Le magistrat cambrioleur (Служащий-грабитель)
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— Cr'edi'e, songea Ribonard, qui frissonna en voyant la porte s’ouvrir, je n’avais pas pens'e `a celle-l`a. Ce type qui s’am`ene, c’est assur'ement le sonneur. Bon sang de sort, s’il vient carillonner, mon affaire est claire, je suis frit.
Ribonard se trompait. Il 'etait six heures du matin. Si le sonneur avait rejoint son poste, c’'etait pour l’ang'elus du matin qui se sonnait sur une petite cloche, plus facile `a manier que la lourde savoyarde o`u l’apache 'etait enferm'e.
— J’ai de la veine, pensa Ribonard, faut croire que mon habitation, `a moi, ne sert qu’aux jours de grande c'er'emonie ?
Et il se tint coi, 'evitant de respirer, terrifi'e `a la pens'ee qu’il pouvait ^etre pris d’une quinte de toux. Finalement, il vit avec satisfaction le sonneur raccrocher son c^able, l’ang'elus fini, et redescendre `a l’int'erieur de l’'eglise.
— De mieux en mieux, songeait Ribonard, maintenant, je pense que me voil`a tranquille ?
Tenace dans ses projets, Ribonard ferma les yeux, se rendormit.
Mais alors qu’il 'etait au pays des songes, un grand coup sur le cr^ane lui rouvrit les yeux.
Il n’eut pas le temps de pousser un nouveau juron. Une formidable sonorit'e l’assourdit. En m^eme temps, avec une force plus grande encore, on lui ass'enait un nouveau coup sur la t^ete.
— A"ie, commenca-t-il, au secours.
Un troisi`eme coup, si violent qu’il crut que son cerveau allait 'eclater, l’'etourdit en m^eme temps.
Et alors, tandis que le vacarme grandissait autour de lui, contre lui, au point que ses cris d'esesp'er'es ne devaient pas s’entendre `a un m`etre, Ribonard comprit qui l’assommait `a moiti'e, qui produisait ce bruit assourdissant. Dans un brouillard, car ses yeux se congestionnaient sous la violence des coups qui le meurtrissaient, Ribonard apercut, semblant se balancer en-dessous de lui, l’'eglise, o`u des cierges br^ulaient, un catafalque sur lequel reposait un cercueil, des pr^etres qui chantaient, une foule recueillie, et puis, entre cela et lui, visible par moments, cach'e en d’autres, par l’'etrange balancement, l’^etre difforme qu’'etait le sonneur, le sonneur qui le tuait sans s’en douter, le sonneur qui se suspendait au c^able commandant la grosse cloche, qui lancait d’un mouvement r'egulier, s’'etonnant de la peine qu’il 'eprouvait, le battant de fer o`u 'etait attach'e Ribonard contre le bronze sonore de la cloche.
— Il va me fracasser le cr^ane, nom de Dieu, hurla Ribonard qui, d'ej`a, ne songeait plus qu’avec peine, tant il 'etait 'etourdi.
Et il r^ala :
— Au secours, au secours.
Ces appels, personne ne les entendit. De la cloche, les ondes sonores tombaient avec tant de force qu’elles assourdissaient ses cris. Ribonard, pr^et `a tout, songea que mieux valait encore risquer le saut p'erilleux que de se laisser ainsi 'ecraser. Il voulut s’'elancer au vide. Impossible. Les liens qui lui avaient permis de rester attach'e au battant s’'etaient resserr'es sous son poids, il ne put les d'efaire.
— Nom de Dieu de nom de Dieu. Je ne vais pourtant pas crever l`a.
Une id'ee lui vint. Dans sa poche, il saisit, tant bien que mal, de sa main gauche, car maintenant, son bras droit pendait inerte, bris'e peut-^etre, les bijoux vol'es. Il les l^acha, il les jeta, esp'erant ainsi attirer l’attention. Mais ou moment pr'ecis o`u Ribonard ouvrait la main, lancant les diamants vol'es, le sonneur venait de r'eussir `a donner toute son amplitude au mouvement de la cloche.
Le malheureux Ribonard 'etait pr'ecipit'e avec tant de force contre l’int'erieur de la grosse savoyarde, qu’il se brisait le cr^ane, qu’il se rompait les os, qu’il mourait dans une atroce agonie.
`A peine sur le sol, les diamants furent suivis d’une pluie de gouttes de sang.
***
Deux heures plus tard, tandis que les obs`eques du marquis de Tergall, tragiquement troubl'ees, s’achevaient au cimeti`ere voisin, tandis que les psaumes ultimes r'esonnaient sous la vo^ute du ciel bleu, Charles Pradier, demeur'e `a la sacristie en compagnie du m'edecin, examinait le cadavre de Ribonard que l’on venait de descendre du clocher.
Et Charles Pradier disait :
— Mon Dieu, mon Dieu, c’est `a devenir fou. Quel peut donc ^etre cet individu ? qui nous dira jamais son nom ? Comment deviner par quel hasard il 'etait suspendu `a l’int'erieur de la grosse cloche, et tenait dans ses mains les bijoux vol'es `a M. Chamb'erieux ?
Le m'edecin ne r'epondait rien.
— Au fait, mon cher praticien, dit alors le juge d’instruction, je vais vous demander une seconde de patience. Dans l’int'er^et de la justice, je vais emporter, pour les remettre au greffe, les perles et les diamants que l’on a retrouv'es dans l’'eglise. Vous voudrez bien signer le proc`es-verbal `a titre de t'emoin ?
— Mais certainement.
Pradier eut peine `a dissimuler un sourire ironique, cependant qu’il enfouissait dans sa poche les bijoux retrouv'es.
— `A coup s^ur, songeait Pradier-Fant^omas, Ribonard, hier soir, s’est moqu'e de moi, mais ce matin, je me suis bien veng'e.
Ce fut toute l’oraison fun`ebre du mis'erable.
24 – RAFLE AU BAL CHAMP^ETRE
— Sicoche.
— Oui, brigadier.
— Sicoche, je vous dis, qu’il va s’agir d’ouvrir l’oeil et le bon. Nous nous rendons par la grand-route jusqu’`a la limite de l’octroi de la localit'e de Bouloire, vous vous en ^etes apercu ?
— Oui, brigadier, je m’en suis rendu compte en marchant derri`ere vous `a la distance que doit s’imposer tout bon gendarme `a l’'egard de son sup'erieur.
— Sicoche, vous avez raison, et je suis convaincu qu’avec les excellentes notes trimestrielles qui vous ont 'et'e donn'ees, vous ne tarderez pas `a devenir brigadier comme moi. C’est-`a-dire presque mon 'egal, car j’aurai toujours sur vous, n’est-ce pas, la sup'eriorit'e de l’anciennet'e ?
— 'Evidemment, brigadier.
Les deux repr'esentants de la mar'echauss'ee chemin`erent quelques instants en silence. Il faisait une nuit noire, froide et pluvieuse, et les gendarmes, en petite tenue, avaient relev'e le collet de leur capote sombre. Il 'etait environ neuf heures, et depuis une demi-heure environ ils marchaient. Le brigadier Boulinard et le gendarme Sicoche avaient recu l’ordre de l’adjudant de quitter la gendarmerie sit^ot apr`es le d^iner et de rejoindre leurs coll`egues de la brigade de Bouloire que renforceraient encore des agents en civil de la S^uret'e du Mans.