Le magistrat cambrioleur (Служащий-грабитель)
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Mais, si les patrons du bal public 'etaient connus de la police parisienne, ils n’avaient pas eu encore maille `a partir avec les autorit'es de la province avoisinant Saint-Calais et le Mans. Naturellement, ils s’'etaient affubl'es de noms qui ne rappelaient en rien leur existence pass'ee, et pendant les premiers jours ils avaient exerc'e leur industrie avec assez de correction pour qu’on ne songe^at pas `a les expulser imm'ediatement.
Toutefois, depuis quelques soirs, on se plaignait dans le voisinage. Du b'etail ou de la volaille disparaissaient des cr`eches ou des poulaillers. Les riverains de la Mare-aux-Oies chuchotaient qu’il devait se passer des choses peu 'edifiantes dans la client`ele qui fr'equentait ce bal. De plus en plus les honn^etes gens s’en 'eloignaient, et la foule des r^odeurs et des individus sans aveu semblait en faire son quartier g'en'eral.
Ce soir-l`a, cependant l’affluence 'etait extr^eme, c’'etait un samedi, on pouvait donc se reposer le dimanche et malgr'e la mauvaise r'eputation de l’'etablissement, une client`ele locale, fort nombreuse, 'etait venue. On s’'ecrasait sous la tente qui recouvrait le plancher, mais cela importait peu aux danseurs, d'esireux surtout de se remuer et de s’agiter, et aux amoureux qui ne trouvaient aucun inconv'enient `a ^etre perp'etuellement serr'es les uns contre les autres.
Toutefois, dans la foule des campagnards, se glissaient de temps `a autre des individus qui passaient inapercus au premier abord, mais laissaient ensuite aux gens qu’ils avaient vis'es des surprises d'esagr'eables. Le p`ere Grelot, venu lui aussi de Paris, comme les autres, exercait volontiers sa coupable industrie de voleur `a la tire dans la foule, venue l`a pour se distraire.
— C’est le moment disait-il `a l’'El`eve, de faire ton apprentissage, vas-y, fils, et ne t’'emotionne pas, c’est tous des poires, tu peux taper dans le tas, ils n’ont pas la peau sensible, et on peut fouiller dans leurs poches sans qu’ils s’en apercoivent.
L’'El`eve 'etait aussi fort que son ma^itre, qui, d’ailleurs ne se contentait pas de donner des conseils. Et les deux gaillards, en l’espace d’une demi-heure, avaient fait une si ample provision de mouchoirs aux coins desquels 'etaient nou'es des pi`eces blanches et de gros porte-monnaie remplis de sous, que Bec-de-Gaz, qui n’ignorait pas leurs proc'ed'es, se vit dans l’obligation de leurs faire des reproches :
— Quand ils seront tous fauch'es, d'eclarait le grand bandit, comment voulez-vous qu’ils viennent consommer `a mon comptoir. Et puis, `a force de les faire comme ca `a l’esbroufe, ils finiront peut-^etre par s’en apercevoir.
Le p`ere Grelot et l’'El`eve sourirent, ne parurent pas vouloir tenir compte des observations de l’apache, alors celui-ci se f^acha :
— D’abord, c’est tr`es simple, fit-il, au prochain porte-monnaie que vous barbotez l’un ou l’autre, je vous sors de la t^ole jusqu’`a la fin du monde. Ici je suis venu pour faire du commerce, c’est pas la peine que vous attiriez l’attention de la police et me fassiez venir des histoires.
— Ca, reconnut le p`ere Grelot, j’avoue que t’as raison. L’'El`eve va se tenir tranquille, moi je vais me faire la main encore deux ou trois fois, et puis j’irai boire la moiti'e de la recette `a ton comptoir, mon vieux Bec-de-Gaz.
Cette promesse satisfaisait l’apache, qui n’insista plus pour que sa client`ele f^ut tenue en respect par les voleurs.
Au surplus, ses fonctions de d'ebitant l’absorbaient, car les buveurs 'etaient l'egion. `A deux ou trois reprises, Bec-de-Gaz quitta la tente pour aller dans un petit appentis voisin chercher celle qui l’aidait dans ses fonctions, et particuli`erement lavait la vaisselle.
— Fleur-de-Rogue, appela-t-il, Fleur-de-Rogue.
Mais il n’obtint pas de r'eponse, et ce fut seulement lorsqu’il se rendit pour la troisi`eme fois dans la soupente qu’il apercut la personne tant recherch'ee, qui gisait accroupie sur le sol, entre deux baquets d’eau sale.
Bec-de-Gaz la secoua rudement par l’'epaule…
— Fleur-de-Rogue, fain'eante, ah, on peut dire que t’en as une cosse. Comment, t’es encore l`a `a dormir, quand il y a du travail `a ne pas savoir o`u donner de la t^ete.
La femme interpell'ee, secou'ee, ne r'esistait pas, se laissait aller.
Bec-de-Gaz, machinalement, lui prit le menton, releva sa t^ete, la regarda les yeux dans les yeux. Ses yeux 'etaient rouges et vagues.
— Bon Dieu, grogna Bec-de-Gaz, elle est saoule comme une bourrique. Y a rien `a foutre, pour la sortir de l`a.
Cependant, la femme essayait de remuer. En vain. D’une voix p^ateuse et p'enible elle protestait :
— Saoule que tu dis, Bec-de-Gaz, c’est pas vrai, et d’abord je d'efends qu’on dise que je suis saoule.
— Ca va, fit Bec-de-Gaz conciliant, car il ne respectait qu’une chose : l’ivresse.
Mais Fleur-de-Rogue l’avait attrap'e par le bas de son pantalon tout effiloch'e et l’emp^echait de retourner `a ses occupations.
— C’est pas que je suis saoule, reprenait la femme, mais j’ai du chagrin, et j’ai bu pour m’'etourdir. Comprends-tu, Bec-de-Gaz, qu’ils ont d'emoli Ribonard, mon homme. Il est crev'e. Encore un. D'ecid'ement j’ai pas de chance.
— Un homme, conclut Bec-de-Gaz, ca se remplace. Faut pas te faire de bile.
Mais la pierreuse secoua la t^ete, sans souci de ses cheveux d'enou'es qui trempaient dans le baquet d’eau sale.
— C’est toujours `a moi qu’il arrive des histoires de ce genre-l`a. T’as bien connu Jean-Marie, dis voir, Bec-de-Gaz ?
— Probable, fit l’'evad'e, Jean-Marie, l’aide du bourreau ?
— Oui, approuva Fleur-de-Rogue, eh ben, c’'etait mon amant, mon premier, il est mort, c’est la
— Ca, reconnut Bec-de-Gaz, toujours conciliant, on peut dire que c’est vrai. Y a des gens qu’ont de la chance, d’autres qui n’en ont pas. Jean-Marie avait la poisse, il a 'et'e fad'e. Qu’est-ce que tu veux y faire ?
— Apr`es Jean-Marie, j’ai pris Ribonard. On s’aimait bien tous les deux. Celui-l`a c’'etait un homme dans le genre de mon premier, un costaud qui connaissait pas la peur. Voil`a-t-y pas qu’il est mort, lui aussi, et crev'e comme un chien, avec le cr^ane d'efonc'e par une cloche. Ah, c’est des trucs `a la manque, qu’est-ce que je vais devenir ?