Le magistrat cambrioleur (Служащий-грабитель)
Шрифт:
— Ainsi, monsieur le procureur, cette bonne nouvelle dont vous avez `a me faire part, ce n’est pas le d'em'enagement ? Qu’est-ce donc ?
— Non, sans doute, ce n’en est pas un pour vous, mon cher juge d’instruction, mais c’est tout de m^eme un changement de r'esidence pour une autre personne. Allons, je ne vous ferai pas languir. J’aime autant vous annoncer tout de suite que je viens d’^etre avis'e par la Chancellerie que l’ordonnance d’extradition concernant Fant^omas va ^etre ex'ecut'ee.
Charles Pradier b'egaya des mots sans suite, dans une extraordinaire confusion de pens'ee :
— D'ecid'ement, on va extrader Fant^omas ? C’est certain ? Ah monsieur le procureur, comme je suis heureux, comme je suis content.
Mais, en r'ealit'e, tandis qu’il affirmait `a son chef hi'erarchique qu’il 'etait enchant'e d’apprendre que l’extradition de Fant^omas allait se faire, Charles Pradier, en lui-m^eme, s’interrogeait.
On allait extrader Fant^omas :
— L’ordonnance d’extradition est sign'ee, se disait-il. Donc, on va extrader l’individu qui a pris ma place `a Louvain. Cet individu c’est Juve. Donc on va ramener Juve en France, `a Saint-Calais. On va me l’amener devant moi. Par cons'equent, mon imposture va ^etre d'ecouverte.
Maintes fois en effet depuis qu’il 'etait devenu, par un coup du hasard, juge d’instruction `a Saint-Calais, Fant^omas avait entendu parler de la fameuse ordonnance d’extradition pr'ec'edemment prise par M. Morel, premier juge charg'e du dossier et renvoy'ee `a Paris, pour approbation de la Chancellerie. Jusqu’alors, cependant, Pradier s’'etait toujours refus'e, et pour cause, `a en presser l’ex'ecution. Il apprenait aujourd’hui que d’autres s’'etaient occup'es de l’extradition et qu’elle allait avoir lieu sans qu’il p^ut rien faire pour l’emp^echer.
— Figurez-vous, continuait M. Roche, que j’imaginais moi-m^eme qu’il y avait un obstacle quelconque, un obstacle diplomatique par exemple, `a ce que nous puissions obtenir l’extradition de Fant^omas. Cette affaire en effet tra^inait depuis si longtemps que je n’esp'erais plus gu`ere la voir r'egl'ee. Or, ce matin, ce matin m^eme, je viens d’^etre avis'e par la Cour que l’extradition nous 'etait accord'ee. Je savais bien, monsieur Pradier, que vous seriez heureux de l’apprendre au plus vite.
— Tr`es heureux, en effet.
— En tout cas, mon cher Pradier, quoi qu’il en soit, je tiens `a ^etre le premier `a vous f'eliciter de la marche actuelle des 'ev'enements. L’autre jour, vous avez fait preuve d’un incontestable esprit d’`a-propos en saisissant les diamants, si extraordinairement tomb'es sur le cercueil de ce pauvre marquis de Tergall. Hier, vous usiez d’un plus grand esprit d’`a-propos encore en faisant arr^eter les individus qui se trouvaient `a ce bal d’aspect louche, et que, gr^ace `a votre flair de magistrat instructeur, vous deviniez imm'ediatement comme compromis dans les affaires de Saint-Calais. Votre conduite est d’une habilet'e qui confond.
— Vous me comblez, monsieur le procureur, vous me comblez. Certes, je me f'elicite moi-m^eme quand je pense qu’en ce moment sont d'epos'es au greffe, d’une part, les bijoux vol'es `a la marquise de Tergall, d’autre part, le portefeuille contenant deux cent cinquante mille francs, saisi hier. Mais enfin, monsieur le procureur, je n’oublie pas que tout cela n’est rien au prix de ce qui reste `a faire. Sans doute, j’ai pu amener l’arrestation de quelques comparses, mais ce n’est pas suffisant : c’est Fant^omas lui-m^eme qu’il me faudrait pouvoir convaincre de crime.
— Plaignez-vous donc, on vous l’am`ene, Fant^omas.
— C’est vrai, monsieur le procureur. Quand pensez-vous qu’il arrive ?
Le procureur g'en'eral eut un geste de doute et d’h'esitation.
— Je ne sais pas. Vous n’ignorez pas plus que moi, mon cher Pradier, que les d'elais, en pareil cas, d'ependent de la distance. La distance s’'evalue l'egalement en myriam`etres. Combien y a-t-il de myriam`etres d’ici `a Louvain ? Je vous avoue que je n’en ai aucune id'ee. Mais j’imagine que les choses vont aller `a toute vitesse. Ne soyez pas trop impatient. D’ici quatre ou cinq jours vous aurez Fant^omas dans votre bureau.
Terrible, Charles Pradier 'etendit la main comme pour un serment solennel :
— Eh bien, mon cher procureur, je vous assure que quand j’aurai Fant^omas dans mon cabinet, je trouverai bien moyen de lui faire confesser ses crimes.
Pradier regagna son cabinet. Il en avait `a peine ferm'e la porte sur lui, il 'etait `a peine seul dans la petite pi`ece claire que, pressant son front entre ses mains, il songea :
— Certes, `a l’heure actuelle rien ne m’emp^eche plus d’abandonner Saint-Calais. Certes, si je le veux, je n’ai actuellement qu’`a prendre au greffe, sous un pr'etexte quelconque, les bijoux et l’argent qui y sont d'epos'es, puis `a m’en aller. Mais, en r'ealit'e, ce serait bien dommage d’^etre r'eduit `a fuir ainsi alors que, si je peux quelque temps encore demeurer `a mon poste, celle qui se croit ma soeur, Antoinette de Tergall, va me verser cinq cent mille francs. Non, je ne dois pas m’en aller encore. Je ne dois pas fuir. Ce n’est pas encore l’heure. C’est bien le diable, d’abord, si je ne peux pas inventer une ruse qui me permette de parer aux dangers que repr'esente pour moi cette ordonnance d’extradition si malencontreusement sign'ee…
Fermant les yeux, le bandit imaginait la sc`ene extraordinaire qui allait immanquablement se d'erouler s’il laissait l’extradition suivre son cours. `A la prison, c’'etait Juve qui avait pris sa place, qui 'etait Fant^omas. C’'etait donc Juve qu’on allait amener `a Saint-Calais.
— Parbleu, je n’ai pas le choix des moyens.
En m^eme temps, il appuya sur un timbre, la concierge du tribunal accourut :
— Monsieur le juge m’appelle ? s’informa la brave femme.
— En effet, madame, veuillez porter cette ordonnance au gardien-chef de la prison.
— Bien, monsieur.
Fant^omas-Pradier d’un paraphe appuy'e signa l’ordonnance d’interrogatoire.
La concierge disparut pour aller la faire ex'ecuter.
Quelques minutes plus tard, sous la conduite de deux gendarmes, on amenait dans le bureau du juge d’instruction deux pr'evenus qui faisaient pi`etre figure.
— Avancez, ordonnait rudement Charles Pradier.
Puis, il ajoutait :