Le Voleur d'Or (Золотой вор)
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Et comme un fr'emissement semblait galvaniser tous les apaches r'eunis dans le bouge, Fant^omas poursuivait avec sa coutumi`ere tranquillit'e :
— Les comptes ne sont pas compliqu'es, d’ailleurs. `A chacun selon son d^u. Les femmes ont droit `a dix louis, sauf la Puce qui a fait le guet aux Invalides et qui aura pour cela une gratification de cinq louis suppl'ementaires… OEil-de-Boeuf et Bec-de-Gaz ont `a peine travaill'e, voil`a quinze louis pour eux. D'egueulasse et Fumier ont fait merveille, cinquante louis… Je tiens `a r'ecompenser Ma-Pomme qui, r'ecemment, s’est distingu'e, lui aussi, vingt louis pour lui… Je ne dois plus rien. Mais…
`A l’instant o`u Fant^omas avait dit :
Or, Fant^omas ne laissait pas le temps au m'econtentement de s’exprimer. Il tirait du coffret qu’il avait plac'e devant lui une nouvelle poign'ee de pi`eces d’or, il ajoutait :
— Mais, les comptes faits, je tiens `a ce que vous soyez, les uns et les autres, sages… Je ne veux pas d’aventures en ce moment. Voil`a de l’argent pour que vous soyez tranquilles, prenez !
Et alors, dans l’'etroite guinguette, ce fut un spectacle fantastique. L’un apr`es l’autre, Fant^omas appelait les apaches, il prenait alors dans sa cassette, par poign'ees, des louis d’or de vingt francs. Il les remettait sans compter `a ses complices.
— Empoche, toi, va-t’en !
Et ce fut, dans la pi`ece sombre, comme un rutilement extraordinaire, comme une d'ebauche d’or…
Des louis tombaient `a terre, avec un tintement joyeux. Ils roulaient sur le sol et les mis'erables, 'eblouis, les mains pleines, d'edaignaient, avec des airs de grands seigneurs, de les ramasser.
— Ca s’ra pour l’garcon, disait Marie-Salope qui enfouissait sa part dans ses bas.
Ils avaient tous `a ce moment les poches pleines, ils se regardaient avec des airs b'eats, r^evant d'ej`a des noces prochaines, des saouleries certaines qu’ils allaient assur'ement s’octroyer, des caprices qu’ils se passeraient.
Pr'ecis'ement, le patron du cabaret rentrait. Il connaissait 'evidemment Fant^omas, mais Fant^omas `a coup s^ur, d'esireux de se m'enager ses faveurs, de s’assurer aussi de sa discr'etion, l’avait royalement pay'e. Le bonhomme qui avait peut-^etre, lui aussi, ses raisons d’^etre aimable, reparaissait, portant trois bouteilles pleines d’absinthe.
— Voil`a, voil`a, commencait-il, j’en ai retrouv'e !…
Il n’avait pas pos'e les litres sur la table que tous se bousculaient vers eux…
— Ah ! ca, c’est fameux, par exemple, grommelait OEil-de-Boeuf. Quelle biture qu’on va s’envoyer !
Mais Fant^omas intervenait encore :
— Halte ! leur ordonnait le bandit.
Et comme un piqueur qui, brandissant son fouet, arr^ete la meute aboyante `a l’heure de la cur'ee, Fant^omas, le bras tendu, immobilisait ses compagnons.
— Pas un de vous ne boira ici ! ordonnait-il. Ma parole, si je vous laissais faire, vous seriez gris dans cinq minutes et bavards dans une heure… Dehors, vous tous, je ne veux m^eme pas que vous rentriez ensemble… Allez, les uns `a droite, les autres `a gauche. Vous vous saoulerez ce soir s’il vous pla^it, brutes que vous ^etes, mais vous le ferez quand vous serez loin et quand vous ne pourrez pas me compromettre…
Il y eut de sourds grognements, des jurons 'etouff'es, des protestations col'ereuses.
C’'etait assommant, `a la fin, avec Fant^omas, c’'etait pire que dans un couvent ! On ne pouvait pas seulement bosser un quart d’heure tranquille… On avait la langue d’amadou, et il vous emp^echait d’licher ! C’'etait pas Dieu possible !
Mais tout cela se disait `a voix basse, sournoisement. Nul n’e^ut os'e braver le Ma^itre en face, nul n’e^ut os'e lui d'esob'eir.
Le regard de Fant^omas, d’ailleurs, ne permettait pas aux autres de le fixer.
La force du bandit, la myst'erieuse autorit'e qu’il exercait si facilement, l’ascendant irr'esistible qu’il prenait sur tous r'esidait peut-^etre m^eme en ce regard, ce regard extraordinaire, percant, volontaire, qui n’autorisait aucune discussion, qui forcait tous les yeux `a se baisser.
— Dehors ! r'ep'etait Fant^omas. Allez vous-en !
Ils partirent les uns apr`es les autres. D'egueulasse et Fumier se h^ataient vers la gare, avides de retourner `a Paris o`u ils iraient tout de suite s’enfermer dans un caveau des Halles pour tirer une bord'ee colossale.
OEil-de-Boeuf et Bec-de-Gaz, eux, d'ecidaient tout d’abord d’aller danser un peu dans un des bals de l’endroit. Cela n’emp^echait pas, parbleu, de vider trois ou quatre bouteilles ; ils emmenaient Marie-Salope et Ad`ele.
Sans mot dire, la Puce et Mon-Gnasse descendirent vers le tramway qui se dirigeait vers Montrouge.
Pour Fant^omas, il sortait le dernier, s’enfoncait dans les bois. Il avait murmur'e deux mots `a l’oreille du patron du bouge, et celui-ci, rest'e seul, `a genoux, riant d’aise, promenait d'esormais dans la salle ses mains crochues, rep^echant de temps `a autre, enfoui dans les d'etritus, un louis d’or dont il 'eprouvait l’authenticit'e en le m^achant imm'ediatement du bout des dents !
Deux heures plus tard, la Puce et Mon-Gnasse se trouvaient sur les boulevards ext'erieurs `a la hauteur des Entrep^ots, au coin de la rue de Flandre, tout juste `a l’endroit o`u se tenait une f^ete foraine dont les orgues et les chevaux de bois causaient un v'eritable tintamarre.
La Puce 'etait grise et Mon-Gnasse 'etait amoureux.
— T’es rien gironde, ma poule, disait tendrement l’apache `a sa ma^itresse. Ah ! c’est pas pour dire, mais dans Pantruche, y en a pas beaucoup encore qui te f’raient la l’con…