Le Voleur d'Or (Золотой вор)
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D'egueulasse ne posa pas d’autre question. L’homme qui lui parlait avait brusquement fronc'e les sourcils.
— Je n’aime pas les curieux, d'eclarait-il. J’aime encore moins les bavards ! Ob'eis, et ne cherche pas `a comprendre !
— Bon, bon, ca va !…
L’oreille basse et faisant pi`etre mine sous la r'eprimande qu’il venait de recevoir, D'egueulasse s’approchait du comptoir o`u l’Empoisonneur demeurait maintenant immobile, dans une pose d’engourdissement qui cachait en r'ealit'e sa satisfaction devant la marche des affaires.
— Passe-moi les d'es ! demandait D'egueulasse.
— Pourquoi faire ?
— Pour un zanzi.
En possession de deux cornets de cuir dans lesquels trois d'es cliquetaient, D'egueulasse revint vers le fond du bouge, se pencha vers l’Ours.
— Eh vieux ! commencait-il. Y t’g^ene, ton gosse ? Veux-tu me l’refiler ?
La proposition fit stupeur.
— Non, commencait Fumier, t’es piqu'e, des fois, camarade !
OEil-de-Boeuf, `a son tour, protestait :
— Quoi, tu veux t’fout’nourrice, maint’nant ?
L’Ours lui-m^eme paraissait abasourdi.
— Vrai ? faisait-il. Tu veux l’m^ome ? Qu’est-ce que tu l’payes ?
L’instinct d’avarice se r'eveillait d'ej`a chez le p`ere Martin.
Il ne savait que faire du num'ero quatre, il le trouvait plus g^enant qu’utile, mais il n’entendait pas le donner. D'egueulasse, d’ailleurs, ne marquait aucune surprise en entendant cette question.
— Ah bien, voil`a, commencait-il. C’que j’en veux faire, c’est moi que ca r’garde ! Les autres ont pas `a s’en m^eler. Dis donc, l’Ours, j’te l’ach`ete pas, mais j’te l’joue… Ca colle-t-y ?
— Tu me l’joue ? r'ep'eta l’Ours, qui n’avait plus les id'ees tr`es nettes. Comment c’est que tu me l’joues ?
— En quarante points au zanzi. Tu marches ?
— Je marche.
Ils prirent chacun un cornet, la partie commenca.
— Six ! annonca l’Ours.
— L’as ! riposta D'egueulasse.
On applaudit.
— Mon vieux, si tu y vas de ce train, tu n’es pas pr`es d’avoir le m^ome !…
Mais la chance tournait : D'egueulasse, peut-^etre bien d’ailleurs, connaissait le secret de ces cornets qui n’'etaient pas parfaitement ronds et de ces d'es qui n’avaient rien de cubique. Il perdait encore deux ou trois fois, puis il se mettait `a gagner de facon insolente. En douze coups, c’'etait une affaire faite.
— Quarante ! annonca D'egueulasse. Le m^ome est `a moi !…
Et il battait un entrechat, dansait deux ailes de pigeon, puis allait prendre le num'ero quatre par la main.
— Viens ici, chien d’ivrogne !
On n’'etait pas encore revenu de l’'etonnement que causait cette partie que D'egueulasse emmenait hors du bouge l’enfant qu’il venait de gagner.
Derri`ere lui, la Puce et l’apache grave sortirent pr'ecipitamment…
XI
Crime horrible
Avec ses b^atiments s’'etendant sur un 'enorme espace, avec ses murs noircis par les chemin'ees des usines environnantes, avec ses grandes cours entour'ees de galeries couvertes, ses inqui'etants petits pavillons vitr'es, l’h^opital Lariboisi`ere avait l’air d’une ville 'enorme ou plus encore d’un monstre accroupi sur le sol, 'ecras'e pour quelque sommeil gigantesque et tout vivant cependant, comme anim'e de col`ere contenue.
On voyait, `a droite et `a gauche, trouant la facade des murailles, des fen^etres ouvertes par o`u s’'echappaient par moments des cris, des sanglots, des plaintes, de v'eritables bouff'ees de douleurs humaines, de d'esespoirs et de larmes.
Il flottait sur tout l’'enorme quadrilat`ere un ^acre parfum de rem`edes violents, une odeur caract'eristique d’iodoforme et d’acide ph'enique et l’on voyait voltiger dans le vent, malgr'e l’ordre minutieux des cours, des tampons d’ouate, des lambeaux de bandages, toutes les miettes de l’appareil de la souffrance.
Le seuil s’ouvrait par une entr'ee monumentale sur laquelle on cherchait, malgr'e soi, une inscription de d'esesp'erance. La vo^ute franchie, on trouvait de longs corridors 'etiquet'es `a toutes les calamit'es qui peuvent fondre sur l’organisme humain : maladies des yeux, maladies des oreilles, maladies contagieuses, services de chirurgie, clinique op'eratoire…
Le passant qui entrait l`a avait l’impression de p'en'etrer dans quelque enfer o`u tout un peuple de damn'es, tracass'e par le mal, souffrait, hurlait, s’acheminait lentement vers un destin fatal…
L’h^opital aux ^acres odeurs, l’h^opital bruyant de cris, de larmes et de sanglots avait pourtant sur sa facade int'erieure, du c^ot'e des boulevards, proche des arcades du m'etropolitain, un coin d’ombre et de silence. Rel'egu'e l`a, b^ati de quatre planches, un baraquement se dressait, peinturlur'e de rouge, clos de volets qui ne s’ouvraient jamais. C’'etait le d'ep^ot mortuaire. Chaque jour, on portait l`a, sur une civi`ere que les infirmiers nommaient la bo^ite aux dominos, les pauvres bougres qui avaient rendu l’^ame dans le vacarme indiff'erent des salles.
On n’attachait gu`ere d’importance `a eux. Ils 'etaient le d'echet de la science m'edicale, ils repr'esentaient aux yeux de tous un pourcentage, le chiffre de la mort triomphante sur les soins gu'erisseurs.
Or, par un ph'enom`ene curieux, c’'etait en r'ealit'e pr`es de ce pavillon de la mort, o`u s’entassaient les cadavres, couch'es les uns `a c^ot'e des autres, immobiles et encombrants, qu’il faisait le meilleur pour se promener.
Les malades convalescents n’allaient jamais tra^iner l`a. On parquait leurs pas h'esitants dans des cours sp'eciales ; seuls les infirmiers et les infirmi`eres pouvaient gagner l’enclos, aller fumer une cigarette ou bavarder un peu, `a l’abri des murs ti'edis par le soleil, dans le voisinage des moineaux qui, aimant ce coin tranquille, piaillaient, faisaient vacarme et nichaient le long des goutti`eres sans s’inqui'eter du mouvement lent et grave des infirmiers fossoyeurs.