Le magistrat cambrioleur (Служащий-грабитель)
Шрифт:
Or, tandis que le marquis de Tergall parlait, `a tort et `a travers, Fant^omas, de plus en plus anxieux, comprenant qu’il ne pouvait songer cette fois `a se rendre libre en tuant les deux hommes qui l’accompagnaient, surveillait de temps `a autre le visage du ch^atelain, l’attitude du voiturier aussi.
Comme M. de Tergall posait la question : « Vous ^etes voyageur de commerce, sans doute ? » Fant^omas crut voir qu’une certaine curiosit'e, une curiosit'e amus'ee, presque un sourire, passait sur le visage du conducteur. Fant^omas sentit une sueur froide lui perler aux tempes. Que devait-il r'epondre ? La question qui lui 'etait adress'ee ne permettait plus une phrase de doute, une phrase vague. Qui 'etait-il ? Il fallait le dire.
Or, non seulement Fant^omas ne savait quoi r'epondre, mais encore il r'efl'echissait qu’il devait r'epondre sans h'esitation, avec exactitude, car si lui ignorait le personnage qu’il 'etait, le voiturier, en revanche, semblait parfaitement le savoir.
Terrible minute, pour le bandit. Fant^omas eut nettement conscience que son imposture allait 'eclater.
Soudain, l’id'ee d’une ruse lui monta `a l’esprit :
— Ma carte vous renseignera, monsieur.
Fant^omas d'eboutonna son pardessus, fouilla d’une main f'ebrile dans la poche de son veston.
— Sacr'edi'e, songeait en cet instant le Roi du Crime, le Ma^itre de l’'Epouvante, que le cric me croque, l’homme que j’ai assassin'e devait bien poss'eder un portefeuille. Cr'enom de nom de d’la, vivement ma carte de visite.
Effectivement, il y avait dans la poche de son veston un portefeuille de cuir noir, et dans une pochette du portefeuille de cuir noir, des cartes de visite. Fant^omas en prit une, il allait la lire, mais d'ej`a M. de Tergall avancait la main.
Fant^omas donna le bristol sans avoir eu le temps de se renseigner lui-m^eme. Or, `a peine le marquis de Tergall eut-il saisi le carton grav'e qu’une exclamation s’'echappa de ses l`evres.
— Quoi ? faisait-il, vous ^etes M. Pradier ? M. Pradier, le nouveau juge d’instruction ? le successeur de M. Morel ? Vous ^etes M. Pradier ? M. Charles Pradier ?
Que put r'epondre le bandit, sinon :
— Mais oui, monsieur. Mais oui, je suis en effet M. Pradier, Charles Pradier, le nouveau juge d’instruction.
18 – M. PRADIER, JUGE D’INSTRUCTION
— Monsieur…
On frappait `a la porte.
— N’entrez pas. Apr`es tout, si, entrez.
Le changement d’avis 'etait superflu d’ailleurs, le garcon d’h^otel n’avait pas attendu la permission.
Or, ce garcon de l’ H^otel Europ'een, une fois la porte ouverte, vit un homme 'etendu sur le plancher de la chambre, gisant `a demi d'ebraill'e au milieu de papiers 'epars de tous c^ot'es. Une bougie avait r'epandu sa cire sur le sol.
Sur les meubles, le lit, des v^etements, du linge, dans le plus grand d'esordre, et une grande malle ouverte aux trois quarts vide.
L’homme que le garcon, par son irruption soudaine, venait d’arracher `a un profond sommeil, bien qu’il f^ut d'ej`a neuf heures du matin, regardait l’intrus avec des yeux stup'efaits. Cet homme, c’'etait Fant^omas, ou plus exactement, sa derni`ere incarnation.
Fant^omas, en effet, 'etait aujourd’hui M. Pradier, juge d’instruction comme on l’a vu au chapitre pr'ec'edent.
Cette personnalit'e, `a laquelle le bandit avait encore peine `a croire, le garcon d’h^otel venait encore de la pr'eciser.
— Monsieur Pradier, disait en effet le serviteur, excusez-moi de vous d'eranger, mais il y a M. Morel, le juge d’instruction, votre coll`egue, qui vous attend en bas. Dois-je le faire monter ?
— Non, attendez. Demandez `a M. Morel d’attendre deux minutes, cinq minutes, oui dans cinq minutes je descends le rejoindre au salon.
— C’est bien, monsieur.
Rest'e seul, le bandit revit la fin de la promenade en voiture de la veille. `A peine le voiturier s’'etait-il arr^et'e devant l’ H^otel Europ'eenque Fant^omas avait vu s’avancer un homme haut, sec, d’une grande autorit'e. Ce personnage s’'etait pr'esent'e aussit^ot :
— M. Anselme Roche, le procureur g'en'eral. Vous ^etes, j’imagine M. Pradier, notre nouveau juge d’instruction, je suis fort heureux de faire votre connaissance.
Fant^omas n’avait eu garde de soutenir le contraire.
Au surplus, le procureur g'en'eral n’avait pas insist'e longuement et n’avait pas eu le temps de se perdre en formules de politesse. Il avait vu que celui qu’il prenait pour le nouveau juge d’instruction arrivant avec le marquis de Tergall 'etait compl`etement boulevers'e. Le voiturier bavardait d'ej`a avec le personnel de l’h^otel, et presque aussit^ot, le procureur g'en'eral avait 'et'e au courant de ce qui venait de se produire.
Avidement, le magistrat s’'etait empress'e d’attirer le pseudo Pradier dans un salon priv'e pour l’interroger sur l’affaire dont il avait 'et'e le t'emoin involontaire.
Les deux hommes avaient longuement caus'e : le faux Pradier avait expos'e au procureur g'en'eral le d'etail des faits avec une si lumineuse pr'ecision que l’avocat du gouvernement, saisi d’admiration, n’avait pu s’emp^echer d’interrompre son nouveau coll`egue pour lui d'eclarer :
— Ah, ah, mon cher monsieur Pradier, je vois que vous ^etes un magistrat de la bonne 'ecole, permettez-moi de vous f'eliciter.
Il avait ajout'e :
— Nous avons besoin ici d’un juge d’instruction 'energique. Je ne veux point dire de mal de votre pr'ed'ecesseur, M. Morel, mais de vous `a moi, il est vieux, fatigu'e, il se d'esint'eresse de sa carri`ere et compte dans le pays, qu’il habite depuis fort longtemps, beaucoup trop de relations d’amiti'e pour n’en ^etre pas sans cesse g^en'e dans l’exercice de ses fonctions.
Puis le procureur raconta `a Fant^omas abasourdi, et r'esign'e d'esormais `a sa nouvelle profession, les myst'erieux crimes, le vol des bijoux de Chamb'erieux, celui de l’argent de Tergall, l’arrestation du pr^etre Jeandron, sa mise en libert'e, et il avait conclu :