Le Cadavre G?ant (Гигантский кадавр)
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Fandor 'etait en r'ealit'e le plus gravement atteint des trois voyageurs de l’automobile. Le jeune homme s’'etait foul'e le pied, il en 'etait imm'ediatement r'esult'e une violente enflure et la fi`evre occasionn'ee par la douleur lui faisait claquer les dents moins de vingt minutes apr`es.
Bouzille avait alors donn'e des preuves de son ing'eniosit'e et de sa tranquille candeur d’esprit.
Sorti de son tas de fumier, encore un peu stup'efait et 'etourdi de leur aventure, Bouzille, loin de s’enfuir comme Bec-de-Gaz, s’'etait pr'ecipit'e au secours de J'er^ome Fandor qui gisait `a cet instant sur le sol de la route, `a une dizaine de m`etres de l’automobile renvers'ee.
— Alors quoi ? demandait Bouzille. C’est fini, la promenade ? On ne continue pas ?… Sauf vot’respect, m’sieur Fandor, vous avez tout de m^eme une dr^ole de facon d’arr^eter !… Moi, dans le temps, quand je faisais de l’automobile, quand j’avais mon train sp'ecial…
Quand Bouzille 'evoquait des souvenirs, c’'etait 'evidemment terrible, car l’ancien chemineau, bavard comme pas un, ne tarissait plus d’anecdotes.
La crainte de ce bavardage fut sans doute le stimulant qui r'eveilla Fandor. Le jeune homme, en effet, qui, jusque-l`a, n’avait point boug'e, aux trois quarts 'evanoui, s’asseyait sur son s'eant.
— Zut, Bouzille, d'eclarait Fandor. Vous avez tort de vous plaindre. On arr^ete comme on peut, l’essentiel est d’arr^eter. D’ailleurs, mon bon, tous les gens comp'etents affirment qu’il ne faut jamais freiner. Un coup de frein, c’est la mort des pneus. Vous voyez que j’ai 'et'e logique, 'econome et prudent, en arr^etant d’autre facon ?…
Tout en plaisantant, car Fandor plaisantait toujours, m^eme aux heures les plus graves, le journaliste essayait de se lever.
Par malheur, `a cet instant, il devait s’apercevoir de son entorse et comprendre qu’il lui 'etait impossible de marcher plus d’une dizaine de m`etres.
— Bigre, je suis frais… pensa Fandor.
Bouzille, de son c^ot'e, grognait :
— `A cette heure, remarquait le chemineau, va falloir que je me fasse brancardier et infirmier pour vous guider, monsieur Fandor. C’est bien le quatre-vingt-dix-neuvi`eme m'etier que j’essaierai. Mais, ma foi, je ne d'esesp`ere pas toutefois de faire fortune !
Bouzille aidait Fandor `a se mettre debout, il grommelait encore :
— D’ailleurs, c’est rudement dommage que j’sois pas une artiste `a l’Op'era. Rapport `a ce que j’suis 'egratign'e et que ma beaut'e en souffrira, je vous attaquerais devant la police !
Bouzille pouvait bien grommeler, Fandor ne l’'ecoutait d'ej`a plus.
Remis de la secousse brusque qu’il avait 'eprouv'ee lors de l’accident, J'er^ome Fandor, en effet, 'etait d'ej`a repris par les graves pr'eoccupations qui, quelques instants avant encore, lui faisaient de sang-froid affronter la plus dangereuse des luttes.
Fandor 'etait furieux.
— Avec tout cela, pensait-il, j’ai laiss'e Fant^omas s’enfuir, et il y a d'esormais bien des chances pour que je ne puisse jamais le rattraper !
Appuy'e sur l’'epaule de Bouzille, Fandor essayait en effet de faire quelques pas, mais le moindre mouvement lui causait une intol'erable douleur ; et, malgr'e son 'energique vaillance, il devait se rendre compte qu’il allait lui falloir `a toute force prendre du repos, se soigner, attendre.
Pr'ecis'ement, Bouzille demandait :
— Et alors, m’sieur Fandor, qu’est-ce qu’on fait ? Vous n’avez pas l’intention de continuer `a cloche-pied… C’est-il qu’on va demander l’hospitalit'e `a la ferme qu’il y a l`a-bas ?
Bouzille exag'erait un peu en parlant de ferme, car on apercevait tout juste, `a quelque distance du passage `a niveau ferm'e, une petite maisonnette des plus modestes, qui devait ^etre 'evidemment l’habitation du garde-barri`ere. Des poules couraient dans la cour, un chien dormait sur le seuil, un peu de fum'ee bleu^atre empanachait le haut des chemin'ees, mais nul habitant ne se montrait.
J'er^ome Fandor, d’un coup d’oeil, embrassa l’aspect rustique et paisible de cette maisonnette tranquille, puis accepta :
— Soit, allons l`a-bas. Tout de m^eme, je me demande comment il se fait que le garde-barri`ere ne soit pas accouru au bruit de l’accident ?
S’appuyant toujours sur Bouzille qui d'eclarait en apart'e qu’`a eux deux ils devaient faire un tableau charmant, Fandor se dirigeait vers la maisonnette et bient^ot avait le mot de l’'enigme en s’apercevant qu’`a part un enfant de trois ans qui jouait dans une cour, elle 'etait enti`erement vide.
Fandor restait ainsi avec Bouzille pr`es d’une heure dans l’humble logis, lorsqu’enfin la garde-barri`ere faisait son apparition et, naturellement, s’effarait.
La brave femme, d’ailleurs, tout en s’empressant de se mettre `a la disposition du journaliste, lui donnait la clef de l’'enigme que constituait la fermeture du passage `a niveau.
— Ca, c’est plut^ot fort, d'eclarait-elle, entrem^elant, en bonne Belge qu’elle 'etait, ses paroles d’expressions des plus pittoresques. Ca vous met vraiment le parapluie de travers ! Pour une fois, savez-vous, la barri`ere n’aurait pas d^u ^etre close, et s^urement c’est quelqu’un qui l’a boucl'ee !
Quelqu’un avait ferm'e le passage `a niveau…
Imm'ediatement, Bouzille devinait la v'eritable explication en ajoutant :
— Tiens, parbleu, je comprends, alors ; justement on devait prendre OEil-de-Boeuf sur la route. S^urement, c’est OEil-de-Boeuf qui a ferm'e le passage. Il a vu venir le tram, a vu venir l’automobile, il a devin'e que vous 'etiez au volant et que Fant^omas 'etait poursuivi, crac, il a tir'e les barri`eres… Eh ! mais, c’est pas b^ete du tout !