Le mariage de Fant?mas (Свадьба Фантомаса)
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Trois messieurs 'el'egants, arriv'es de bonne heure, occupaient, ce soir-l`a, l’une des meilleures tables. Devant eux, le sommelier avait apport'e un seau `a glace dont 'emergeait une bouteille d’extra-dry au col entour'e de papier d’or, et le ma^itre d’h^otel avait plac'e sur la table le foie gras sur canap'e de truffes.
C’'etaient trois hommes raffin'es. Ils discutaient avec animation et, `a en juger par les sourires protecteurs que leur adressait le patron de l’'etablissement, il s’agissait assur'ement, non seulement de clients habituels, mais encore de personnalit'es bien parisiennes.
Le trio, en effet, 'etait compos'e d’un homme d’une cinquantaine d’ann'ees, `a la large carrure, `a barbe grise : M. Dupont de l’Aube, s'enateur et directeur de La Capitale. Il avait pour voisin un petit homme sec et maigre, sur le nez duquel chevauchait, dans un 'equilibre instable, un lorgnon aux verres 'epais : Jules Mourier, juge d’instruction au Tribunal de la Seine.
Quant au troisi`eme personnage, on savait son nom parce que c’'etait lui qui avait retenu la table. Il s’appelait le baron Stolberg et son bristol faisait mention de sa profession, comme de son domicile : il 'etait banquier `a Odessa.
— D'ecid'ement, disait Mourier, il faut que j’aie des amis comme vous pour me d'ebaucher de la sorte. Si jamais on savait au Palais de Justice que je viens faire la f^ete dans les restaurants de nuit, j’imagine que le procureur en t^ete, jusqu’au dernier des exp'editionnaires, en feraient une maladie.
— Mon cher, dit Dupont de l’Aube, on voit bien que vous avez fait la moiti'e de votre carri`ere en province. Vous ^etes sans cesse occup'e par des tas de contingences. O`u est le mal, je vous le demande, de venir, apr`es le th'e^atre, vous restaurer dans un 'etablissement agr'eable o`u l’on d'eguste des mets exquis en entendant d’excellents tziganes et en contemplant de fort jolies femmes ?
— C’est justement la pr'esence de toutes ces aimables personnes.
— Pr'ejug'es de magistrats ! s’'ecria Dupont de l’Aube en acceptant le nouveau verre de champagne que lui offrait le baron Stolberg.
Celui-ci d'eclarait avec conviction :
— Je connais `a peu pr`es toutes les capitales civilis'ees, mais il n’y en a d'ecid'ement pas une comme Paris, non seulement pour se distraire lorsqu’on a fini de travailler, mais encore pour y traiter des affaires, et des affaires importantes.
— C’est exact, reconnut Dupont de l’Aube et encore, mon cher baron, vous arrivez ce printemps `a Paris, `a une mauvaise 'epoque. La population, les gens d’affaires ont 'et'e inqui'et'es tout cet hiver par les bruits de guerre, les histoires de gr`eves, on 'eprouve un malaise g'en'eral un peu difficile `a surmonter.
— Et puis, poursuivit Mourier, Paris n’est plus aussi s^ur qu’autrefois.
— Je suis s^ur, s’'ecria Dupont, que vous allez encore nous parler de votre myst'erieux fant^ome du pont Caulaincourt ?
— Je suis, en effet, charg'e d’instruire cette affaire.
Le baron Stolberg semblait 'ecouter avidement les paroles du magistrat ; il parut d'epit'e lorsque celui-ci se tut :
— Cher monsieur Mourier, dit-il, vous devez avoir sur cet 'ev'enement formidable des renseignements bien int'eressants.
— Formidable… fit le magistrat avec h'esitation.
Mais Stolberg insistait :
— Oui, formidable ! Moi qui vois beaucoup de monde dans tous les milieux, pour mes affaires, je vous assure que l’on est tr`es intrigu'e, tr`es pr'eoccup'e de ce que les journaux ont racont'e au sujet des apparitions suspectes du pont Caulaincourt. C’est, en r'ealit'e, une chose inou"ie que ce ph'enom`ene, en plein Paris. Toujours au m^eme endroit, qui terrifie les passants, sans que nul ne puisse en conna^itre la cause…
Stolberg venait de s’arr^eter soudain. Dupont de l’Aube baissait le nez dans son assiette, en proie `a un inextinguible fou rire.
— Qu’avez-vous donc, cher ami ? sont-ce mes propos qui vous amusent ?
— Regardez plut^ot.
Et, `a son tour, Stolberg fut gagn'e par le fou rire, Mourier lui-m^eme se d'erida.
Dans l’'etablissement, au milieu de la client`ele 'el'egante et distingu'ee, venait de se glisser un couple vraisemblablement fourvoy'e : c’'etait un grand diable sec, mal peign'e, aux allures d'egingand'ees. Il 'etait en habit, mais son v^etement 'etait de mauvaise coupe, semblant avoir 'et'e fait pour un autre propri'etaire. Il entrait, donnant ridiculement le bras `a une femme vulgaire, aux gestes mani'er'es et tous deux s’assirent timidement `a une table et dirent au ma^itre d’h^otel :
— Servez-nous ce que vous voudrez.
Le trio des Parisiens pouvait ^etre surpris `a la vue de ces deux soupeurs. Ceux-ci n’'etaient autres, en effet, que l’apache Bec-de-Gaz et Ad`ele qui se donnaient de leur mieux des allures de gens du monde.
La client`ele d’ailleurs, ce soir-l`a, 'etait m^el'ee. Un couple 'eminemment bourgeois venait de s’introduire dans la salle commune de la Maison d’Or.
Et cependant que l’homme, un jovial individu au visage 'ecarlate, l^achait machinalement un bouton de son gilet d’habit, sa compagne, une petite femme brune et agit'ee, parut surprise, g^en'ee aussi d’apercevoir Dupont de l’Aube. C’'etait Delphine Fargeaux, qui avait consenti enfin `a accepter du courtier Coquard une invitation pour la soir'ee.
Le baron Stolberg poussa du coude Mourier :
— Tenez, fit-il, regardez-moi ces trois types. En ont-ils une allure aussi ?
Le juge approuva. Et il y avait de quoi : deux jeunes gens, exag'er'ement pommad'es, ras'es de frais et qui auraient sembl'e d’une 'el'egance raffin'ee s’ils n’avaient eu les mains trop grosses et les manches de leur habit trop courtes, arrivaient, le chapeau sur l’oreille, encadrant une femme `a la toilette tapageuse, certainement pas sortie de chez le bon faiseur : c’'etaient Beaum^ome et B'eb'e encadrant Chol'era.
La foule habituelle des soupeurs, qui 'etait `a cent lieues de se douter de leurs identit'es v'eritables, s’imaginait qu’il s’agissait l`a de quelques riches parvenus, Am'ericains de lointaines r'epubliques, aux allures bizarres, un peu communes, mais qui, sans doute, devaient avoir les poches bourr'ees d’or.
Ces silhouettes 'etaient si remarquables que nul ne parut faire attention `a une fort jolie femme, vraiment tr`es 'el'egante, celle-l`a, qui soupait seule, `a une petite table, n’ayant pour compagne qu’une autre femme, de condition plus humble, semblait-il. C’'etait la Recuerda, en compagnie de Marie Legall.