Le mariage de Fant?mas (Свадьба Фантомаса)
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Dans les rues de l’Escorial de Abajo, on ne parle d’ailleurs qu’avec respect et crainte de l’Escorial de Hijo. Il semble qu’une terreur secr`ete frappe les habitants, lorsqu’on s’entretient du palais devant eux. Ils se signent alors, courent `a l’un des multiples autels creus'es dans les facades de leurs mis'erables maisons, allument des cierges, r'epandent de l’eau b'enite, invoquent la Madone. Il semble vraiment que parler de l’Escorial de Hijo est sacril`ege et que des mal'efices peuvent atteindre tous ceux qui jettent les yeux sur le sinistre palais.
D’o`u vient la crainte qu’inspire le nom seul de l’Escurial ? Il n’est pas facile de le d'em^eler. Le paysan espagnol est, en r'ealit'e, et malgr'e ses dehors de pi'et'e exub'erante, des plus superstitieux. Peut-^etre s’effraye-t-il en songeant que l’'enorme bloc de pierre qui domine son horizon n’est pas seulement la r'esidence superbe des rois espagnols, mais encore leur dernier s'epulcre.
C’est en effet dans l’Escorial de Hijo que se trouvent les tombeaux de tous les souverains d’Espagne, les tombeaux des infants et des infantes. C’est l`a que leurs cendres reposent, prot'eg'ees des outrages du temps par des granits inattaquables aux si`ecles.
***
Au village de l’Escorial de Abajo, comme dans tous les villages d’Espagne, les maisons de danses sont nombreuses. Ce sont `a la fois des cabarets et des salles de bals. Elles ont un caract`ere particulier et pittoresque, qui n’est pas sans int'eresser et intriguer tant soit peu l’'etranger qui, toujours, se demande au juste ce que l’on peut faire `a l’int'erieur de ces masures sordides, mais qui continuellement retentissent du cliquetis des castagnettes, des accords des mandolines ou des guitares.
Le seuil pass'e, on se trouve dans une salle basse, obscure, car les volets sont perp'etuellement clos pour arr^eter les rayons du soleil torride. Le sol est fait de terre battue. Pas de meubles. `A peine quelques bancs de bois, sur lesquels les consommateurs prennent place, serr'es les uns contre les autres, tapant du pied, battant des mains, rythmant d’exclamations gutturales les perp'etuelles danses de jolies filles qui ne sont point, ainsi qu’on pourrait le croire, consid'er'ees comme des femmes faciles, mais bien plut^ot entour'ees d’un certain respect, `a la facon dont on respecte, au Japon, les danseuses de caste noble.
On boit d’in'evitables verres d’eau sucr'ee, parfois du coco, jamais d’alcool. L’Espagnol est sobre, extraordinairement sobre. Il fr'equente la maison de danse pour le charme qu’il trouve `a contempler les ballerines, pour satisfaire son go^ut de la musique. Non pour s’enivrer.
`A l’Escorial de Abajo, il 'etait de bon ton, parmi les gardes civils, de se r'eunir chaque soir `a cinq heures, lorsque la force du soleil commencait `a d'ecro^itre un peu, dans l’une de ces maisons de danse : la Bonita, qui 'etait plus vaste que ses concurrentes, o`u l’on arrosait davantage, o`u la fra^icheur apparaissait exquise, o`u l’atmosph`ere toujours mouill'ee et lourde avait d’'eternels relents de parfums et de fleurs.
Ce soir-l`a, plus que jamais, il y avait foule. Dans un coin, des gardes civils en grand uniforme, le bicorne cr^anement pos'e en arri`ere, le long sabre entre les jambes, applaudissaient `a tout rompre une superbe fille qui dansait devant eux, voluptueusement, lentement, la t^ete renvers'ee en arri`ere, comme 'etourdie et gris'ee elle-m^eme par le balancement de sa valse.
Plus loin, d’humbles Espagnols, n’appartenant point `a l’arm'ee se groupaient, eux aussi, applaudissaient, mais cependant n’osaient faire de bruit en pr'esence de messieurs les gardes civils qui, `a la Bonita, pr'etendaient ^etre les ma^itres, faire la loi et tout gouverner `a leur guise.
— Bravo, bravo ! criait-on.
— La Pepita, tu es une 'etoile, recommence, recommence !
La ballerine, qui s’'etait brusquement interrompue, frappant de son haut talon le sol, secouant avec 'energie ses castagnettes, tirant de son tambourin une r'esonance sourde, souriait avec la distinction inn'ee des femmes de l`a-bas, remerciait d’un sourire ses admirateurs :
— Se~nores, disait-elle, il en sera fait selon vos d'esirs, voyez !
Les castagnettes `a nouveau emplirent la salle de leur musique criarde, l’Espagnole dansa encore.
Mais, pendant qu’elle interpr'etait un pas nouveau avec une furia d'emesur'ee, alors que ses deux petites mains s’appuyaient `a sa taille fine, cependant qu’elle bombait le torse, cambrait la jambe, attaquant en m^eme temps une chanson tour `a tour vive et lente, une exclamation d'edaigneuse retentit soudain dans le silence de la salle o`u l’enthousiasme r'egnait :
— Des pas de mule dans'es par une ^anesse !
Et tout de suite ce fut le scandale. Les gardes civils s’'etaient trouv'es debout, froncant les sourcils, faisant un grand bruit de sabre, pr^ets `a d'efendre la Pepita, leur idole.
Non moins furieux, les paysans s’'etaient lev'es, eux aussi. Pour la Pepita, elle s’'etait arr^et'ee net de danser, ses yeux noirs jetaient des 'eclairs, elle mordait ses l`evres de ses dents blanches, frissonnante, elle demanda :
— Qui donc a parl'e ? qu’il s’avance le capitan qui ne m’applaudit pas !
Et, en v'erit'e, elle 'etait superbe de d'epit. Aussi bien, la raillerie qu’on venait de lui adresser 'etait une de ces railleries qu’une danseuse espagnole ne peut pardonner.
Et d'ej`a, fr'emissante, elle cherchait `a sa jarreti`ere la navaja qu’elle y portait, pr^ete `a tirer vengeance imm'ediate de l’affront qu’on lui faisait subir.
— Qu’il avance, le capitan qui me d'edaigne !
Dans l’atmosph`ere lourde du bouge o`u le tumulte s’'eternisait, la voix claire et argent'ee de la Pepita avait des r'esonances 'etranges.
— Paix ! interrompit Alphonse, tenancier de la maison. Si quelqu’un n’est point content, qu’il sorte, c’est dehors que ces choses-l`a se r`eglent.