Le magistrat cambrioleur (Служащий-грабитель)
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— Des preuves, mais j’en ai.
— Parlez, madame.
Fant^omas, galamment, avait d'esign'e un si`ege `a la jeune femme qui s’y laissa choir, comme rompue de fatigue. Des larmes lui perlaient aux yeux. Avec des gestes nerveux, saccad'es, elle se tapota les paupi`eres de son mouchoir de linon.
— Monsieur, commenca-t-elle, d’une voix entrecoup'ee par des sanglots contenus, je vais tout vous dire, quoi qu’il puisse en co^uter `a mon coeur de femme, `a ma dignit'e d’'epouse. H'elas je suis malheureuse en m'enage, mon mari a une ma^itresse, une fille de rien, une chanteuse, une chanteuse d’un caf'e-chantant du Mans. Je le sais depuis longtemps. Hier, Maxime – Maxime, c’est mon mari, monsieur – est parti sit^ot apr`es le d^iner sans me dire o`u il allait, il s’est rendu chez cette femme qui habite une maison `a Saint-Calais m^eme. J’ai suivi mon mari, je l’ai vu entrer chez sa ma^itresse. Il n’en est pas ressorti, que je sache, de longtemps. Or, mon mari est rest'e `a attendre cette femme, et cette femme a 'et'e absente toute la nuit, c’est donc qu’elle n’a pas pass'e la nuit chez elle.
— Mais quel rapport ?
— Vous allez comprendre, monsieur. Cette femme, cette actrice qu’on appelle Chonchon, a donc 'et'e absente toute la nuit, j’en ai la preuve. Il vous est facile maintenant de comprendre que c’est elle qui a assassin'e Chamb'erieux.
— La conclusion est un peu rapide, madame. Du fait qu’une dame, qu’une chanteuse, d'ecouche de chez elle, m^eme pendant toute une nuit, il est difficile de d'eduire qu’elle est l’auteur d’un crime. C’est tout `a fait insuffisant.
Fr'emissante, la marquise s’'etait lev'ee :
— Ca n’est pas insuffisant, monsieur, quand on sait que l’enqu^ete faite ce matin sur le th'e^atre du crime a r'ev'el'e des traces de bottines de femme, traces bien apparentes et se m^elant `a celles laiss'ees dans la for^et par l’infortun'e Chamb'erieux. J’ajoute, monsieur, que cette… demoiselle Chonchon accordait 'egalement ses faveurs `a l’infortun'e bijoutier, qu’elle a certainement tu'e.
— Qui a d'ecouvert ces traces, madame ? Serait-ce vous, par hasard ?
— Ce n’est pas moi, monsieur, c’est un homme et un homme respectable, s'erieux, connu, en qui l’on peut avoir toute confiance. Je ne le connaissais pas avant ce matin, j’ai eu l’occasion de le rencontrer, il m’a r'ev'el'e spontan'ement sa d'ecouverte.
— Ah, ah, fit Fant^omas, que les propos de la marquise commencaient 'evidemment `a int'eresser. Et comment s’appelle ce monsieur ?
— C’est M. J'er^ome Fandor, un journaliste de Paris.
Fant^omas, un instant, se demanda s’il n’allait pas tout simplement prendre la porte et dispara^itre pour fuir ce nouvel adversaire, 'eviter les dangers de sa rencontre. Mais le bandit avait en lui-m^eme une confiance admirable. En faisant sa toilette, il avait achev'e de modifier l’aspect de son visage, et sans pr'etendre ressembler au v'eritable Pradier dont il avait pris la place, il 'etait assur'e du moins que le personnage qu’il avait compos'e de toutes pi`eces ne ressemblait en rien `a lui. En un mot comme en cent, Fant^omas n’'etait plus Fant^omas.
Et d`es lors, sans qu’un muscle de son visage e^ut boug'e, le bandit r'epondit `a la marquise :
— Ce monsieur J'er^ome Fandor, madame, je serais fort heureux de faire sa connaissance. Vous a-t-il accompagn'ee au Palais ? Je suis pr^et `a le recevoir.
— Ah merci, merci monsieur, je vois que vous n’avez aucun parti pris contre mon infortun'e mari et que vous ^etes dispos'e `a faire toute la lumi`ere. M. Fandor n’est pas ici, mais il est `a l’h^otel. Voulez-vous que j’aille le chercher ? Ce sera l’affaire de quelques minutes.
— Nullement, madame, ne vous d'erangez pas, nous l’enverrons chercher.
Le faux magistrat s’'etait tourn'e vers le greffier :
— Monsieur Croupan, voulez-vous dire `a un garde du Palais…
Mais le greffier, qui comprenait l’intention de son sup'erieur, l’interrompit aussit^ot :
— Le garde du Palais ? il n’y en a qu’un, monsieur, et il n’est pas encore arriv'e, nous sommes seuls. Toutefois, si vous le d'esirez, je suis `a votre disposition comme j’'etais `a la disposition de M. Morel pour aller faire les courses. Dois-je courir `a l’h^otel et prier M. Fandor de venir ?
— C’est cela, allez-y monsieur Croupan.
Le greffier trottina dans la pi`ece, salua la marquise, et, en s’en allant, r'ep'eta :
— Je ne serai pas long, monsieur, monsieur Pradier.
Cependant que le brave homme refermait derri`ere lui, la porte du cabinet, la marquise de Tergall s’'ecria d’une voix vibrante :
— Qui est-ce M. Pradier ?
— C’est moi, madame. Je suis M. Pradier, le nouveau juge d’instruction. Mais qu’avez-vous donc ?
— Pradier dit-elle d’une voix entrecoup'ee de sanglots, vous ^etes Pradier ? Charles Pradier ? Charles ?
Puis elle ajouta :
— Pardon. Pardon.
— Remettez-vous, madame, fit-il, doucement, expliquez-vous.
La marquise regarda Fant^omas dans le blanc des yeux, avant de d'eclarer comme dans un cri :
— Je suis Antoinette.
— Ah ?
— Mon nom de jeune fille est Antoinette Linder.
— Ah, r'ep'eta Fant^omas qui craignait toujours de se compromettre. Il se rendait compte que sans doute, pour le vrai Pradier, cela signifiait quelque chose. Cela va mal finir, pensait-il. Mais le pseudo Pradier, d'ecid'ement, avait toutes les chances pour lui. La marquise, en effet, s’'etait d'ej`a reprise :
— H'elas, je comprends, Linder cela ne vous dit rien, mon pauvre Charles.
L`a, elle avait saisi les mains de Fant^omas et elle les 'etreignait de toutes ses forces.
— C’est une folle, pensa le bandit, que faire ?
— 'Ecoutez, continuait la marquise, je vais tout vous dire, il y a trop longtemps que ce secret m’'etouffe. Ma m`ere, il y a quarante ans a mis au monde un enfant. `A cause d’un p`ere terrible et du qu’en dira-t-on, elle a dissimul'e la chose, abandonn'e son enfant. Le p`ere de ce fils lui avait donn'e son nom mais a p'eri dans un accident, quelques jours apr`es la naissance. Puis, Maman s’est mari'ee. Elle a eu une fille, Antoinette, c’est moi. Je n’ai appris l’existence de ce fr`ere a^in'e que sur son lit de mort : — 'Ecoute Antoinette, m’a dit Maman, tu h'erites de ma fortune enti`ere. Tu apportes `a ton mari un capital d’un million. Mais ton fr`ere, qui n’est pas reconnu par la Loi, a droit `a la moiti'e de la fortune que je te remets. Jure-moi que si tu le retrouves, tu lui rendra cette fortune. Or ce fr`ere, monsieur le juge, s’appelle Charles Pradier.
Et, dans un 'elan spontan'e, irr'esistible, la marquise de Tergall se jeta au cou de Fant^omas, suffoqu'e, et sanglota pench'ee sur son 'epaule.
— Mon fr`ere, balbutiait-elle, `a travers ses sanglots.
Fant^omas s’efforcait de rendre `a celle qui venait si inopin'ement de se r'ev'eler comme sa soeur, ses effusions et ses tendresses.
Et Fant^omas se disait que, bien souvent, les romanciers mettent `a la torture leur imagination pour trouver des situations ahurissantes, alors qu’en regardant autour d’eux, les accidents de la vie humaine les combleraient.