L'Arrestation de Fant?mas (Арест Фантомаса)
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— Ah ca ! songea le policier, qui diable est ce bonhomme ? et pourquoi m’affirme-t-il qu’OEil-de-Boeuf est innocent et qu’il appartient aux agents de la S^uret'e d’arr^eter les coupables ? Quel est ce bossu ?
Il fallut peu de temps `a Juve pour r'efl'echir. Il lui en fallut moins encore pour se d'ecider `a l’action.
Brusquement, le policier se leva, quitta lui aussi le pr'etoire o`u s’achevaient maintenant les d'epositions des t'emoins venant confirmer les agissements de la bande des naufrageurs. Juve s’'elanca hors du tribunal, dans l’intention de rejoindre le bossu.
Le policier parvint sur le perron du Palais de Justice, trois minutes peut-^etre apr`es que son bizarre interlocuteur devait en avoir descendu les degr'es. Or, Juve `a peine en haut des marches, apercut le bossu sur les traces duquel il se pr'ecipitait – un bossu d’aspect mis'erable, un pauvre diable – qui avait d'ej`a eu le temps de traverser la place. Juve le vit monter dans une superbe voiture automobile, dont le moteur tr'epida sous la conduite d’un m'ecanicien d'ej`a en train d’en manoeuvrer les leviers.
— Qu’est-ce que tout cela veut dire ? se demanda Juve.
Le policier s’'elanca, d'esireux de rejoindre l’infirme myst'erieux. Or, Juve n’avait pas travers'e la moiti'e de la place qu’il dut s’arr^eter immobile, bl^eme d’effroi, tremblant de rage. Au moment ou l’automobile d'emarrait, Juve avait vu le bossu se redresser, arracher sa veste, enlever ce qui lui tenait lieu de bosse, l’homme, maintenant reprenait toute sa taille, et d’une voix railleuse, s’adressant au policier fig'e sur place, il cria :
— Juve, rappelez-vous de ce que je vous ai dit : OEil-de-Boeuf est innocent. Votre devoir est de le sauver, votre devoir, Juve.
Juve avait compris. Tandis que l’automobile s’enfuyait dans un nuage de poussi`ere, Juve hurlait, tendant le poing :
— Fant^omas, mal'ediction, c’est Fant^omas.
***
Juve vivait un v'eritable cauchemar. Il lui semblait que tout tournait autour de lui, que les arbres de la petite place, la boutique de l’'epicier qui en faisait le coin, le bureau de tabac qui 'etait un peu plus loin, le Palais de Justice, m^eme, dansaient une valse endiabl'ee.
Ainsi, il avait encore manqu'e l’arrestation de Fant^omas ?
Et le Roi du Crime l’avait nargu'e :
Eh, parbleu, Juve le savait bien qu’OEil-de-Boeuf 'etait innocent. Il ne l’ignorait pas, que son devoir 'etait de sauver l’apache injustement d'etenu pour un crime qu’il n’avait pas commis. Mais le moyen de le sauver ? le moyen d’arracher sa t^ete aux juges aveugl'es par les co"incidences et probablement d'ej`a d'ecid'es `a rendre un verdict impitoyable ?
Juve demeura longtemps debout, immobile, appuy'e contre un arbre sur la petite place tranquille o`u s’'el`eve le Palais de Justice de Quimper.
Puis `a la fin, brusquement, Juve sortit de son an'eantissement :
— `A la fin, c’est trop b^ete, se dit-il, je suis encore une fois victime d’un de ces scrupules stupides qui suffisent `a paralyser l’homme le plus 'energique. 'Evidemment, c’est vrai : OEil-de-Boeuf n’a pas m'erit'e la mort cette fois, mais il l’a m'erit'ee vingt fois pour tous ses crimes pass'es. Tant pis s’il est condamn'e `a mort. Je n’aurai pas de regrets `a avoir. D’abord, parce que je n’y puis rien, et ensuite, parce que cette condamnation ne sera jamais, apr`es tout, qu’un effet de la Justice Immanente.
Et Juve rentra dans la salle d’audience au moment pr'ecis o`u le pr'esident de la Cour d’Assises se levait pour prononcer le verdict.
Le policier qui venait de se tenir de beaux raisonnements, pour se prouver que le sort d’OEil-de-Boeuf lui importait peu, ne put s’emp^echer de fr'emir, aussi bl^eme que l’accus'e, tandis que le pr'esident lisait, d’une voix monotone et indistincte, tous les consid'erants de l’arr^et et qu’il terminait soudain par la phrase fatale :
« En cons'equence, la Cour condamne l’accus'e OEil-de-Boeuf `a avoir la t^ete tranch'ee en place publique… »
OEil-de-Boeuf s’'ecroula sur son banc.
Juve se mordit les l`evres jusqu’au sang.
Il semblait, en v'erit'e, que le grand policier, de m^eme que le condamn'e, e^ut `a subir la rigueur des lois.
21 – UN BOURGEOIS TRANQUILLE
Derri`ere le viaduc du Point-du-Jour, imm'ediatement apr`es la grille de l’octroi qui va des bords de la Seine aux foss'es des fortifications, les quais prennent un aspect tout sp'ecial avec leur enfilade de guinguettes, leurs 'etablissements de plaisir `a bon march'e, la criaillerie musicale des chevaux de bois qui tournent, des orph'eons qui font danser, des orgues de Barbarie qui, continuellement, ont le courage de moudre une sempiternelle « Valse Bleue ». Il y a l`a le d'ep^ot des « bateaux-mouches », des « hirondelles ». Il y a aussi de nombreux canots o`u s’installent d’innombrables p^echeurs, il y a m^eme, de temps `a autre quelques petits voiliers qui demeurent en panne, faute de vent, et dont le navigateur s’obstine par dignit'e `a ne point gagner l’^ile de Billancourt en faisant force de rames.
Endroit champ^etre qui sent son faubourg d’une lieue, bals musettes o`u l’on n’oserait s’aventurer sans armes, cirques de plein air, photographes ambulants, tout concourt `a faire de ce coin de la banlieue le rendez-vous aim'e du peuple badaud de Paris, du gavroche qui paie une journ'ee de plein air `a son amie, la grisette, de l’apache qui offre deux heures de repos `a sa « marmite ».
— H'e, l`a-bas, si qu’on s’envoyait deux ronds de frites ?
Au long du quai, marchant avec amour sur l’herbe br^ul'ee du remblai, – une herbe jaune et sale, couverte de poussi`ere, gr^ace au fr'equent passage des automobiles qui n’'eprouvent aucune g^ene `a transformer la route du bord de l’eau en piste d’essai – un groupe compact s’avancait.
Il y avait l`a des hommes et des femmes, les uns ^ag'es, les autres tout jeunes, quelques-uns gais, quelques autres tristes, tous marchant de ce pas lourd et tra^inard qui est le pas habituel des ouvriers lorsqu’ils ne se rendent plus `a l’atelier, lorsqu’ils marchent droit devant eux, pour se promener, pour s’amuser, et qu’en r'ealit'e ils s’ennuient profond'ement, ne sachant que faire, d'esoeuvr'es, sans but, sans direction bien pr'ecise.
— Si qu’on s’offrait deux ronds de frites, reprit le jeune homme maigre, qui, ayant remont'e le remblai, semblait humer avec d'elices les relents empest'es s’'echappant d’un po^elon o`u une marchande faisait cuire, pour les verser ensuite dans de petits cornets de papier, des rondelles de pommes de terre.