L'?vad?e de Saint-Lazare (Побег из Сен-Лазар)
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Et, en pensant `a « ce qui pouvait arriver », Fant^omas eut un sourire sardonique.
La porte enfin s’ouvrit et Julie, la domestique, s’effacant pour laisser passer le visiteur, l’invita respectueusement `a p'en'etrer dans le petit salon :
— Je vais aller pr'evenir madame et ces messieurs, d'eclara la bonne. Si monsieur Juve veut prendre la peine d’attendre ici quelques instants.
Le faux policier r'epondit sur un ton protecteur qu’il n’'etait pas press'e, qu’il avait bien le temps, demeurant fort convaincu, d’ailleurs, que les personnes auxquelles il venait rendre visite ne le feraient pas languir, d'esireuses d’entendre Juve. Plus Fant^omas pensait `a la personnalit'e du policier qu’il s’'etait acquise, plus il songeait au r^ole terrible et redoutable qu’il jouait sous ce nom qui 'etait pour lui la meilleure des sauvegardes. Il 'eprouvait une indicible satisfaction `a l’id'ee qu’il avait dup'e tout le monde et qu’il avait merveilleusement profit'e des circonstances et des 'ev'enements.
Pourquoi et comment Fant^omas s’'etait-il fait conna^itre sous le nom de Juve ?
Les choses 'etaient venues pour ainsi dire malgr'e lui. Cela remontait `a quelques semaines, `a une certaine matin'ee o`u Fant^omas, `a la recherche du cadavre de son ancien associ'e, le cocher Prosper, sur les ruines de l’immeuble appartenant `a Juve, avait 'et'e rencontr'e par un gavroche effront'e et sympathique. Fant^omas s’'etait amus'e `a se faire passer, aupr`es de ce gamin, pour le policier Juve. Il avait racont'e cela par gaminerie, comme il e^ut voulu 'eblouir et int'eresser un petit enfant `a un conte fantastique. Seulement, il 'etait arriv'e qu’au cours de ses conversations avec le petit Riquet, il avait appris les dissensions intestines qui divisaient la famille Granjeard. Il avait connu toute l’histoire de Didier et il savait combien sa m`ere, ainsi que ses fr`eres, gens ^apres `a l’argent, 'etaient oppos'es `a la conduite qu’il avait, `a l’existence qu’il menait, et Fant^omas, tr`es perspicace, s’'etait aussit^ot dit que ces gens-l`a seraient capables de tout pour 'eviter une liquidation de leur maison. C’est alors que, dans son esprit fertile et cruel, une id'ee avait germ'e.
Fant^omas avait d'ecid'e d’assassiner Didier et de faire croire que les auteurs de ce crime n’'etaient autres que ses parents, puis, apr`es avoir fait arr^eter ces derniers, de les lib'erer par un artifice dont ils lui sauraient gr'e.
D’autres se seraient content'es d’avoir obtenu cinq cent mille francs de la m`ere, en lui disant que, moyennant cette somme, elle arrachait son fils a^in'e `a l’'echafaud et cinq cent mille francs de ce fils, en lui persuadant qu’`a ce prix sa m`ere coupable ne serait pas inqui'et'ee. Mais Fant^omas n’'etait pas satisfait : il voulait mieux encore, le bandit savait que la fortune des Granjeard s’'elevait `a plusieurs millions, et l’app^at du gain lui donnait le d'esir de se les approprier tous. Les Granjeard, libres et innocent'es, ne voulaient pas payer, Fant^omas avait imagin'e autre chose. Il s’agissait de les compromettre encore et c’est pourquoi il avait assassin'e, quelques jours auparavant, la malheureuse Blanche Perrier. Fant^omas, en attendant l’arriv'ee des Granjeard, r'efl'echissait `a tous ces 'ev'enements :
— Mon coup est tr`es avanc'e, se disait-il, il ne me reste plus qu’une passe `a franchir et j’aurai gagn'e la partie.
Le visage de Fant^omas, cependant, se rembrunit.
— Le tout, grommelait-il tout bas, est de savoir ce que Juve leur a dit hier. Suis-je br^ul'e `a leurs yeux ? ou cet imb'ecile de policier, ne voulant pas se nommer encore, par prudence, a-t-il de la sorte, laiss'e le champ libre et la voie ouverte `a mes d'esirs ?
C’'etait l`a, en effet, toute la question qui se posait pour Fant^omas. Lorsque les Granjeard allaient entrer dans le salon, y p'en'etreraient-ils avec la conviction qu’ils se trouvaient en face d’un imposteur, doubl'e d’un ma^itre chanteur, ou alors croiraient-ils encore au Juve qu’ils avaient d'ej`a connu et par lequel ils se pensaient prot'eg'es ?
Mais il fallait s’attendre `a tout, c’est pour cela que Fant^omas avait dans sa poche un revolver charg'e. Le bandit 'etait optimiste et il se disait que sa bonne 'etoile lui permettrait certainement de mener `a bien son entreprise. D`es lors, pensait-il, il faut agir carr'ement, nous n’avons plus une minute `a perdre.
Fant^omas s’arr^eta de penser, car l’heure de l’action sonnait : la porte s’'etait ouverte, Mme Granjeard, suivie de ses deux fils, entrait dans le petit salon.
D`es le premier coup d’oeil, d`es l’'echange du premier regard, Fant^omas poussait un imperceptible soupir de satisfaction. En voyant ses interlocuteurs, il se rendait compte que rien n’'etait chang'e, il comprenait que Juve n’avait point r'ev'el'e sa propre personnalit'e et que, par cons'equent, le policier ne l’avait point br^ul'e, lui, Fant^omas, dans l’esprit des Granjeard.
Rassur'e de ce c^ot'e, Fant^omas, d`es lors, se r'ev'ela d’une audace et d’un cynisme qui n’avaient plus de bornes. Il n’avait rien `a craindre, il n’allait pas se faire faute de terrifier les Granjeard pour en obtenir le plus d’argent possible d’eux.
Et, tout d’abord, prenant une physionomie hypocritement triste et s'ev`ere, Fant^omas salua les nouveaux venus de ces mots :
— Blanche Perrier est morte, morte assassin'ee.
— Oui, dit Mme Granjeard, nous avons appris cet 'epouvantable drame. Nous sommes d'esol'es. Nous regrettons. Pauvre femme.
Paul Granjeard intervint `a son tour :
— C’est d'esolant, mais nous n’y pouvons rien.
— Croyez-vous ? fit Fant^omas.
Les Granjeard le regard`erent, surpris. Le faux Juve poursuivit :
— Vous aurez peut-^etre `a vous expliquer tr`es prochainement sur le d'ec`es de cette malheureuse.
— Nous ? s’'ecri`erent ensemble la m`ere et les deux fils.
Imperturbable, Fant^omas poursuivit :
— Le juge d’instruction Mourier a d'ecid'e de proc'eder `a nouveau `a votre arrestation. C’est une question d’heures.
— Mais pourquoi ? que signifie ?
— Oh, le raisonnement du magistrat est fort clair, il vous sera bien difficile de le d'etruire. Voil`a : vous ^etes suspects d’avoir fait dispara^itre la seule personne qui pouvait constituer pour vous un t'emoin g^enant. Blanche 'etait, en effet, l’unique femme susceptible d’innocenter celui sur qui vous cherchez `a faire retomber les soupcons, c’est-`a-dire sur le journaliste J'er^ome Fandor, que vous avez accus'e formellement d’^etre l’auteur de l’assassinat de Didier. Saisissez-vous ?
— Pardon, dit Robert Granjeard, mais nous n’avons jamais accus'e ce monsieur d’avoir tu'e notre fr`ere.
Avec une audace inou"ie, le faux Juve affirmait :
— La lettre existe. Au surplus, si elle n’existait pas, la situation serait la m^eme.
— Je ne comprends pas, je ne comprends pas, balbutia Mme Granjeard, qui, effondr'ee dans un fauteuil, se comprimait la t^ete dans les mains.
— C’est bien simple, pourtant, reprit Fant^omas, et je m’en vais pr'eciser pour vous, madame. Voil`a la situation. Une premi`ere fois, lorsque vous 'etiez sous les verrous, vous accusez la ma^itresse de votre fils d’avoir 'et'e l’instigatrice du crime. Pourquoi ? Parce que le testament de Didier fait de cette Blanche Perrier sa l'egataire universelle. L’argument est si probant, d’ailleurs, que le magistrat vous lib`ere imm'ediatement. Bien. Je continue. Vous avez peur que le magistrat ne s’apercoive que le testament que vous avez invoqu'e pour accuser Blanche Perrier est en r'ealit'e un testament faux, c’est ce qui arrive, mais vous avez pr'evu le cas. Et, d`es lors, vous venez dire :
Mme Granjeard, qui, `a grand peine, se condamnait au silence pendant que parlait le faux policier, ne put contenir plus longtemps son indignation :
— Mais, hurla-t-elle, c’est 'epouvantable ce que vous racontez-l`a. Ce que vous imaginez, car nous ne sommes pour rien dans ces affreuses combinaisons.
Elle s’arr^etait. Le faux Juve avait fait un signe de la main et d’un ton tr`es calme, il reprenait :
— Je ne veux pas me demander, Madame, si, dans la famille Granjeard, il est ou non quelqu’un de coupable, je vous signale simplement l’opinion qui se forme, qui se pr'ecise `a votre 'egard et je vous pr'eviens des risques que vous courez. Si les juges raisonnent comme je viens de le faire, vous aurez bien du mal, les uns et les autres, `a vous sortir d’affaire.