Le magistrat cambrioleur (Служащий-грабитель)
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Fant^omas, tout en parlant, se f'elicitant du r'esultat de la macabre op'eration `a laquelle il venait de se livrer, continuait `a contempler le corps de sa victime, maintenant rev^etu des habits qu’il portait il y a quelques minutes.
— Sapristi, c’est tout de m^eme ennuyeux de laisser derri`ere moi ce cadavre. Si je le lance sur la voie, il sera retrouv'e rapidement. Si je le laisse dans ce fourgon, on le d'ecouvrira `a Chartres. Qu’en faire ? D'ecid'ement, il y a un voyageur de trop dans ce train.
Or, pour r'esister aux cahots amen'es par la vitesse du train, Fant^omas venait de s’appuyer `a un 'enorme tonneau pos'e de champ, au milieu du fourgon. Ce fut pour lui la source d’une inspiration soudaine que d’en lire l’'etiquette :
— Mis'ericorde, s’exclama le bandit, je ne pouvais pas r^ever mieux. De la chaux. Je n’ai qu’`a enfoncer ce cadavre dans cette chaux, l’an'eantissement sera complet. Chair, os, habits, tout sera mang'e, d'etruit, br^ul'e.
Fant^omas 'etait prompt `a d'ecider, plus prompt encore `a ex'ecuter. Bien qu’il n’e^ut pour outil qu’une mauvaise tige de fer ramass'ee dans un coin du fourgon, il d'efonca le robuste tonneau en moins d’une heure. Prendre alors `a pleine poign'ee la chaux qui le remplissait, l’'eparpiller par la porti`ere ouverte du wagon, un jeu d’enfant. Bient^ot, Fant^omas disposa d’une place suffisante pour enfouir le corps `a m^eme ce qui restait de chaux. Ce ne fut pas long. Fant^omas saisit le corps, le hissa, le bascula dans le tonneau. Alors riant d’un rire sarcastique, cependant qu’il renfoncait `a grands coups de poing le couvercle que l’'elasticit'e naturelle du bois maintenait suffisamment, le bandit s’'ecria :
— Ma foi, il y avait tout `a l’heure un voyageur en trop, je puis bien dire maintenant qu’il y a un voyageur en moins, car j’imagine que dans la chaux, c’est l’affaire de trois ou quatre jours au plus pour que le corps soit enti`erement br^ul'e.
De plus en plus joyeux, de plus en plus rassur'e par la tournure que prenaient les 'ev'enements, il se f'elicitait lui-m^eme lorsque soudain, pour la dixi`eme fois peut-^etre depuis son crime, le train s’arr^eta dans une petite gare.
— Morbleu, il me semble que voil`a un endroit tout indiqu'e pour regagner le compartiment de premi`ere classe, o`u je devrais ^etre, normalement, si toutefois je trouve moyen d’'echapper aux regards soupconneux des employ'es ?
Or, apr`es avoir marqu'e l’arr^et, le train avant m^eme d’entrer en gare manoeuvrait sur des voies de garage.
— `A coup s^ur, estima le bandit, nous devons longer quelque quai o`u il doit y avoir des marchandises pesantes `a embarquer. Bon, sachons attendre.
Le bandit avait devin'e juste.
Le train dans lequel il se trouvait, manoeuvra sur une voie de garage puis s’immobilisa enfin au long d’un quai sur'elev'e o`u, dans le lointain, Fant^omas venait d’apercevoir des hommes d’'equipe s’affairant.
Le bandit se frappa le front d’un geste furieux :
— Mais c’est absolument idiot ce que je viens de faire. J’imagine que le corps de cet imb'ecile va ^etre mang'e par la chaux, je me trompe. Il n’en est rien. La chaux qui 'etait dans ce tonneau qui y est encore, qui recouvre ma victime, c’est de la chaux 'eteinte. Ce qu’il faudrait c’est de la chaux vive. Ah diable de diable.
Puis brusquement, une joie soudaine envahit le forban :
— Si je croyais en Dieu, dit-il, tout en faisant effort pour ouvrir grande la porti`ere `a contre-voie du wagon, si je croyais en Dieu, j’en conclurais que le ciel est avec moi.
Fant^omas, tout en parlant, la porti`ere une fois ouverte, revint se saisir du tonneau de chaux o`u il avait enfoui le cadavre. Il l’'ebranla, il le roula, il l’amena sur le bord du wagon et, de l`a, le pr'ecipita dans le vide. Qu’avait donc encore invent'e le bandit ?
Sa derni`ere manoeuvre, pour 'etrange qu’elle par^ut, 'etait en r'ealit'e remarquablement ing'enieuse.
Comme le train s’arr^etait, en effet, Fant^omas avait remarqu'e `a travers l’interstice des parois, que son wagon dominait un 'enorme bassin servant probablement de r'eserve d’eau aux locomotives. C’'etait dans ce r'eservoir que Fant^omas venait de balancer le tonneau-cercueil. Et tandis que le train s’'ebranlait pour entrer en gare, Fant^omas, se tenant pr^et `a descendre, 'eclatait de rire une fois de plus.
— De la chaux 'eteinte jet'ee dans de l’eau, monologuait-il, cela fait, si je ne m’abuse, de la chaux vive. Eh parbleu, je ne pouvais pas r^ever mieux, Je ne pouvais pas faire une supposition plus favorable que celle-ci : trouver, juste au moment o`u j’en ai besoin, le creuset gigantesque qu’est ce r'eservoir, o`u an'eantir le corps de ma victime.
***
Dix minutes plus tard, le bandit 'etait install'e dans le compartiment de premi`ere classe o`u, `a Saumur, le malheureux voyageur qu’il avait tu'e avait pris place.
Fant^omas 'etait radieux.
— Ouf, songeait-il, s’'etirant voluptueusement sur la banquette capitonn'ee, me voici, je pense, d'efinitivement hors d’affaire. J’ai des v^etements nouveaux, je suis dans un train o`u l’on ne sait pas que je suis. Bien fins seront L'eon et Michel s’ils parviennent `a me rejoindre.
Il en 'etait l`a de son monologue quand, la porti`ere de son compartiment s’ouvrit, un employ'e se tenant sur le marchepied lui demandait, sans d’ailleurs avoir l’air de soupconner quoi que ce soit :
— Votre billet, monsieur ?
Fant^omas n’avait pas song'e `a cela.
Quelques minutes avant, en sautant du wagon de marchandises, pour venir prendre place dans le compartiment de premi`ere classe, il avait n'eglig'e de regarder le nom de la station o`u le train arrivait.
Pour gagner du temps, machinalement, il fouillait dans les goussets de son gilet.
Aussi, fut-ce avec un 'etonnement voisin de la stup'efaction, qu’il entendit l’employ'e lui dire :
— Dans la poche de droite. Oui, dans celle-l`a monsieur. C’est un permis de circulation que vous avez. Je viens de l’apercevoir pendant que vous vous fouilliez.