Le Voleur d'Or (Золотой вор)
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Ils n’'etaient pas dupes de la d'eclaration. Le patron du bouge, qui ne les connaissait pas, devait ^etre inquiet sur le paiement des consommations. C’'etait pour cela qu’il pr'etendait n’avoir rien d’autre, car il 'etait inadmissible qu’en pareil endroit il n’y e^ut en v'erit'e qu’une demi-bouteille d’absinthe…
— Toi, mon vieux, proposait Mon-Gnasse, je t’offre deux choses au choix : ou tu vas d'eballer de la marchandise, ou j’te saigne comme un lapin !
OEil-de-Boeuf 'etait tout aussi explicite :
— On va la crever, la bourrique ! tonnait-il.
Ma-Pomme, de son c^ot'e, avait trouv'e un divertissement plaisant. Pour faire rire Marie-Salope, qui 'etait secou'ee d’ailleurs d’un irr'esistible acc`es de gaiet'e, il 'etait pass'e derri`ere le patron du bouge et il lui flanquait une d'egel'ee de coups de pied tr`es bas plac'es dans le dos.
Abruti, le pauvre homme avait des contorsions effarantes.
— Ou's qu’est ta cave ? r'ep'etait inlassablement Ma-Pomme.
Et chaque question s’accompagnait d’un coup de pied.
`A ce moment, une nouvelle discussion s’'eleva dans le bouge.
Ca, c’'etait plus fort que tout… C’'etait `a d'ego^uter des hannetons… `a faire fuir des punaises, `a faire avorter des cancrelats !
D'egueulasse et Fumier ne venaient-ils pas de commettre une v'eritable infamie ?
Les deux compagnons, qui se disputaient un moment plus t^ot pour savoir qui boirait l’absinthe perdue le matin au zanzibar, s’'etaient brusquement raccommod'es en effet. Ils n’avaient plus fait de bruit, mais ils n’avaient pas perdu leur temps.
S’ils avaient cess'e, en effet, de vouloir s’assassiner, c’'etait tout bonnement qu’ils avaient avis'e les absinthes d'ej`a vers'ees dans les diff'erents verres et qu’avec une gloutonnerie rapace, ils en avaient fait justice.
— Eh bien, c’est du propre ! hurlait Ad`ele tr`es excit'ee. Et c’est d’la bonne copinerie !… On s’en fout, des poteaux, n’est-ce pas ? Ils peuvent s’serrer la ceinture, et boire, s’ils ont soif, du cru de la fontaine !… Non, mais, y aura donc pas un homme pour leur en fout’une flop'ee `a ces cocos-l`a ?
`A ce moment, et comme le vacarme devenait assourdissant dans le bouge, une voix grave ordonna :
— La paix !
Et comme par enchantement, chacun se tut. Un silence profond r'egna, entrecoup'e seulement par les hoquets 'epoumon'es du malheureux patron qui se frottait avec conviction, car le soulier ferr'e de Ma-Pomme l’avait cruellement molest'e.
— La paix !… Asseyez-vous !
Personne ne rechigna, on s’assit. L’homme qui parlait s’'etait lui-m^eme attabl'e dans l’ombre. Il avait pos'e devant lui un coffre, il promenait sur l’assistance un regard courrouc'e. Brusquement, il 'eclata en col`ere :
— Vraiment, d'eclarait-il, j’ai honte de vous, et je regrette de vous conna^itre ! Jamais on ne vous d'ecrassera ! Jamais on ne vous fera comprendre que votre conduite est stupide !… Ce n’est pas agissant comme vous le faites, `a la facon de r^odeurs imb'eciles, que vous parviendrez jamais `a quelque chose ! Vous ^etes du gibier de prison, voil`a tout… Pas un de vous, peut-^etre, ne finira grand ouvrier. Je vous renie !
La bande tremblait, ne soufflait mot. On n’osait point m^eme regarder celui qui parlait ainsi, `a peine chuchotait-on son nom, sur un ton de respect et d’effroi `a la fois :
— Fant^omas !… Fant^omas !… C’est lui ! C’est Fant^omas !…
C’'etait bien Fant^omas, en effet.
Le bandit, probablement d'esireux de d'epister la police, avait donn'e rendez-vous `a toute sa bande `a Robinson, indiquant le modeste bouge qu’il connaissait comme lieu de r'eunion. Il 'etait entr'e au milieu du vacarme, il avait assist'e aux querelles. Maintenant qu’il avait forc'e chacun `a se tenir tranquille, il continuait `a promener un long regard sur ceux qui l’entouraient.
Dans le regard de Fant^omas, on devinait alors comme un v'eritable d'edain, comme un cinglant m'epris.
Assur'ement, l’'enigmatique tortionnaire, le Ma^itre de l’effroi, le Roi de l’'epouvante et du crime, n’'etait pas de cette race-l`a. Il n’avait rien de commun avec la canaille dont il se servait parfois.
Ces gens pouvaient ^etre des complices, ils ne seraient jamais des amis, des confidents…
Un froid sourire passa sur le visage de Fant^omas, cependant que, d’un air infiniment las et v'eritablement 'ecoeur'e, il haussait les 'epaules.
Fant^omas alors appela :
— Le patron de l’'etablissement !
— C’est moi, d'eclara l’humble mastroquet.
Fant^omas ouvrit son coffre, prit quelque chose `a l’int'erieur, il dit encore :
— Avance, bonhomme ! Prends cela et va-t-en ! Tu n’as rien vu, tu n’as rien entendu, tu ne nous connais pas !
Avec un geste rapace, le vieillard avait d'ej`a saisi ce que lui tendait Fant^omas.
Ses doigts noueux, qui tout `a l’heure encore tremblaient, avaient en r'ealit'e brusquement retrouv'e une souplesse extraordinaire. Sa voix ne chevrotait plus d’ailleurs, tandis qu’il se courbait en r'ev'erences.
— Ah, merci bien ! disait-il, tu es bien toujours le m^eme… Merci, merci… Je ne savais pas que c’'etait des amis, vois-tu, sans quoi… Mais ca n’as pas d’importance, je ne sais rien, ah non, je ne sais rien, je ne saurai jamais rien !
Et il s’'eloignait, tra^inait ses galoches, en multipliant les courbettes.
Fant^omas, cependant, avait tir'e de sa poche un portefeuille et il 'etalait sur sa table, devant lui, un grand papier qu’il consultait du regard.
— Voici, d'eclara le bandit, je paye.