L'?vad?e de Saint-Lazare (Побег из Сен-Лазар)
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Aux Halles, J'er^ome Fandor fit buisson creux. Il n’apprit rien qui f^ut de nature `a le renseigner. Si ce n’est que, depuis fort longtemps le Bedeau avait cess'e de fr'equenter ces bouges. Ses meilleurs amis m^eme ne savaient trop ce qu’il 'etait devenu.
J'er^ome Fandor d'ecida alors d’aller poursuivre ailleurs son enqu^ete. Successivement il perdit son apr`es-midi `a tra^iner dans tous les cabarets louches de la Chapelle o`u le Bedeau, apprit-il, ne venait que rarement. Vers six heures du soir il 'etait `a Vaugirard o`u le Bedeau 'etait totalement inconnu et enfin, `a huit heures, `a huit heures seulement, dans un bouge innommable de Montparnasse, en causant avec un aveugle qui voyait fort clair lorsqu’il ne demandait pas la charit'e, il obtint le renseignement apr`es lequel il courait depuis le matin :
— Le Bedeau ? ah, oui, un gars costaud et qui cr`eve un pante comme d’autres enfilent un quinquina, il doit loger quelque part `a Grenelle. Au passage des Millionnaires peut-^etre bien…
C’'etait tout ce que d'esirait savoir le journaliste. Il paya une tourn'ee, quitta le bouge tout souriant. Pour faire ses enqu^etes, bien entendu, J'er^ome Fandor s’'etait convenablement grim'e et ses meilleurs amis l’eussent rencontr'e sans pouvoir le reconna^itre. `A fr'equenter Juve, en effet, `a vivre depuis de longues ann'ees une existence extraordinaire, perp'etuellement consacr'ee aux recherches les plus difficiles, aux entreprises les plus p'erilleuses, J'er^ome Fandor 'etait devenu quelque peu policier.
— J’ai attrap'e la contagion, se disait-il, maintenant il n’y a pas un agent de la S^uret'e pour me faire la pige pour ce qui est des d'eguisements.
De fait, v^etu d’un paletot rapi'ec'e, qui avait peut-^etre 'et'e marron ou bleu, mais que des averses successives avaient fait tourner au vert, coiff'e d’un vieux chapeau de paille dont les bords s’effilochaient, ayant rev^etu un pantalon `a l’aspect crasseux dont les jambes trop longues tire-bouchonnaient sur des bottines, dont l’une 'etait `a lacet et l’autre `a boutons, J'er^ome Fandor, ce jour-l`a, ressemblait `a s’y m'eprendre `a quelque mis'ereux sans travail, ouvreur de porti`eres, distributeur de prospectus, industrie du m'egot ou encore, facteur d’occasion aux arriv'ees des grandes gares.
Fandor, toutefois, avait peu souci de sa mise, c’'etait le plus all`egrement du monde qu’il quitta Montparnasse o`u le hasard venait de lui apprendre l’adresse du Bedeau, pour se rendre `a Grenelle :
— Ma foi, songeait le journaliste, il faut convenir que, dans la vie, non seulement tout arrive, mais encore tout arrive au moment o`u on s’y attend le moins. Il y a bien peu de temps encore, j’'etais paralytique, tout r'ecemment, je me trouvais dans un tonneau, et maintenant, me voici sur le point de rendre des visites.
C’'etait une visite d’un genre sp'ecial, il est vrai, que celle que se proposait de rendre le journaliste au Bedeau.
Dans sa poche, J'er^ome Fandor, d’un mouvement involontaire, t^atait de temps `a autre la crosse de son fid`ele revolver. `A coup s^ur. Le Bedeau, s’il 'etait chez lui quand Fandor arriverait, serait peu flatt'e de l’apercevoir. Le mieux 'etait donc de pr'eparer, pour la discussion in'evitable qu’il pr'evoyait, d’excellents arguments, de convaincants discours et cela sous la forme de cartouches `a balles blind'ees.
Sans trop de peine J'er^ome Fandor s’orienta dans Grenelle et d'ecouvrit le passage des Millionnaires, ou plus exactement une sorte de ruelle infecte, inf^ame, s’ouvrant juste derri`ere le quartier de cavalerie Dupleix, et qui, ne portant pas de nom sur les registres officiels de la vicinalit'e parisienne, avait 'et'e ainsi nomm'ee par la malice des habitants de Grenelle.
Le passage des Millionnaires – puisqu’il s’appelait ainsi – est en r'ealit'e form'e par le groupement extraordinaire et pittoresque de deux maisons ouvri`eres, surpeupl'e d’escarpes et de trimardeurs momentan'ement `a l’arr^et. Les facades sont rapproch'ees au point que, d’une maison `a l’autre, par les fen^etres on peut se donner des poign'ees de main. Perp'etuellement, sur des cordes tendues, du linge s`eche, s’'egouttant sur la t^ete des passants. Enfin, dans le ruisseau, une marmaille pouilleuse, continuellement en train de se disputer, de se battre, joue sans souci des querelles qui 'eclatent `a tous moments d’'etage `a 'etage.
J'er^ome Fandor, d’un coup d’oeil, embrassa la disposition des lieux :
— Peste, fit-il, chacune de ces maisons-l`a doit bien contenir cent cinquante `a deux cents individus, o`u diable vais-je rep^echer mon Bedeau ?
Tranquillement cependant, avec une audace dont il n’ignorait pas le p'eril, Fandor entra dans cette nouvelle Cour des Miracles.
— Je vais toujours monter un 'etage, au hasard, se dit le journaliste.
Il tourna dans l’'etroit corridor de l’une des deux maisons. Les murs en 'etaient sales, recouverts d’inscriptions obsc`enes et l’humidit'e suintait en larges taches, des enfants jouaient `a la marelle ou se volaient des billes, J'er^ome Fandor n’y prit pas garde. Il passa.
Au bout du corridor, au fond de l’innommable boyau, il monta. Les marches 'etaient branlantes et d’autant moins rassurantes que les locataires, pour ne pas avoir la fatigue de descendre, vidaient depuis longtemps leurs bo^ites `a ordures `a m^eme la cage de l’escalier. Des pelures d’oranges, des 'epluchures de salades, de vieux chiffons souill'es sur lesquels des essaims de mouches tourbillonnaient, garnissaient les marches, c`a et l`a, m^el'es `a des 'eclats de verre, tessons de bouteilles, bo^ites de conserves, `a d’autres ordures encore.
— Charmant s'ejour, pensa Fandor.
Et il monta, bousculant une bande de marmots qui l’avaient envahi et se laissaient glisser le long de la rampe, au risque de se briser le cr^ane. J'er^ome Fandor, d’ailleurs, en passant, n’attirait l’attention de personne. Dans cette maison o`u il y avait bien, comme il l’avait devin'e, plus de deux cents chambres, il y avait chaque jour de nouveaux locataires, car, chaque jour, les huissiers venaient proc'eder `a des expulsions parfois tapageuses. Une figure nouvelle n’'etait donc point faite pour surprendre, d’autant qu’en ses v^etements de pauvre h`ere, J'er^ome Fandor pouvait fort bien passer pour un indig`ene.
Parvenu au troisi`eme 'etage, – la maison en comportait sept, – J'er^ome Fandor, pourtant, commencait `a h'esiter sur la conduite `a tenir.
Le journaliste, heureusement, avait plusieurs fois d'ej`a visit'e de semblables demeures. Il connaissait `a peu pr`es la facon dont les initi'es se conduisent en pareil lieu et il en profita pour agir comme eux.
J'er^ome Fandor monta encore un 'etage, sourit en entendant un refrain comique, lugubrement fredonn'e par un ivrogne accroupi au milieu d’un corridor et semblant convaincu qu’il 'etait dans sa chambre, car il commencait `a se d'eshabiller. `A haute voix, le journaliste cria, s adressant au chanteur :