L'?vad?e de Saint-Lazare (Побег из Сен-Лазар)
Шрифт:
OEil-de-Boeuf et Bec-de-Gaz n’insist`erent pas autrement d’ailleurs pour avoir des nouvelles de leur copain. Ils se content`erent de s’extasier sur les charmes de l’existence lorsqu’on peut la vivre librement, sans rien faire et qu’on a de l’argent :
— Crois-tu, disait Bec-de-Gaz, qu’on est bien ici. Nous autres, on y passe tout notre temps.
`A la v'erit'e c’'etait un affreux bouge, sale, 'etroit, enfum'e qui s’ouvrait sur l’une des ruelles mal fam'ees que l’on trouve derri`ere l’avenue du Maine. L’'etablissement s’appelait : « Au Drapeau », et le p`ere Pioche, patron dudit 'etablissement, 'etait tr`es fier de cette raison sociale.
Il n’y avait pas de drapeau au-dessus de la porte, mais simplement une hampe pour l’y fixer, et chacun, disait le p`ere Pioche,
Tout ce que Paris comptait d’apaches en herbe ou confirm'es, de candidats souteneurs ou de vieux r'ecidivistes de la profession, se r'eunissaient dans le bouge de Pioche.
On voyait l`a, autour des tables, de tr`es jeunes gens aux cheveux coll'es sur les tempes affectant de se donner des allures bourgeoises, accompagn'es de filles coiff'ees de grands chapeaux `a la mode. Ces couples regardaient d’un oeil de respect et d’envie les anciens, les gens c'el`ebres, comme Bec-de-Gaz et OEil-de-Boeuf, comme Mort-Subite, comme le grand Jules, comme B'eb'e lui-m^eme qui, richement entretenu par une marchande de journaux de la rue de Rennes, s’engraissait b'eatement depuis quelques semaines.
Vers onze heures et demie, Fleur-de-Rogue quitta l’assommoir, apr`es avoir pris cong'e de ses amis. Elle 'etait fatigu'ee, disait-elle, elle voulait rentrer se coucher.
Sit^ot dehors, la pierreuse sauta dans un taxi-automobile et dit au m'ecanicien de la conduire `a l’extr'emit'e du pont de Grenelle.
Fleur-de-Rogue paya sa course, puis s’achemina par la rue de Boulainvilliers jusqu’au carrefour de la rue de La Fontaine et de la rue de l’Assomption. Le Bedeau, en effet, lui avait dit la veille :
— Tu viendras, `a minuit, rue de l’Assomption. Tu prendras le trottoir de gauche. Tu remonteras la rue d’une allure assez vive, tant que tu rencontreras des maisons, et d’une allure beaucoup plus lente lorsque tu suivras un grand mur dans lequel s’ouvrent quelques br`eches. Tu compteras ces br`eches. Une, deux, trois. `A la troisi`eme, ouvre l’oeil, c’est par l`a que viendra quelque chose, un objet lourd et pr'ecieux que je te passerai et avec lequel il faudra t’esquiver en douce, sans te faire remarquer. C’est du nanan. Pas de blague.
Fleur-de-Rogue se r'ep'etait ces instructions alors qu’elle gravissait la rue de l’Assomption et que, conform'ement aux instructions recues, elle ralentissait en apercevant sur sa gauche le mur signal'e par le Bedeau.
Ce mur n’'etait autre, en effet que la cl^oture de l’ancien couvent des dames de l’Assomption, abandonn'e par les religieuses.
La rue 'etait d'eserte, Fleur-de-Rogue se f'elicitait d'ej`a `a l’id'ee qu’elle allait pouvoir attendre, assise sur le bord du trottoir, sans que son attitude 'eveill^at en rien l’attention du voisinage. Mais `a peine, s’'etait-elle install'ee face `a la br`eche annonc'ee par le Bedeau, que la pierreuse faisait le geste de rattacher le lacet de son soulier, puis se levait et s’en allait.
Son oeil perspicace avait d'ecouvert quelqu’un qui pouvait ^etre suspect et par pr'ecaution, Fleur-de-Rogue s’'ecartait.
La ma^itresse du Bedeau venait de voir, en effet, errant comme elle dans la rue de l’Assomption, la silhouette massive d’une femme aux larges 'epaules, au dos courb'e mais qui, si elle s’'etait redress'ee, aurait eu 'evidemment une stature bien au-dessus de la moyenne.
— Elle marche comme un homme, avait remarqu'e Fleur-de-Rogue en se rendant compte de la dimension des pas que faisait la myst'erieuse personne.
La pierreuse, d'ecid'ement 'etait perspicace, et elle remarqua que la grosse femme, en d'epassant la troisi`eme br`eche du mur avait jet'e dans la fissure un coup d’oeil rapide. Qu’est-ce que cela signifiait ?
— L’affaire, pensa la pierreuse, sera plus difficile qu’on ne le croit. Les combinaisons du Bedeau doivent ^etre connues de la police. M’est avis que cette femme est l`a pour espionner.
Profitant de ce que la myst'erieuse personne remontait assez loin de la br`eche, en direction de la rue Mozart, Fleur-de-Rogue se rapprocha du mur et d’une voix assez forte imita le bourdonnement d’une mouche, de facon `a faire comprendre au Bedeau, s’il 'etait dans le voisinage, qu’il fallait se m'efier.
Ce bruit caract'eristique, en effet, signifie pour les apaches qu’il y a de la police aux alentours. La nuit 'etait silencieuse. Fleur-de-Rogue avait entendu au loin sonner minuit. C’'etait l’heure indiqu'ee par le Bedeau, et Fleur-de-Rogue savait que son amant n’'etait jamais en retard. Elle se f'elicitait d'ej`a de ce que, `a ce moment pr'ecis, la rue f^ut redevenue d'eserte. La grosse femme avait disparu. Soudain Fleur-de-Rogue pr^eta l’oreille : de l’autre c^ot'e du mur des pas pr'ecipit'es.
— Le voil`a, fit-elle.
Et elle s’approchait de la br`eche, mais soudain elle s’arr^eta net et tressauta.
Un coup de feu, puis un second, puis trois ou quatre venaient de retentir, une odeur de poudre monta, des cris retentirent. On devait se battre de l’autre c^ot'e du mur, dans l’ombre, sous les arbres.
`A ce moment pr'ecis, la pierreuse qui, depuis quelques instants, avait perdu de vue la grosse vieille femme la vit surgir `a l’extr'emit'e de la rue.
— Bon, grogna-t-elle, elle est s^urement de la police, ca va faire du vilain.
Fleur-de-Rogue se demandait une seconde quelle devait ^etre son attitude, mais elle n’eut pas le temps d’y r'efl'echir.
De la br`eche du mur surgissait en effet quelqu’un qui, passant par-dessus cet obstacle, sautait dans la rue et lourdement s’abattait sur le trottoir, au pied m^eme de Fleur-de-Rogue ;
— Le Bedeau, s’'ecria la pierreuse, toute heureuse de voir son amant sain et sauf.
Le Bedeau, tr`es essouffl'e par la course qu’il venait de faire dans le parc ne r'epondit pas tout d’abord, il se releva et sa ma^itresse remarqua qu’il portait sous le bras, une sorte de coffret rectangulaire.