Le Voleur d'Or (Золотой вор)
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Cette fois, le ministre de l’int'erieur battit des mains.
— Bravo, bravo !… dit-il. Et ces individus, o`u sont-ils ? Qu’ont-ils dit ?
Ce fut M. Havard qui reprit la parole :
— Ils n’ont rien dit du tout. Fouill'es, on les a trouv'es porteurs d’une quantit'e de pi`eces d’or, mais ils n’ont pas voulu en indiquer la provenance. Quant `a l’endroit o`u ils sont, c’est bien simple, ils sont dans la cuisine !
Mais, `a ce moment, M. Havard rougit comme un 'ecolier pris en faute et se mordit les l`evres. Il venait de laisser 'echapper un mot imprudent, il le regrettait de toute son ^ame, avec le vague espoir que le ministre de l’int'erieur ne l’avait pas remarqu'e.
La
Juve s’apercevait de l’embarras du chef et dissimulait mal un sourire satisfait.
Juve ne pouvait sentir la cuisine. Il trouvait le proc'ed'e honteux, jamais il ne l’avait appliqu'e. Cuisiner un inculp'e, c’est en effet tenter de surprendre sa bonne foi, de capter sa confiance en lui mentant sans vergogne. C’est un peu se mettre `a son niveau, c’est user de fourberie et de l^achet'e, c’est ex'ecuter un chantage moral !
Les pauvres bougres que l’on arr^ete, en effet, sont le plus souvent quelque peu effar'es lorsqu’ils se sentent pris dans le terrible engrenage qu’est la machine judiciaire. Ils perdent la t^ete, ils s’'epouvantent. Or, l’homme est ainsi fait qu’`a l’instant o`u il a peur, quel qu’il soit, il 'eprouve le besoin d’une amiti'e, d’un confident, d’une compassion, d’une plainte.
C’est alors que les policiers cuisinent. On laisse tranquillement l’inculp'e s’effrayer, solitaire, dans sa cellule. On affecte une s'ev'erit'e exag'er'ee `a son endroit, cela s’appelle, en argot, lui faire faire cornichon. Et quand l’inculp'e est arriv'e `a un degr'e complet de d'esespoir, un nouveau policier para^it. Celui-l`a affecte d’^etre bon type. Il cause, il plaisante avec le prisonnier, il ne prend pas son affaire au s'erieux. `A l’entendre, tout s’arrange, l’important, c’est de ne pas rousp'eter et de ne pas nier ce qui n’est pas niable.
Le policier va quelquefois, et de l`a vient le terme de « cuisine », jusqu’`a offrir `a sa victime un bon repas qu’il fait venir d’un restaurant voisin. Il d^ine lui-m^eme avec le prisonnier, les verres se heurtent, on devient copains et, tout naturellement, l’homme arr^et'e perd de sa m'efiance, croit avoir trouv'e un ami, se confesse, avoue, demande des conseils…
Alors, il est perdu !
La cuisine a r'eussi.
L’agent qui vient de se conduire comme un mouchard r'edige un rapport, note les aveux, les communique au juge d’instruction.
C’est une tra^itrise de plus, c’est un succ`es de plus aussi pour le policier !
Juve, maintes fois, avait protest'e contre l’usage de pareilles pratiques. M. Havard s’ent^etait `a les tol'erer.
— Bon ! bon ! pensa Juve, constatant l’embarras de son chef. Si par hasard il trinquait, ce ne serait pas vol'e !
Mais le ministre de l’int'erieur avait 'evidemment d’autres pr'eoccupations `a ce moment et ne songeait pas `a gourmander M. Havard.
— Pressons-nous, murmurait-il. Si nous interrogions ces gens ?
Un timbre retentit `a nouveau. Cuche parut.
— Avertissez `a la permanence, ordonna M. Havard, qu’on fasse monter les deux individus qui attendent !
Il fallut quelques secondes pour que l’ordre s’ex'ecut^at.
Enfin, la porte du cabinet du chef s’ouvrit, Mon-Gnasse et la Puce entr`erent. Mon-Gnasse avait le visage fleuri, et la Puce elle-m^eme paraissait d’excellente humeur. Mon-Gnasse, d’ailleurs, s’essuyait la bouche du revers de la manche, il sentait encore le vin.
— Et voil`a ! annoncait-il en entrant, se dandinant sur ses hanches et inspectant d’un coup d’oeil le cabinet du chef de la S^uret'e. Bonsoir, m’sieurs dames !… Tout d’m^eme, on aurait bien pu nous laisser finir le gueul’ton ! Quoi qu’y n’y a ?
L’attitude de Mon-Gnasse, imm'ediatement, renseigna M. Havard.
Assur'ement, si l’apache se tenait ainsi, c’est qu’il n’avait rien avou'e du tout, c’est que la cuisine, interrompue trop t^ot peut-^etre, n’avait pas encore eu de r'esultats.
M. Havard, furieux, se fit brusque et cassant.
— Taisez-vous, ordonnait-il, avancez !
Mais ni Mon-Gnasse ni la Puce n’ob'eissaient. La Puce, d’ailleurs, regardait les ministres, un large sourire 'epanouissant sa figure :
— Ah, mince de flics, alors ! l^achait-elle. Non, mais qu’est-ce qu’on nous veut donc ?
Le ministre de la Justice pouffa, cependant que ses coll`egues gardaient avec peine leur s'erieux.
Alors la Puce ne retint pas sa gaiet'e.
— Eh, p’tit p`ere, fit-elle en toisant le garde des Sceaux… S^urement qu’tu viens d’enterrer ta femme, pour et’si gai !… Qu’est-ce que t’as `a t’secouer la bedaine ?
— Assez, assez, taisez-vous ! ordonna M. Havard, qui fr'emissait d’'epouvante.
La Puce se tut, haussant les 'epaules, cependant que Mon-Gnasse, tranquillement, crachait par terre, pris soudain d’une col`ere furieuse.
— Ah puis, ca va bien ! faisait-il. Faudrait voir `a voir `a n’pas nous engueuler ! On n’est pas des zigs `a s’laisser faire… J’veux des 'egards pour ma marmite, moi !
M. Havard coupa net la tirade.
— Je vous pr'eviens, disait-il, que si vous continuez sur ce ton, je vais s'evir…
Mais Mon-Gnasse se trompait et ne comprenait pas.
— Qu’est-ce que tu vas servir, farceur ? Ah ca, c’est donc la t^ole au grand Dab, icigo ?… On vient d’se caler l’estomac et tu parles de r’commencer ? C’est ta tourn'ee, alors ? Tu payes le caf'e ?
Mon-Gnasse, 'evidemment, cr^anait. M. Havard, cependant, le laissait aller, sachant fort bien, gr^ace `a son habitude des interrogatoires, que les accus'es qui bavardent beaucoup, posent `a ^etre forts, sont en r'ealit'e ceux qui se troublent le plus.