Le Voleur d'Or (Золотой вор)
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— Allez, file, num'ero quatre !
Le p`ere Martin commandait dur, et le num'ero quatre n’avait garde de se faire r'ep'eter deux fois l’ordre.
Il disparaissait `a l’int'erieur de la maisonnette, courant aussi vite qu’il le pouvait, cependant que le facteur, s’adossant `a une haie, soulageant un peu ses reins fatigu'es en d'eposant son 'enorme bo^ite `a lettres, demandait d’une voix sympathique :
— Et ca va-t-il comme vous voulez, le commerce ? Ca rentre-t-y les 'ech'eances ?
— Peuh !… Vous savez… c’est bien al'eatoire !
Le p`ere Martin, d'esormais, faisait une moue d'esabus'ee, cependant qu’un pli soucieux barrait son front d’une ride de m'econtentement.
— Pour ce qui est d’avoir des gosses, avouait-il, y en a ! Pour ce qui est de ne pas ^etre trop emb^et'e par l’Assistance, on peut reconna^itre qu’on n’est pas trop emb^et'e… Seulement, dame, voil`a… C’est pr'ecis'ement tout de l’Assistance en ce moment qu’on a, et dame, ca ne paye pas gros !
Le facteur avait l’air de comprendre ces 'etranges paroles et hochait la t^ete d’un air entendu.
`A vrai dire, le brave homme qui transportait les lettres dans la commune de Longjumeau ne pouvait pas ne pas comprendre. Il 'etait forc'ement au courant du commerce qu’exercait avec un rare bonheur le p`ere Martin, et cela pour la bonne raison que tout le pays vivait d’un n'egoce semblable et tirait le plus clair de ses b'en'efices d’une industrie des plus bizarres.
Depuis quatre ans, en effet, Longjumeau 'etait devenu la patrie par excellence des nourriciers de l’Assistance. C’'etait `a Longjumeau que l’Assistance publique recherchait de pr'ef'erence les ouvriers, les campagnards susceptibles de prendre, moyennant finance, de jeunes pupilles qui n’'etaient autres que les enfants trouv'es ou abandonn'es.
On vivait de cela sans honte `a Longjumeau, on trouvait tout naturel d’'elever quatre ou cinq petits d'esh'erit'es, de les brutaliser au besoin, d’en tirer tout le b'en'efice possible, puis encore de palper chaque mois, avec satisfaction, les sous, d’ailleurs chichement compt'es, que payait l’administration de l’Assistance publique.
Cette industrie bizarre, cet extraordinaire commerce faisait en effet la fortune du pays. Non seulement ce n'egoce rapportait pas mal sans donner trop de peine `a ceux qui l’exploitaient, mais encore il permettait de trouver une foule de ressources extraordinaires, irr'eguli`eres et rapportant fort `a l’occasion.
On citait les Lombard, qui habitaient au bout du pays, sur la grand-route, et qui, chaque ann'ee, avaient un de leurs enfants 'ecras'e par une automobile… Ils prouvaient facilement qu’il s’agissait, non pas d’un des pupilles de l’Assistance, mais bien d’un de leurs enfants `a eux. Ils se lamentaient, ils se d'esesp'eraient, et les tribunaux, apitoy'es, ne manquaient pas d’accorder de grosses indemnit'es !
Il y avait mieux et il y avait pis. Le cimeti`ere s’'etait formidablement agrandi et la mortalit'e enfantine `a Longjumeau 'etait colossale. C’est que le fossoyeur, qui touchait trois francs pour creuser une tombe d’enfant, ne refusait pas, `a l’occasion, de partager avec les parents ou surtout les nourriciers dont un des gosses venait brusquement de p'erir.
`A tout cela, l’Assistance fermait les yeux, ayant la hautaine indiff'erence des administrations qui estiment faire tout leur devoir en laissant aller les choses, `a la seule condition qu’elles sachent 'eviter les scandales par trop criards.
Le p`ere Martin, toutefois, ne s’estimait pas encore satisfait.
— Ce qu’il y a de stupide, disait-il, cependant qu’il remplissait d’un gros vin rouge deux 'enormes verres que le num'ero quatre venait d’apporter, ce qu’il y a de stupide, c’est que l’Assistance ne veut pas confier plus de sept pupilles au m^eme nourricier ! Cela emp^eche de s’agrandir. On est toujours limit'e dans son gain et, d’autre part, s’il y a un gosse qui claque, le temps qu’on vous le remplace, sans que ca ait l’air de rien, on a vite fait de perdre un mois !…
Il parlait de cela comme d’une chose fort naturelle et le facteur lui-m^eme, blas'e sur le c^ot'e cynique du m'etier dont vivait le pays, hochait la t^ete.
— Moi, confiait-il, si j’'etais pas dans l’administration, je ferais le m^eme truc que vous… Seulement, rapport aux risques, au lieu de prendre des pupilles de l’Assistance, je t^acherais de m’faire confier des enfants de bourgeois. Ca paye mieux, d’abord, et puis il y a les carottes qu’on peut tirer `a droite et `a gauche… Le rapport est plus gros.
`A cela, le p`ere Martin r'epondait d’un haussement d’'epaules :
— Peuh ! faisait-il, c’est bien possible, mais il y a joliment plus de peine aussi ! Avec l’Assistance, on est s^ur d’^etre pay'e, tandis qu’avec les bourgeois…
Justement, le num'ero quatre revenait, tra^inant un seau plus lourd que lui et s’appr^etant `a aller donner `a manger aux lapins que le m'enage Martin 'elevait.
— Tenez, c’morveux-l`a… continuait le p`ere Martin en d'esignant le gosse du doigt. Pr'ecis'ement, c’est pas un gosse de l’Assistance, il est `a trente francs de pension, ici. Eh bien ! c’est l’diable pour arriver `a avoir les thunes de sa m`ere… Oh ! mais, aussi, ca ne va pas durer comme ca !
Le facteur p^alit un peu, car il croyait deviner chez son interlocuteur quelque lugubre projet.
— Vous allez… ? demandait-il.
Mais le p`ere Martin lui coupa la parole.
— Non, pas avec les gosses de bourgeois. Ca fait des ennuis et il n’y a pas de combine… Tout simplement, je m’en vais le rendre `a sa m`ere, celui-l`a… si elle ne raque pas !
Le facteur, cependant, avait soulev'e sa bo^ite pour rejeter la courroie sur ses 'epaules.
— Eh bien ! bonne chance ! souhaitait-il. Moi, faut que je m’en aille, j’ai ma tourn'ee…
— Comme de juste ! approuva le p`ere Martin. Chacun ses emb^etements !
Et, `a l’instant o`u le facteur s’'eloignait, le p`ere Martin appelait :
— Le un !… le deux !… O`u diable ^etes-vous, vermine ? Arrive ici, num'ero six !
Le p`ere Martin habitait une sorte de baraquement tenant de la maisonnette et de la ferme de campagne. Cela ne comportait qu’un 'etage, 'etait sale `a faire fr'emir. La porte ouverte laissait s’exhaler des odeurs de boue, de crasse et de victuailles mal cuites. Tout autour de la maison, et close par une grande haie, se trouvait une sorte de courette dont le sol, fait de terre battue, 'etait d'efonc'e par endroits, ce qui faisait que les eaux de pluie stagnaient, verdissaient, croupissaient en paix. Des canards barbotaient dans ces flaques, des poules picoraient `a droite et `a gauche, tout un peuple de b^etes se sauvait en poussant des criaillements effar'es d`es qu’apparaissait le p`ere Martin.