L'?vad?e de Saint-Lazare (Побег из Сен-Лазар)
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Le journaliste 'etait `a peine revenu sur les quais qu’il se pr'ecipitait vers les amarres du chaland. En quelques mouvements adroits il les avait d'efaites. La Seine 'etait grosse, d'ej`a la p'eniche s’'eloignait, emport'ee par le courant.
`A bord, les agents cherchaient toujours le fugitif.
— Dites donc, cria Fandor, j’aime autant vous pr'evenir tout de suite que je rentre chez moi.
Et, tandis que les braves serviteurs de la Pr'efecture s’effaraient, entendant cette voix gouailleuse, J'er^ome Fandor, sans se presser, s’'eloigna. Les agents `a la d'erive ne risquaient rien. De toute facon, c’'etait leur m'etier.
21 – LE 22 ET LE 41
— S'eraphin, cria le p`ere Pioche, d’une voix tonitruante, il faut pr'eparer d’urgence le cabinet 22. Il va venir des clients de luxe, ils m’ont t'el'ephon'e tout `a l’heure qu’ils le retenaient pour la nuit enti`ere.
— On s’en occupe, patron, on s’en occupe, r'epliqua S'eraphin qui 'emergeait des profondeurs de la cave o`u il s'ejournait depuis une bonne demi-heure, sous le vague pr'etexte de ranger les bouteilles.
La communication t'el'ephonique informant le p`ere Pioche,
Le p`ere Pioche, en effet, n’'etait gu`ere habitu'e `a louer les cases infectes qu’il d'esignait pompeusement sur sa vitrine, « Salons de Soci'et'e » et « Cabinets particuliers ». Les h^otes habituels du cabaret 'etaient des gaillards qui n’avaient pas pour coutume de se faire servir `a part lorsqu’ils faisaient une partie fine.
Or, les vitres d'epolies du cabaret et les gros volets que, d`es onze heures du soir, le p`ere Pioche mettait sur sa devanture, suffisaient amplement d’ordinaire, `a donner de la s'ecurit'e `a ses h^otes.
Pioche, cependant, s’affairait. Arm'e d’un plumeau, il 'etait mont'e lui-m^eme par le petit escalier, raide comme une 'echelle, qui faisait communiquer le premier 'etage de son 'etablissement directement avec la rue et il 'epoussetait de son mieux le canap'e avachi, que s'eparait de deux chaises d'efra^ichies une table oblongue sur laquelle S'eraphin s’empressait `a dresser un couvert.
— Patron, interrogeait le domestique, dont la t^ete hirsute et les gros poings noueux 'etaient tout `a fait de circonstance dans ce bouge que l’on ne pouvait fermer chaque soir qu’en distribuant aux clients force bourrades, pour les faire sortir, patron, expliquez-moi donc une chose ?
— De quoi qu’il s’agit ? interrogea Pioche.
— Eh bien ! fit S'eraphin, vous allez me trouver curieux, mais je voudrais bien savoir, puisqu’il n’y a que deux salons dans votre boutique, pourquoi celui-ci s’appelle le 22 et l’autre le 41 ?
— Esp`ece d’imb'ecile, r'epliqua Pioche, si j’ai donn'e ces num'eros-l`a, c’est histoire de faire croire aux clients que ma bo^ite est beaucoup plus importante qu’elle n’en a l’air et qu’elle comporte au moins une cinquantaine de cabinets particuliers.
— Tiens, je n’aurais jamais pens'e `a cela.
— Et puis, le 22 c’est de circonstance, ici, c’est comme aux lotos, 22, c’est deux cocottes. Tu comprends bien que si le client de luxe qui vient de me t'el'ephoner a retenu ce salon, c’est parce qu’il n’a pas l’intention d’y venir tout seul, mais au contraire avec une dame. Les dames qui viennent comme ca dans les cabinets particuliers, d’ordinaire ne sont pas des vertus farouches.
— J’comprends, fit S'eraphin.
— Ah, il doit s’en passer des choses.
— C’est pour cela fit-il, qu’il y a tellement de trous dans la cloison, histoire de rigoler pour les voisins.
La sonnerie du t'el'ephone retentit.
— Pourvu, grommela Pioche, que ce ne soit pas le client qui change d’id'ee ?
Mais `a peine le patron du Drapeau avait-il d'ecroch'e que sa physionomie prit un air r'ejoui :
— C’est entendu, monsieur et cher client, vous pouvez compter sur moi. Bon, vous ne serez pas d'erang'e, vous n’aurez qu’`a monter directement et demander le 41.
Pioche raccrocha le r'ecepteur, puis, d’une voix vibrante d’enthousiasme, il hurla dans la cage de l’escalier :
— S'eraphin. Voil`a, patron.
— S'eraphin, ca barde aujourd’hui, il faut pr'eparer aussi le 41, pour trois personnes.
Le p`ere Pioche se frotta les mains :
— Ca va, dit-il, d'ecid'ement les affaires vont de mieux en mieux. Pourvu qu’on ne vienne plus me retenir ce soir de cabinets particuliers, je ne saurais plus o`u loger mes clients. Si… `a la rigueur on pourrait d'em'enager la chambre de S'eraphin et la transformer en salon.
***
Vers neuf heures, rasant les murs, marchant d’un pas press'e, un jeune homme, convenablement v^etu, mais qui avait relev'e le col de son pardessus et rabaiss'e son chapeau sur ses yeux, grimpa rapidement le petit escalier qui conduisait au premier 'etage du Drapeau et p'en'etra directement dans le cabinet 22. C’'etait le premier des clients qui avait retenu la pi`ece. Cinq minutes plus tard, un pas l'eger. Une jeune femme arrivait, le visage dissimul'e derri`ere une triple voilette. `A peine fut-elle en pr'esence du jeune homme qui l’attendait, que l’un et l’autre se rapproch`erent, s’'etreignirent les mains chaleureusement :
— H'el`ene.
— Fandor.
— Merci d’^etre venue, murmura le jeune homme.
— Que je suis heureuse de vous voir, expliquez-moi.
Fandor lui fit signe de se taire. La porte du cabinet s’'etait entreb^aill'ee et la t^ete hirsute de S'eraphin apparaissait :
Le domestique tenait `a la main un carton sur lequel figurait une liste copieuse de plats mirifiques. Voyant qu’on ne le renvoyait pas, il entra tout `a fait dans la pi`ece et cependant qu’H'el`ene, lui tournant le dos, se d'ebarrassait de son chapeau et de son voile, S'eraphin, s’efforcant d’affecter l’air d’un ma^itre d’h^otel bien styl'e, proposa `a Fandor un menu de sa composition.