edecins, ne sachant plus que faire, d'eclar`erent `a la reine que le prince 'etait malade d’amour.
La reine accourut chez son fils, avec le roi, qui se d'esolait :
Le roi et la reine prirent la bague, l’examin`erent curieusement, et jug`erent, ainsi que le prince, que cette bague ne pouvait aller qu’`a quelque fille de bonne maison. Alors le roi ayant embrass'e son fils, en le conjurant de gu'erir, sortit, fit sonner les tambours, les fifres et les trompettes par toute la ville, et crier par ses h'erauts que l’on n’avait qu’`a venir au palais essayer une bague, et que celle `a qui elle irait juste 'epouserait l’h'eritier du tr^one.
13. Intitulez ce fragment et faites le devoir !
Les princesses d’abord arriv`erent, puis les duchesses, les marquises et les baronnes ; mais elles eurent beau toutes s’amenuiser les doigts, aucune ne put mettre la bague. Il en fallut venir aux grisettes, qui, toutes jolies qu’elles 'etaient, avaient toutes les doigts trop gros. Le prince, qui se portait mieux, faisait lui-m^eme l’essai. Enfin, on en vint aux filles de chambre ; elles ne r'eussirent pas mieux. Il n’y avait plus personne qui n’e^ut essay'e cette bague sans succ`es, lorsque le prince demanda les cuisini`eres, les marmitonnes, les gardeuses de moutons : on amena tout cela ; mais leurs gros doigts rouges et courts ne purent seulement aller par-del`a l’ongle.