Le Voleur d'Or (Золотой вор)
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Au lointain, d’ailleurs, l’obscurit'e naissait, l’obscurit'e de ces soirs de printemps qui est bleu^atre et opaque, comme alourdie de chaleur. La for^et s’endormait, elle aussi, on entendait tout juste quelques p'epiements d’oiseaux bavards, attard'es `a chercher une branche pour passer commod'ement la nuit. Au bas du coteau, tout au contraire, Robinson rutilait, flambait d’une foule de flambeaux allum'es, cependant que, des moindres jardins, des accents criards de valses ou de polkas s’'echappaient, intimement m'elang'es `a une ^acre odeur de pommes de terre frites, d’absinthe renvers'ee et de chaleur humaine.
La rue s’'etait faite d'eserte, mais les guinguettes regorgeaient de monde. Il y avait des d^ineurs dans tous les coins et `a toutes les tables et, cependant que la brise fra^iche du soir balancait les 'ecriteaux qui annoncaient la pr'esence du v'eritable arbre de Robinson, on entendait des cris, des rires perl'es qui montaient des bosquets, descendaient des branches d’arbres o`u s’'etageaient les belv'ed`eres et invariablement annoncaient que quelque cavalier galant serrait d’un peu pr`es sa compagne.
C’'etait un dimanche soir. D`es midi, Robinson s’'etait vu envahi par la foule. On avait beaucoup bu, dans'e plus encore, les chevaux en avaient vu de raides, les ^anes avaient mis `a l’'epreuve leur patience, et d'esormais, si les t^etes tournaient un peu, les coeurs, par un juste retour des choses, n’'etaient pas 'eloign'es de chavirer.
Aussi bien on avait le temps. Sur toute cette foule de midinettes, d’employ'es de bureau, de jeunes gens, s'equestr'es toute la semaine dans des bureaux noirs, la menace du lundi inexorable, de la reprise du travail pesait lourdement. On avait questionn'e les garcons, on savait que les trains partaient de quart d’heure en quart d’heure, qu’il y en avait jusqu’`a minuit, et l’on 'eternisait les heures de ce jour heureux, go^utant la volupt'e des balancoires, le piquant des vins mousseux, le parfum de l’'et'e aussi et toute la griserie qui s’'echappait des boucles blondes un peu d'efaites, des grands yeux un peu meurtris qui n’avaient plus gu`ere la force d'esormais de se f^acher ou de se faire m'echants.
Si cependant les couples 'etaient heureux, et les amoureux 'etaient en majorit'e dans les restaurants de Robinson, si des arbres, de branche en branche, les 'eclats de rire d'egringolaient en cascades, en averses de gaiet'e, il n’y avait point, ce dimanche-l`a `a Robinson, que de tendres soupirants. `A quatre heures, brusquement, un train avait amen'e, en effet, une foule d’individus, une dizaine de personnages qui n’appartenaient certainement pas `a la client`ele ordinaire de ce pays du rire et de la gaiet'e.
Les hommes 'etaient coiff'es de casquettes avachies, leurs vestons avaient une coupe 'etrange, leurs chemises de flanelle 'etaient d'eboutonn'ees au col, et leur seule 'el'egance r'esidait en leurs bottines d’un jaune criard, aux tiges extravagantes, `a la pointe des plus fines.
Les femmes qui les accompagnaient 'etaient pires qu’eux. Il y avait l`a deux ou trois brunettes dont le col s’ornait d’un ruban rouge, dont les jupons d'egraf'es tombaient perp'etuellement, dont la gorge, d'epourvue de tout corset, avait des houles inqui'etantes et vraiment r'ev'elatrices.
Eux avaient fui les divertissements. Ils n’'etaient entr'es ni dans le bal musette, ni dans les tirs `a la carabine. Ils avaient d'edaign'e le photographe qui op`ere `a mi-c^ote et r'eussit en deux minutes votre portrait sur un a'eroplane qu’il affirme v'eritable.
Ils n’avaient m^eme pas eu un regard pour les chevaux 'etiques que malmenaient des cavaliers dont les culottes remontaient jusqu’aux genoux. `A peine avaient-ils souri au passage de certaines amazones qui, d'epourvues de toute notion d’'equitation, se cramponnaient `a leur selle sans souci du grotesque effet de leurs jupes relev'ees sur des jambes plus ou moins jolies, sur des bas `a jours plus ou moins d'echir'es.
Tout simplement la bande, au sortir de la gare, avait tourn'e `a droite, mont'e la c^ote, puis, obliquant `a gauche `a la fourche, s’'etait enfourn'ee, engouffr'ee, engloutie dans un extraordinaire baraquement qu’il fallait assur'ement conna^itre pour croire que c’'etait l`a un mastroquet.
Nulle enseigne ne s’'etalait `a la porte, et pourtant, d`es l’entr'ee, on 'etait saisi par un ^apre relent de boissons fortes. Il y avait l`a une petite salle dont les murs avaient 'et'e blanchis `a la chaux, mais qui n’apparaissaient plus que noirs de crasse et surcharg'es d’inscriptions. On avait tant bu d’alcool en s’appuyant contre eux, tant de fois des doigts graisseux s’'etaient essuy'es sur leurs angles qu’ils paraissaient suinter le rhum et l’eau de vie.
Par contre, des flaques r'egnaient, ind'efinissables, croupissantes, amoncelant des d'etritus, bouts de pain, ronds de saucisson, d'ebris de cervelas, dans le carrelage absent qui laissait des trous sous les pas.
Le comptoir 'etait ch'etif, il tenait `a peine la largeur de la pi`ece. En revanche, il y avait deux tables boiteuses 'enormes, cal'ees par des bouchons, et devant lesquelles se trouvaient deux bancs sur lesquels il 'etait imprudent de s’asseoir, car leur solidit'e les rel'eguait depuis longtemps `a un simple effet d'ecoratif.
La bande entra l`a-dedans comme chez elle.
En t^ete venait un individu qui sit^ot p'en'etr'e dans la boutique tapait un grand coup de poing sur le comptoir.
— Oh l`a, le t^olier !… Ous’que t’es, patron de malheur ?
On entendit un grand vacarme, des bruits de sabots qui se tra^inaient sur le sol, une porte s’ouvrit, laissant p'en'etrer une 'epouvantable odeur de pourriture ; le propri'etaire du cabaret sortait de sa chambre.
Lui aussi valait d’^etre vu.
C’'etait un abominable bonhomme qui pouvait bien compter dans les quatre-vingts ans. Il portait une grande calotte noire, crasseuse `a l’infini, qui recouvrait enti`erement son front. Il avait un visage rouge et perp'etuellement congestionn'e. Sur son nez, 'ecras'e en pied de marmite, deux paires de lunettes chevauchaient. La bouche 'etait 'edent'ee, le menton en galoche.
Ce bonhomme ne portait pas de veston, il 'etait en bras de chemise. Mieux valait ne point contempler le reste de son accoutrement qui se dissimulait, d’ailleurs, derri`ere un tablier bleu, fort vieux d'ecid'ement, et qui n’avait jamais d^u conna^itre les soins du blanchisseur.