Le magistrat cambrioleur (Служащий-грабитель)
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— Et mon mari, monsieur ? interrompit la marquise de Tergall, qu’allez-vous en faire ? ne le croyez-vous pas, lui aussi innocent ?
Fant^omas se tourna vers la marquise. Il lui sourit en inclinant la t^ete :
— Je crois, madame, fit-il, qu’il a de bien grandes chances d’^etre remis en libert'e avant la fin de la matin'ee. Et voici pourquoi :
Fant^omas, d'esormais, s’adressait `a Fandor :
— J’ai pris note, monsieur, d'eclara-t-il, de votre int'eressante d'ecouverte sur les 'ecorces des arbres. Il m’appara^it certain aussi, comme `a vous, que le coup de feu a 'et'e tir'e par une personne de petite taille. Or, le marquis de Tergall est un homme grand, tr`es grand m^eme. Ce n’est donc pas lui qui a tir'e et j’estime que, vu ses ant'ec'edents, son honorabilit'e parfaite, je ne ferai pas preuve d’indulgence exag'er'ee en le mettant en libert'e, ce que je vais faire incessamment. Pour nous r'esumer, monsieur Fandor, puisque vous voulez bien me pr^eter votre pr'ecieux appui dans cette myst'erieuse affaire, je vous propose la conclusion suivante : l’assassin de Chamb'erieux, vu la subtilit'e et l’adresse qu’il a d'eploy'ees, est un professionnel du crime, et ce professionnel du crime est, en outre, un homme de petite taille. Il nous resterait avec ces deux 'el'ements, `a nommer l’assassin, pouvez-vous le faire, monsieur Fandor ?
— Non, reconnut le journaliste, pas pour le moment, du moins, mais je vous admire, monsieur le juge d’instruction, je trouve que vous ^etes diablement fort.
Fant^omas, tr`es ma^itre de lui, tendit la main `a Fandor :
— Serrez-la, monsieur, fit-il.
Et, J'er^ome Fandor pressa dans les siens, les doigts de celui qu’il prenait pour un magistrat.
19 – JUVE, BAGNARD
— Vous avez une permission de M. le bourgmestre ? Vraiment c’est 'etonnant. Voil`a qui est curieux. En tout cas vous me ferez grand plaisir en me la montrant. Depuis que je suis directeur de la maison d’arr^et de Louvain je n’ai jamais entendu dire que quelqu’un du dehors, f^ut-ce le bourgmestre, le ministre de la Justice ou Sa Majest'e elle-m^eme, puisse donner `a un tiers venant de l’ext'erieur la permission de visiter un prisonnier.
Le personnage qui prononcait ces mots paraissait s^ur de son fait.
C’'etait un homme jeune, distingu'e, `a l’aspect froid et correct qui adressait ces mots `a J'er^ome Fandor assis en face de lui dans un 'el'egant cabinet de travail meubl'e avec go^ut, voire m^eme avec recherche et qui aurait paru le boudoir coquet d’une jolie femme ou le cabinet de travail d’un po`ete, n’eussent 'et'e les fen^etres grillag'ees et les murs sinistres que l’on apercevait par celles-ci.
Fandor 'etait g^en'e de ce d'ebut. Non sans peine il avait r'eussi `a s’introduire dans la prison de Louvain et `a se faire admettre aupr`es du directeur. `A la v'erit'e il poss'edait une lettre de recommandation pour ce personnage et cette lettre lui avait 'et'e donn'ee deux mois auparavant ; il l’avait obtenue alors qu’il 'etait en France par l’interm'ediaire d’un ami habitant Bruxelles et qui lui avait 'ecrit en lui faisant parvenir ce document :
Mon cher monsieur Fandor, le directeur du bagne de Louvain, M. Van den Goossen est un brave homme, simple et cordial, mais tr`es timor'e et la recommandation sign'ee du procureur que je vous joins sera insuffisante si vous n’arriviez aupr`es du directeur avec beaucoup d’aplomb et si, jouant sur les mots et le sens de la lettre, vous ne commencez pas par lui affirmer avec la plus parfaite audace que cette lettre de recommandation constitue une v'eritable autorisation de vous laisser communiquer m^eme par-dessus la t^ete du directeur. M. Van den Goossen sera surpris, mais convaincu sans doute et vous r'eussirez.
Or, dans l’intervalle qui s’'etait 'ecoul'e entre l’envoi de cette recommandation `a Fandor et la venue du journaliste `a Louvain, M. Van den Goossen avait obtenu son changement, s’'etait vu remplacer par M. Huguelmans. Or, autant le premier directeur 'etait un homme susceptible de se laisser intimider, autant M. Huguelmans avait conscience du r^ole important qu’il jouait, de l’autorit'e absolue dont il disposait et Fandor qui ignorait non seulement la mentalit'e du nouveau chef, mais m^eme qu’il ne s’adressait plus au pr'ec'edent directeur, avait fort mal engag'e son affaire et devant l’accueil qui lui 'etait fait, tout en maudissant sa gaffe, il tenta prudemment de battre en retraite.
— Oh, une permission, je me suis mal expliqu'e, monsieur le directeur. C’est une recommandation simplement. Je sais en effet que vous ^etes le ma^itre chez vous et que nul n’a qualit'e pour intervenir dans votre administration sans votre assentiment pr'ealable. Voici d’ailleurs cette recommandation.
M. Huguelmans lut la lettre :
— Je comprends, fit-il avec un sourire 'enigmatique, cette lettre est vieille de deux mois. Elle 'etait adress'ee `a mon pr'ed'ecesseur, je ne sais pas si je dois la prendre en consid'eration.
Fandor saisit l’occasion pour insister et obtenir la faveur sollicit'ee.
— Je n’ai pas de veine, pensait-il, il faut que juste au moment o`u je me pr'esente je me trouve en pr'esence d’un bonhomme imbu de sa personnalit'e. Mauvais ca.
Et le visage du journaliste trahissait son anxi'et'e.
Fandor, s’il avait su le fond des choses, se serait au contraire f'elicit'e de se trouver en face de M. Huguelmans. Car Fandor demandait `a voir le prisonnier D. 33. Or, M. Huguelmans, nouveau venu dans la prison, n’avait pas encore eu le loisir d’'etudier les dossiers relatifs aux d'etenus et `a ses yeux vraisemblablement le D. 33 n’avait ni plus ni moins d’importance que le A. 32 ou le C. 34, que n’importe quel autre prisonnier.
Or, si Fandor avait rencontr'e dans ce cabinet directorial celui qui l’occupait pr'ec'edemment, c’est-`a-dire M. Van den Goossen, l’ancien directeur n’aurait jamais au grand jamais, autoris'e, malgr'e son caract`ere accessible aux recommandations, une communication avec un prisonnier tel que le D 33, dont M. Van den Goossen savait qu’il n’'etait autre que…
Somme toute, Fandor n’'etait pas trop mal tomb'e.
M. Huguelmans, apr`es avoir lu et relu la lettre de recommandation, questionna le journaliste :
— Pourquoi, monsieur, demanda-t-il, d'esirez-vous voir le D. 33 ?
Fandor avait pr'epar'e toute une petite histoire et d'ecid'e au pr'ealable de cacher au directeur de la prison sa qualit'e de journaliste :
— Mon Dieu, monsieur le directeur, voici ce qui m’am`ene : je suis professeur de langues vivantes et attach'e `a l’Universit'e de New York, o`u je fais des 'etudes sur l’anglais du Moyen ^Age. J’ai eu l’occasion, me trouvant `a Rome, de d'ecouvrir chez un bouquiniste le manuscrit d’un auteur 'ecossais, qu’il m’a 'et'e `a peu pr`es impossible de traduire. C’est en vain que j’ai cherch'e quelqu’un de capable de le faire et ce n’est qu’`a Berlin que j’ai rencontr'e un savant. Il n’a pu le traduire non plus, mais du moins m’a appris qu’il existait `a la prison de Louvain un homme, un 'erudit, traducteur distingu'e et que seul cet homme pourrait me donner satisfaction.
— Et ce traducteur ? c’est le prisonnier D. 33 ?
— Oui, monsieur.
M. Huguelmans avait appuy'e sur un timbre :
— Pourvu, pensa le journaliste que le renseignement que j’ai obtenu soit exact et qu’il soit vrai qu’on occupe le D. 33 `a des travaux de traduction.
`A l’appel du directeur, le gardien 'etait apparu. M. Huguelmans fit demander le chef des travaux techniques, qui, quelques instants plus tard, p'en'etrait `a son tour dans le cabinet :