Le magistrat cambrioleur (Служащий-грабитель)
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Toute la nuit, le bandit avait r'efl'echi, et d'ecid'e en fin de comptes de risquer le tout pour le tout. C’est ainsi que Fant^omas avait disparu pour rena^itre sous les esp`eces de M. Charles Pradier, juge d’instruction au Tribunal de Saint-Calais. On verrait bien.
Et le bandit, satisfait de sa d'ecision, mais ext'enu'e, 'etait rest'e 'etendu sur le sol, au milieu des papiers 'epars, et il avait dormi `a poings ferm'es jusqu’au moment o`u le garcon 'etait venu l’informer que son coll`egue, M. Morel, l’attendait dans le salon de l’h^otel.
Sit^ot r'eveill'e, le faux Pradier avait proc'ed'e `a une toilette rapide, et un quart d’heure plus tard, il descendait au salon o`u le vieux juge d’instruction, patiemment, l’avait attendu.
Apr`es les salamalecs de rigueur :
— Alors, mon cher coll`egue, vous avez fait arr^eter le marquis de Tergall ? avait demand'e Morel.
— Oui, r'epliqua simplement Pradier-Fant^omas.
— Vous avez os'e ?
— J’ai os'e, en effet, pourquoi pas ?
— 'Evidemment, c’'etait votre droit, j’ajouterai m^eme votre devoir, puisque vous croyez `a sa culpabilit'e. Mais enfin, cela va cr'eer un 'enorme scandale dans le pays.
Assur'ement, Morel 'etait aussi troubl'e de cet 'ev'enement que l’avait 'et'e l’int'eress'e lui-m^eme l’infortun'e marquis quand on lui avait mis les menottes.
Fant^omas, en consid'erant le vieux magistrat qu’il allait remplacer, se rendait compte que le procureur g'en'eral ne s’y 'etait pas tromp'e, qu’assur'ement, Morel 'etait un homme bien trop h'esitant, et bien trop tenu par ses relations mondaines avec la ville et le voisinage pour pouvoir exercer ses fonctions avec la fermet'e n'ecessaire.
Morel n’insista pas d’ailleurs, il proposa `a son remplacant :
— Je m’en vais vous conduire au Palais et vous installer dans mon cabinet, dans votre cabinet d'esormais… Puisque mes fonctions cessent du jour o`u vous commencez les v^otres.
Chemin faisant, Morel exposa, volubile, le d'etail des affaires en cours, sans en oublier une seule.
— Si je vous donne tous ces renseignements, expliqua-t-il d’un air embarrass'e, c’est parce que je voudrais bien vous passer le service tout de suite. Ce matin m^eme. Voici pourquoi. Depuis longtemps la sant'e de M me Morel r'eclame imp'erieusement le Midi. Or, depuis quinze jours, nous savions votre arriv'ee, fix'ee `a ce jour, et nous avions d'ecid'e de partir aussit^ot pour Nice. Y voyez-vous un inconv'enient ? Les affaires en cours ne sont pas tr`es compliqu'ees. J’avoue les avoir quelque peu n'eglig'ees ces temps derniers, et compt'e sur vous pour la remise au point. Vous ne voyez pas d’inconv'enient `a ce que je vous quitte d`es que je vous aurai remis les dossiers ?
— D'ecid'ement, se disait le pseudo Pradier, les choses vont de mieux en mieux.
Et il r'epondit au magistrat avec un aimable sourire :
— Mais pas le moins du monde, mon cher coll`egue, trop heureux si je puis vous ^etre agr'eable.
Et le faux Pradier s’'etait install'e ce m^eme matin, dans son cabinet de juge d’instruction, au Palais de Justice de Saint-Calais o`u d'esormais il 'etait seul et il 'etait le ma^itre.
Morel, en s’en allant, lui avait pr'esent'e le greffier, petit homme maigre, sale, affubl'e d’une casquette de velours, et dont le visage 'emaci'e disparaissait derri`ere une barbe grise, hirsute.
Fant^omas prenant son r^ole tout `a fait au s'erieux, interpella son futur collaborateur :
— Comment vous appelez-vous, monsieur le greffier ?
Le petit homme r^ap'e quittait son pupitre, et courbant le dos, dans une attitude, humble et respectueuse, s’approchait du juge :
— Croupan, pour vous servir, monsieur le juge d’instruction.
— C’est bien, Croupan, j’esp`ere que nous ferons bon m'enage. Connaissez-vous le code ?
— Sans me vanter, monsieur le juge, je le sais `a peu pr`es par coeur.
— `A merveille, j’ai des d'efaillances monsieur le greffier, alors je compte sur vous, car, il m’arrive de dire une chose en pensant tout le contraire, vous rectifierez.
— Monsieur le juge veut plaisanter. Monsieur le juge en sait beaucoup plus long que moi. J’ai lu sur l’annuaire que non seulement Monsieur le juge 'etait docteur en droit, mais, encore, laur'eat de la Facult'e.
— Tiens, pensa Fant^omas, voil`a qui est encore bon `a savoir.
Il esquissa un geste vague :
— Sans doute, sans doute, fit-il, mais il y a si longtemps que j’ai pass'e mes examens.
Les deux hommes s’interrompirent :
La porte venait de s’ouvrir, livrant passage `a une femme, 'el'egante, jolie, distingu'ee, qui s’arr^eta net en apercevant Fant^omas :
— Oh pardon, messieurs, dit-elle.
Puis, avisant le commis-greffier :
— Ce n’est donc pas le cabinet de M. Morel ?
Fant^omas prit la parole, et avec une froide dignit'e :
— Vous ^etes bien, madame, dans le cabinet de M. Morel, mais M. Morel n’est plus en fonctions, et je suis son remplacant.
La jeune femme se mordit la l`evre, rougit :
— Oh, je vous demande pardon, fit-elle.
Elle balbutia quelques paroles incompr'ehensibles, puis, fixant Fant^omas d’un regard inquiet :
— Le nouveau juge, murmura-t-elle. C’est vous, monsieur ? Alors, c’est vous qui avez arr^et'e mon mari ?
— `A qui ai-je l’honneur de parler, madame ?
La jeune femme baissa la t^ete, et d'eclara d’une voix imperceptible :
— Je suis la marquise de Tergall.
Le faux magistrat ne broncha pas.
La marquise, soudain, joignit les mains :
— Monsieur, s’'ecria-t-elle, gr^ace pour lui. Lib'erez-le.
— Le lib'erer, madame ? Et pourquoi donc ?
— Parce qu’il est innocent, monsieur, innocent, je vous le jure.
— Madame, je voudrais vous croire, mais il me faudrait des preuves.