Le magistrat cambrioleur (Служащий-грабитель)
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— Ah, mince alors, finit par monologuer B'eb'e, tout juste rassur'e. Pas plus de bonsoir que de bonjour. Il en a des facons le fr`ere, pour s’amener dans la soci'et'e et pour mettre les bouts de bois.
Quelques secondes plus tard. B'eb'e reconnaissait pourtant, avec une franchise qui n’'etait pas feinte :
— Tout de m^eme, quel type, quel costaud, que Fant^omas. Le voil`a revenu. S^ur qu’on n’a pas fini de rigoler.
Mais quand B'eb'e parlait de « rigoler »…
21 – LE FR`ERE D’ABEL
Antoinette de Tergall, la gracieuse ma^itresse de maison, se multipliait aupr`es de ses amis. On venait de servir le caf'e au salon, transform'e en fumoir par la bienveillante indulgence de la ch^atelaine, et maintenant elle s’informait aupr`es de ses diff'erents convives de leurs pr'ef'erences personnelles.
— Monsieur Livet, questionnait-elle avec un sourire engageant, s’adressant `a un gros petit homme qui sous un aspect farouche, un air perp'etuellement batailleur, cachait l’^ame tranquille et douce d’un paisible rentier n’ayant jamais quitt'e Saint-Calais, vous prendrez bien un petit verre de cognac ?
Le gros petit homme `a l’air terrible haussait la main, r'epondait d’une voix fluette :
— Merci, madame, mille merci, mais je suis au r'egime. Je ne dois boire que du lait.
— Voyons, par ce froid.
— Non, madame, merci. Je ne dois commettre aucun exc`es. Pas de liqueurs. Cela m’est bien recommand'e par notre excellent docteur que vous voyez en train de bavarder avec notre cher cur'e.
— Et vous, mon cher baron, curacao ? kirsch ? autre chose ?
— Ma ch`ere marquise, vous connaissez mes go^uts, je n’aime que les liqueurs fortes, rudes. J’aime tout ce qui est vigoureux, aussi bien en litt'erature qu’en liqueurs. Donnez-moi de votre vieille fine.
Antoinette de Tergall versa dans un verre finement ouvrag'e, un verre de cristal fragile et d'elicat, une large rasade de liqueur br^ulante.
La marquise dissimulait mal un sourire. 'Evidemment, elle trouvait amusant que le maigre personnage qu’elle venait d’appeler
Antoinette de Tergall continuait cependant `a proposer les ressources de sa cave `a liqueurs `a tous ceux qu’elle avait invit'es au d'ejeuner de chasse d’inauguration des nouveaux terrains r'eserv'es attenants au ch^ateau des Loges.
— Docteur, dit-elle, en frappant famili`erement sur le bras d’un personnage jovial, bourru mais sympathique qui causait au coin de la chemin'ee avec un pr^etre `a figure grave et douce, docteur, vous qui mettez tout le monde au r'egime, vous qui condamnez tous vos clients au lait, vous prendrez bien un verre de fine champagne ?
— Avec plaisir, madame. Si les m'edecins ne se rendaient pas malades, ils n’auraient jamais l’occasion de faire douter de la m'edecine.
— Et vous, monsieur le cur'e, que prendrez-vous ?
Le docteur, libre penseur mais fort ami du pr^etre, r'epondit avant l’homme d’'eglise :
— Parbleu, M. le cur'e ne prendra rien. D’abord, sa soutane lui interdit de go^uter aux joies de ce monde. Ensuite, il a une maladie de foie. Un pr^etre a toujours une dilatation de foie, bref il ne lui faut pas d’alcool.
— Madame, dit le pr^etre en s’inclinant en une r'ev'erence du meilleur go^ut, je ne refuserai pas un doigt d’anisette.
— Une liqueur de femme. Cur'e tu me fais horreur.
Le m'edecin entama avec le pr^etre une discussion sans conclusion possible.
Le docteur voulait persuader `a l’homme d’'eglise qu’il 'etait du devoir de tout « ensoutan'e » de ne jamais toucher `a rien de friand. Le pr^etre ripostait qu’un m'edecin se devait `a lui-m^eme, par respect pour l’art qu’il professe, de ne jamais prendre une goutte d’alcool.
Quelques minutes plus tard, les deux hommes trinquaient avec cordialit'e.
Pendant ce temps, Antoinette de Tergall continuait `a faire le tour de son salon, trouvant pour chacun une parole aimable, une remarque gracieuse.
— Mon cher sous-pr'efet, disait-elle au plus haut fonctionnaire de Saint-Calais, qui n’acceptait que timidement ses invitations dans la crainte de se compromettre en fr'equentant la noblesse du pays, mon cher sous-pr'efet, si j’en crois les 'echos, vous avez eu ce matin les honneurs de la battue ? Six perdreaux `a vous tout seul, vous avez bien m'erit'e un verre de liqueur ? Que vous offrirai-je ?
— Mais, ce que vous voudrez, madame.
Au centre d’un groupe d’invit'es, Maxime de Tergall tr`es joyeux, visiblement satisfait de la bonne r'eussite de la partie de chasse organis'ee par ses soins le matin m^eme, p'erorait :
— Ici, disait-il, dans la Sarthe, il ne faut pas compter faire de beaux doubl'es. Notre pays est trop bois'e. Nous avons trop de haies. Les battues ne peuvent gu`ere s’organiser. Seuls peuvent tuer ceux qui ont une ^ame de chasseur, qui savent fouiller le terrain, faire une haie, puis une autre, puis encore une troisi`eme, et ainsi de suite.
C’'etait l’avis du jeune greffier du Tribunal.
Lui n’avait certainement pas « l’^ame d’un chasseur ». Il poss'edait bien un fusil, se munissait m^eme chaque ann'ee d’un permis de chasse, mais c’'etait uniquement dans l’intention de ne pas se singulariser.
Il avait horreur des marches fatigantes qu’imposent le plaisir cyn'eg'etique. `A la chasse il ne r^evait v'eritablement qu’`a trouver des pommiers charg'es de fruits savoureux. Il redoutait les accidents.
Par prudence, d’ailleurs, il ne chargeait jamais son fusil. « `A quoi bon », pensait-il, sachant pertinemment que si d’aventure il ajustait un lapin, il le manquerait infailliblement.