Le Cadavre G?ant (Гигантский кадавр)
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Ah ca ! qu’est-ce que cela signifiait ? Le train ne ralentissait pas !
Le convoi, loin de s’arr^eter, paraissait forcer son allure, et avancait `a une rapidit'e folle… Encore quelques secondes, et il d'epassait Fandor, si toutefois le journaliste avait le temps de se jeter de c^ot'e, s’il ne p'erissait pas broy'e sous sa masse.
Le drame se jouait en effet avec une folle rapidit'e.
J'er^ome Fandor n’avait pas eu le temps de concevoir le danger qu’il courait, que ce danger devenait imm'ediat, qu’il devenait terrible, qu’il 'etait certain, qu’il semblait in'evitable…
— Bigre !… jura le journaliste.
Fandor fit un effort, il voulut se relever, il tomba : la douleur de sa blessure 'etait telle qu’il ne pouvait plus se tra^iner…
Dans ces conditions, que faire ?
`A deux cents m`etres, le train foncait sur lui…
— Je suis perdu, r^ala le journaliste.
Il leva les bras en l’air, il tenta de crier, il voulut agiter son mouchoir…
H'elas, pourrait-on le voir !… Le train pourrait-il m^eme stopper `a temps ! Fandor savait bien que non…
Vou'e d`es lors `a une mort certaine, J'er^ome Fandor pendant quelques secondes fixa la locomotive qui semblait avaler les rails de fer, et les happer dans sa gueule rouge…
— Foutu, je suis foutu !… r'ep'etait-il encore.
Puis il se laissa tomber sur le sol, tout de son long, an'eanti, r^alant encore pourtant :
— Mais comment le m'ecanicien n’a-t-il pas stopp'e puisque le disque est `a l’arr^et ?
Quittant J'er^ome Fandor, Bouzille s’'etait 'elanc'e de toute la vitesse de ses vieilles jambes dans la direction du disque qu’il fallait fermer, ainsi que le lui avait recommand'e son compagnon.
Bouzille 'etait l’homme de toutes les entreprises et de toutes les combinaisons o`u il pouvait y avoir, sans trop de risques, quelque argent `a gagner.
`A l’occasion, Bouzille ne refusait point de fr'equenter Fant^omas ni de rendre service `a ceux de sa bande. Il disait avec philosophie qu’il fallait bien que tout le monde vive et qu’apr`es tout, comme on ne l’avait jamais vol'e, il ne pouvait pas savoir si les autres 'etaient aussi des voleurs, de m^eme qu’il ignorait s’ils 'etaient des assassins, puisqu’ils ne l’avaient jamais tu'e.
Chapardeur de nature et escroc d’occasion, Bouzille avait cependant pour Fandor et pour Juve, et cela depuis longtemps une extraordinaire admiration.
Bouzille, par une caract'eristique bizarre de sa nature, 'etait vaniteusement fier de pouvoir pr'etendre `a l’amiti'e des deux hommes et de pouvoir revendiquer des relations suivies, soit avec Juve, soit avec Fandor.
Bouzille, d’ailleurs, avait un culte pour H'el`ene, soi-disant fille de Fant^omas, la femme de Fandor, et Bouzille, en cons'equence, ne pouvait s’emp^echer de penser que parfois le sinistre bandit qui s’appelait le G'enie du crime se conduisait bien m'echamment.
Fort de toutes ces pens'ees et imbu de tous ces sentiments, Bouzille, en allant accomplir la mission dont l’avait charg'e Fandor, riait de tout son coeur.
— Vrai, c’est farce comme tout, expliquait-il. Y a pas moyen de s’ennuyer un instant, y a pas moyen de tomber neurasth'enique… Y n’arrive que d’l’inattendu et d’l’impr'evu, toujours ; quand on travaille avec Fant^omas, avec Juve ou avec Fandor, on peut se pr'eparer au truc le plus rigolo…
Car dans l’esprit de Bouzille, les aventures qui se succ'edaient 'etaient infiniment amusantes et dr^oles.
Bouzille trouvait tr`es bizarre d’^etre parti en voiture avec Fant^omas et d’avoir fini par culbuter dans un passage `a niveau alors que Fandor conduisait… Bouzille trouvait farce au possible d’avoir pu emp^echer Fandor de s’empoisonner… Bouzille enfin estimait qu’ils allaient accomplir, Fandor et lui, une merveilleuse prouesse, si r'eellement ils parvenaient `a faire arr^eter le rapide.
Bouzille, toutefois, toujours trottant, se rendait compte qu’il allait falloir agir avec une certaine attention.
— M’sieur Fandor, monologuait-il, m’a dit comme ca de fermer le disque… Bon… mais il ne m’a pas dit comment c’'etait que le disque 'etait ferm'e… Bah, ca ne fait rien, je me d'ebrouillerai…
Or, quelques instants plus tard, Bouzille faisait la grimace.
Suivant la voie en effet, il venait de d'epasser la courbe, il arrivait `a la partie du remblai o`u la ligne redevenait droite, droite `a l’infini…
Or, si Bouzille apercevait `a ce moment-l`a fort distinctement le disque, il apercevait aussi, `a moins de cinquante m`etres de lui, une petite maisonnette d’aiguilleur dans laquelle se trouvait tr`es certainement le personnage charg'e de commander le signal.
Bouzille fit la grimace, et cessa de courir…
— Oh ! oh ! songeait le chemineau, voil`a que ca se complique… Ca, c’est des oeufs de poule qui sont des oeufs de canard, autrement dit le blanc devient noir, et me v’l`a plus emb^et'e qu’une pomme de terre dans la friture !
Bouzille se rendait fort bien compte, en effet, qu’il 'etait d'esormais impossible d’agir ainsi que le lui avait recommand'e Fandor.
Fermer le disque en d'emolissant le m'ecanisme, telle 'etait la consigne qu’il avait recue. Cette consigne devenait inex'ecutable puisque, `a quelques pas du signal, se trouvait pr'ecis'ement un employ'e, lequel ne manquerait pas d’intervenir, d’engager une lutte, et probablement de vaincre Bouzille, qui, en raison de son ^age, ne pouvait gu`ere pr'etendre `a la force ou `a l’agilit'e.
Bouzille se dit tout cela en quelques instants. Il se le dit en rechignant, par acquit de conscience, car en r'ealit'e son ^ame 'etait impassible, et Bouzille ignorait le mauvais sang qui ronge, l’inqui'etude qui angoisse.
— Bon, bon, rusons !… d'ecida Bouzille.
Le chemineau, de son pas tranquille, encore qu’il songe^at que Fandor devait terriblement s’impatienter, avanca jusqu’`a la maisonnette de l’aiguilleur. Bouzille ouvrit la porte, mit poliment le chapeau `a la main :