L'?vad?e de Saint-Lazare (Побег из Сен-Лазар)
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`A six heures du soir, le m^eme jour, un visiteur qui n’'etait autre que Juve, mais un Juve ayant repris ses apparences de policier correct, bourgeoisement habill'e, se pr'esentait au greffe de la Sant'e, non plus au greffe principal o`u sont recus les condamn'es qui viennent purger leur peine, mais bien au greffe annexe o`u l’on doit pr'esenter les permis de communiquer permettant d’^etre mis en pr'esence des prisonniers, d'etenus par mesure de pr'evention.
Juve avisait l’employ'e charg'e des visa, lui tendait son permis :
— Puis-je ^etre mis en pr'esence de M. Paul Granjeard ? demanda-t-il. Je suis inspecteur de la S^uret'e.
L’employ'e v'erifia le titre, lut un nom qui n’'etait pas le nom de Juve, v'erifia encore le sceau du greffe central et le tout 'etant r'egulier, appuya sur un timbre :
— Monsieur l’inspecteur, je vous fais conduire par un gardien.
Quelques minutes plus tard, Juve 'etait introduit dans un petit parloir o`u, sous la conduite d’un brigadier, venait le rejoindre Paul Granjeard.
— Monsieur l’inspecteur, d'eclara le brigadier en se retirant, quand vous aurez fini de communiquer, vous n’aurez qu’`a vous servir de cette sonnette, je viendrai reprendre le prisonnier.
— C’est parfait, r'epondit-il.
Et, en m^eme temps, il se retourna vers le prisonnier, auquel, jusqu’alors, il avait pris grand soin de dissimuler son visage.
Or, `a peine Paul Granjeard avait-il apercu Juve que le jeune homme p^alit :
— Comment ? c’est vous, vous, monsieur Juve ? mais on m’avait dit ?
— Je suis ici sous un nom suppos'e, monsieur Granjeard, c’est pourquoi on vous a dit que c’'etait l’inspecteur Binet qui venait vous entretenir.
— Mais pourquoi ?
— Vous allez le savoir.
— Pas de mauvaises nouvelles, au moins ?
— De tr`es mauvaises nouvelles au contraire : Asseyez-vous, monsieur. Nous n’avons que quelques mots `a dire, et j’ai peur pour vous de ce que je vais vous apprendre.
— Que savez-vous ? Qu’avez-vous appris ? Que voulez-vous de moi ?
— Je connais l’assassin de votre fr`ere.
— Dites-moi son nom.
— Pas encore. Monsieur Paul Granjeard, vous ^etes innocent. Votre fr`ere est innocent aussi.
— Mais je le sais bien, nous sommes tous innocents. C’est Blanche Perrier qui…
— Ce n’est pas Blanche Perrier qui a tu'e, qui a fait tuer votre fr`ere. Si c’'etait Blanche Perrier, je serais venu ici avec la certitude de vous causer un grand bonheur, car en vous disant
— Eh bien ? mais, ah ca, que voulez-vous me dire ?
— Ne m’interrompez pas, monsieur Granjeard, ce que je viens vous dire ici est grave, tr`es grave. Je viens vous le dire, songez-y bien, sous un faux nom, en me cachant, moi Juve. C’est donc que j’ai piti'e de vous. Vous ne vous y trompez pas, n’est-ce pas ?
— Parlez, parlez.
— Monsieur Paul Granjeard, vous ^etes innocent. Votre fr`ere est innocent, mais je connais le nom de l’assassin, je sais qui a fait tuer votre fr`ere, qui l’a fait tuer pour 'eviter que l’usine ne soit priv'ee de capitaux qui lui 'etaient n'ecessaires. Allons, monsieur Paul Granjeard, soyez courageux, l’assassin c’est…
— C’est qui ?
— C’est votre m`ere.
— C’est ma m`ere qui a fait tuer mon fr`ere ? r'ep'eta lentement Paul Granjeard, lorsque apr`es quelques minutes de silence effar'e, il sembla reprendre conscience des paroles du policier. Ah, c’est horrible, ca n’est pas possible. C’est faux !
— Je suis certain de ce que j’avance.
Alors, dans le petit parloir de la prison, Paul Granjeard, comme assomm'e par la r'ev'elation du policier, se dressait, portait les mains `a sa gorge, puis, 'etouffant presque, tomba `a genoux, sanglotant.
Juve, lui les bras crois'es, adoss'e `a la muraille, contemplait ce d'esespoir sans rien dire. C’est seulement quand Paul Granjeard eut longuement sanglot'e, quand il eut en quelque sorte 'epuis'e sa douleur, que Juve recommenca `a parler.
— Monsieur Granjeard, dit Juve, j’ai terriblement piti'e de vous, oh, terriblement, croyez-le. 'Ecoutez, ce qui arrive est abominable. Je suis fautif, moi aussi. D’abord je croyais, oui, je vous l’avoue, je croyais que votre fr`ere et vous, vous 'etiez les coupables, je supposais que votre m`ere 'etait innocente. H'elas, j’ai enqu^et'e, je sais, vous me comprenez bien, je sais que vous, vous ^etes innocent et que votre m`ere est coupable. Que faire ? Ah, oui, j’ai piti'e de vous, car en somme ce n’est pas elle, c’est vous qui allez expier.
— Monsieur, si ma m`ere a r'eellement commis cet horrible forfait, elle n’a pu s’y d'ecider que dans un moment de folie, sauvez-l`a ! Je vous en conjure, sauvez-l`a ! Sauvez-l`a, mon fr`ere et moi, durant notre vie enti`ere nous serons vos esclaves, notre fortune vous appartiendra, mais ne laissez pas accuser ma m`ere. Sauvez-l`a, sauvez-l`a ! Il ne faut pas que vous l’accusiez, il ne le faut pas, ce serait mal, elle est folle. Elle a 'et'e folle.
— Il y a des tiers, monsieur, qui savent comme moi que votre m`ere est coupable, et m^eme si je me laissais fl'echir par votre douleur, ils parleraient, il faudrait acheter leur silence… et…
— Payez-le… donnez-leur tout ce que je poss`ede.
— Il faudrait cinq cent mille francs.
— Vous les aurez. Mais sauvez ma m`ere.
Juve ne r'epondait d’abord ni oui ni non. Un long moment passait, peut-^etre un combat affreux se livrait-il dans l’^ame du policier, il pouvait en effet, s’il voulait, faire remettre en libert'e toute la famille Granjeard, mais le devait-il ? Non certes, les coupables doivent ^etre punis et Juve 'etait trop la droiture et la justice m^eme pour h'esiter un seul instant, cependant le c'el`ebre inspecteur avait certainement un but, une id'ee, puisqu’il r'epondit `a Paul Granjeard en ces termes :