L'?vad?e de Saint-Lazare (Побег из Сен-Лазар)
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M. Havard, habitu'e aux confidences les plus 'etranges, aux r'ev'elations les plus extraordinaires, ne se troublait pas :
— Monsieur, fit-il d’une voix aimable et pour mettre son interlocuteur `a son aise, je vais vous demander de proc'eder avec nettet'e et m'ethode dans ce que vous allez me raconter. S’agit-il, d’abord, d’un chantage effectu'e ou d’une tentative de chantage ?
— D’une tentative, monsieur, seulement.
— Bien, murmura le chef de la S^uret'e, rien n’est encore perdu. Maintenant, poursuivit-il, veuillez me raconter votre histoire par le commencement et me dire par suite de quelles circonstances vous avez 'et'e atteint par ces menaces et pourquoi votre fr`ere et votre m`ere ne paraissent pas aussi nettement dispos'es que vous `a les 'ecarter ?
— Ca, je n’en sais rien, fit Robert Granjeard, r'epondant `a la derni`ere question.
Et il ajoutait :
— Vous verrez vous-m^eme. Monsieur le chef de la S^uret'e quels sont les mobiles que vous devez attribuer `a leurs h'esitations.
Robert Granjeard, alors, raconta `a M. Havard tout ce qu’il savait de l’extraordinaire et dramatique aventure, survenue depuis la mort de leur p`ere : l’assassinat de Didier, l’arrestation de son fr`ere et de sa m`ere, le faux testament, l’inculpation morale de J'er^ome Fandor et le meurtre, enfin, de Blanche Perrier.
Puis, Robert Granjeard en vint aux entretiens que sa famille avait eus avec la personne qui, dans toutes ces affaires semblait les avoir guid'es :
— Ce qu’il y a de plus extraordinaire, d'eclara-t-il, c’est que cette affaire a 'et'e men'ee par l’un des hommes qui jouit assur'ement de la r'eputation de probit'e la plus grande et dont le nom m^eme est synonyme, de conscience, honneur et de devoir. Je sais cela, je me le suis r'ep'et'e chaque jour et malgr'e mes efforts, je suis oblig'e de convenir aujourd’hui que j’ai 'et'e aveugl'e, aveugl'e volontairement plus qu’on ne peut l’^etre et que ce grand honn^ete homme `a qui nous avons, comme bien d’autres, accord'e notre confiance, n’est qu’un effroyable ma^itre chanteur.
— Mais de qui voulez-vous parler ?
— Je veux parler de Juve.
Havard haussa les 'epaules. Mais Robert Granjeard tenait `a son id'ee :
— Tout ce que je vous ai racont'e, fit-il, tous les propos que je vous ai rapport'es, les demandes qui nous ont 'et'e faites, tout cela 'emane de Juve, c’est Juve qui est venu, que j’ai vu comme je vous vois, que j’ai entendu comme je vous entends.
— Mais Monsieur, tout cela me para^it bien invraisemblable et je crois que le plus simple serait, puisque vous pr'etendez ^etre en relations avec Juve, que vous nous m'enagiez un rendez-vous, afin que nous puissions causer de cela tous les trois.
— Non, Monsieur, fit-il, il ne faut pas d’un rendez-vous priv'e, d’une entente pr'ealable. D’ailleurs, nous avons promis `a Juve, du moins mon fr`ere et ma m`ere ont promis `a Juve de garder sur ces incidents le plus grand secret. Juve trouverait moyen de nous duper encore et c’est moi qui aurais l’air d’un imposteur. 'Ecoutez, Monsieur, il n’y a qu’un moyen de proc'eder lorsqu’on a affaire `a des gens aussi redoutables et aussi habiles, c’est de les prendre sur le fait, la main dans le sac. Rendez-moi un service, un grand service ? sauvez-nous.
— Qu’entendez-vous par l`a ? fit M. Havard…
— J’entends, pr'ecisa Robert Granjeard d’abord, que vous ne souffliez mot de cet entretien `a personne et qu’ensuite vous alliez demain soir au rendez-vous que nous a assign'e Juve, le ma^itre chanteur, nous aurons le million qu’il a demand'e, ce million, nous le lui remettrons et alors, `a ce moment, j’esp`ere que vous serez convaincu. Nous devons nous r'eunir demain soir `a huit heures au restaurant de L’'Epervier, 32, rue Froidevaux.
« `A ce moment, monsieur, j’esp`ere que nous mettrons la main au collet du ma^itre chanteur.
Le chef de la S^uret'e avait compris 'evidemment que c’'etait un imposteur qui s’'etait donn'e aux Granjeard comme 'etant Juve. Mais quel 'etait cet imposteur ? c’est ce qu’il s’agissait d’'elucider.
Une heure apr`es, Robert Granjeard avait regagn'e Saint-Denis :
— D’o`u viens-tu ? lui demanda sa m`ere.
Le jeune homme ne savait pas mentir, au surplus, l’acte qu’il venait de commettre 'etait pour lui un soulagement. Il 'eprouva une extr^eme satisfaction `a raconter :
— Je viens, dit-il, d’avoir le courage de faire ce qui devrait ^etre d'ej`a fait depuis quelques jours. J’ai 'et'e `a la Pr'efecture de police, j’ai vu M. Havard, directeur de la S^uret'e et je lui ai d'enonc'e son inspecteur Juve comme 'etant un inf^ame ma^itre chanteur. J’ai la conviction maintenant que, demain soir, ce policier sera arr^et'e. Voil`a ce que j’ai fait.
— Tu as fait cela ? s’'ecri`erent ensemble Mme Granjeard et son fils Paul.
— Mais, murmura-t-il, je n’ai rien fait qui doit vous para^itre si extraordinaire. Ne vous ^etes-vous donc pas rendu compte que nous avions affaire `a un bandit ? Ne valait-il pas mieux le d'emasquer que de c'eder `a ses r'epugnantes suggestions, que d’accepter les louches compromissions qu’il nous propose ?
— Oui, poursuivait Paul, devenu livide, c’'etait pour nous 'eviter d’avoir maille `a partir avec la justice.
— H'e qu’importe ! s’'ecria Robert Granjeard, nous pouvons aller le front haut devant le juge, puisque nous sommes innocents.
'Enerv'e, vex'e de la restriction 'etrange qui lui avait 'et'e faite par ses parents, Robert Granjeard les quittait brusquement ; il ne comprenait pas leur attitude. C’est qu’en effet, Robert Granjeard ignorait deux choses d’une importance extr^eme : le jeune homme ne savait pas, que sa m`ere d’une part, son fr`ere de l’autre, avaient d'ej`a c'ed'e aux exigences du ma^itre chanteur, qu’ils n’avaient obtenu leur lib'eration qu’`a prix d’argent, et qu’aussi gr^ace `a la subtilit'e de Fant^omas, se faisant passer pour Juve, le fils 'etait s^ur de la culpabilit'e de sa m`ere, et la m`ere avait la conviction que l’un de ses fils 'etait l’assassin du troisi`eme.
26 – UN BRACONNIER
Debout dans le m'etropolitain, 'ecras'e entre une grosse femme qui portait un volumineux panier rempli de fromages, et une maigre midinette dont les 'epingles `a chapeau menacaient `a chaque secousses de l’'eborgner, J'er^ome Fandor, r'esign'e `a une position intenable, voulant 'eviter `a la fois les pointes ac'er'ees de la demoiselle et les camemberts de la dame, se r'ep'etait pour la vingti`eme fois, en maugr'eant fort, les termes de la lettre, de l’'enigmatique lettre recue le matin m^eme :