Les souliers du mort (Ботинки мертвеца)
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D`es lors, rebroussant chemin, le faux oncle Baraban se dirigea vers la gare.
Il s’approchait de la station, qui, soudain, devenait anim'ee, remuante. Un train arrivait de Paris, quelques voyageurs en descendaient. Le faux Baraban se dissimula dans l’ombre pour observer les passants.
Tout `a coup il tressaillit.
— Les voil`a, murmura-t-il. Ce sont eux.
Gauvin p`ere et fils revenaient de Paris, encore tout stup'efaits du r'esultat de la loterie qui venait d’^etre tir'ee quelques heures auparavant.
Quant au faux Baraban, il ne repartit pour Paris qu’`a l’aube.
20 – UN JOYEUX VIEILLARD
Juve remettant `a plus tard de proc'eder `a une enqu^ete plus subtile, sur les 'ev'enements qui venaient de se produire, avait repris le train pour Paris.
En son for int'erieur le policier 'etait tr`es satisfait du r'esultat de l’aventure. Le retour inopin'e de l’oncle Baraban lui donnait absolument raison.
Et, pour ^etre un grand honn^ete homme, Juve n’en avait pas moins une certaine satisfaction d’amour-propre, en se disant qu’une fois de plus, il avait eu raison contre tout le monde. Il se demandait, non sans malice, la t^ete que pouvait bien faire `a l’heure actuelle M. Havard, en songeant qu’il venait de proc'eder `a l’arrestation de deux suspects apr`es avoir, au pr'ealable, arr^et'e deux autres personnes, et que nul dans ce quatuor d’inculp'es n’avait pu ^etre maintenu sous l’accusation d’avoir assassin'e un homme, pour cette bonne raison que cet homme se portait `a merveille.
Le policier, lorsqu’il descendit `a la gare Saint-Lazare, 'eprouva le besoin d’aller se coucher, car il 'etait tr`es fatigu'e. Le lendemain, il se levait d’assez bonne heure, non sans avoir au pr'ealable, longuement r'efl'echi dans son lit. C’'etait au lit, en effet, que Juve 'etudiait les diverses affaires dont il 'etait charg'e.
Le policier 'etait un peu plus troubl'e, un peu plus perplexe que la veille au soir. Il avait repass'e dans son esprit les 'ev'enements qui s’'etaient produits si rapidement d’ailleurs, `a la gare de Vernon, et deux choses le pr'eoccupaient. Tout d’abord, encore que l’oncle Baraban f^ut vivant, il subsistait un myst`ere, celui des deux malles qui avaient jou'e un r^ole si important dans la tragi-com'edie de la rue Richer. Cette malle verte, adress'ee `a Brigitte, soi-disant par Baraban, et dont on ne savait pas la v'eritable origine.
Et puis aussi, cette malle jaune que l’on avait pu introduire dans l’appartement du c'elibataire au cours de l’apr`es-midi pr'ec'edant la nuit du scandale, et que l’on avait perdue de vue, puis retrouv'ee ensuite, par la simple indication de sa serrure jet'ee dans le puits de la maison des Ricard `a Vernon, alors que selon toute probabilit'e, les Ricard avaient fait dispara^itre le reste de la malle, br^ul'ee dans le fourneau, ainsi qu’il r'esultait des morceaux calcin'es retrouv'es par Havard.
Certes, Juve savait qu’il y avait dans cette bizarre famille, un myst`ere, une intrigue d’amour. Il avait d'ecouvert, et d’ailleurs Alice Ricard ne s’en 'etait pas cach'ee, que la ni`ece 'etait la ma^itresse de l’oncle, `a l’insu du mari, comme il se doit.
Et Juve avait m^eme souri `a cette id'ee en songeant que l’oncle Baraban avait 'et'e oblig'e d’avouer la veille, devant tout le monde, qu’il avait disparu avec une petite femme.
— Il va se faire arracher les yeux par sa ni`ece, avait pens'e Juve, qui imaginait assez bien un t^ete-`a-t^ete orageux entre ces deux amants, une fois le mari le dos tourn'e.
Juve 'etait naturellement `a cent lieues de se douter de la sc`ene v'eritable qui s’'etait d'eroul'ee le soir m^eme de l’arriv'ee du faux oncle Baraban dans la maison des Ricard.
Il y avait enfin autre chose que Juve pr'etendait tirer au clair. Le d'esordre cr'e'e dans l’appartement de Baraban lui 'etait apparu de plus en plus suspect, et il lui semblait que le vieillard, en s’accusant d’une simple fugue amoureuse, n’avait pas d^u dire toute la v'erit'e. Assur'ement, il y avait eu mise en sc`ene, et mise en sc`ene voulue `a des fins bien pr'ecises. Que voulait Baraban, en pr'eparant ainsi de la sorte, l’opinion publique, en l’aiguillant vers l’hypoth`ese d’assassinat ?
Juve, en s’habillant, avait longuement r'efl'echi `a ce dernier probl`eme, sans lui trouver de solution satisfaisante.
Et haussant les 'epaules, il en 'etait arriv'e `a conclure :
— Apr`es tout, ce joyeux vieillard a peut-^etre voulu faire croire `a son neveu et `a sa ni`ece qu’il 'etait bien mort, afin qu’on le laiss^at tranquille, et qu’il puisse filer le parfait amour avec la nouvelle 'elue de son coeur. Cependant, avait conclu Juve, il faut que j’en aie le coeur net.
Vers onze heures du matin, le policier qui 'etait sorti `a pied, arrivait rue Richer. Il s’introduisit dans le couloir de l’immeuble, et gagnait l’escalier, lorsqu’il s’entendit appeler :
— Monsieur Juve ! Monsieur Juve !
Le policier se retourna, c’'etait la concierge. La brave femme avait l’air toute boulevers'ee.
— Ah, s’'ecria-t-elle en apercevant l’inspecteur de la S^uret'e, je crois bien Monsieur Juve, que je vais en devenir folle. Savez-vous ce qui est arriv'e ?
— Ma foi non, fit le policier.
La concierge tonna :
— Eh bien, c’est Baraban, ce M. Baraban, ce brave et digne homme, mon locataire est rentr'e ! Voil`a-t’y pas les morts qui reviennent maintenant ! Ah, monsieur Juve, j’en ai z’eu les sangs retourn'es, m^eme que j’ai 'et'e oblig'ee d’absorber trois vuln'eraires pour me remettre.
La bonne femme sentait l’alcool `a plein nez, ce qui d'etermina chez Juve cette question :
— Il y a longtemps, interrogea-t-il, que vous avez absorb'e ce cordial ?
La concierge d'esignait, sur la table de sa loge, une fiole `a moiti'e vide :
— Mais dix minutes `a peine, monsieur Juve, dix minutes seulement. Mon locataire n’est rentr'e que ce matin.
— Ah bah, fit Juve, votre locataire n’est rentr'e que ce matin. Vous ne l’avez donc pas vu hier, hier apr`es-midi ?
— Ah bien s^ur que non, monsieur Juve, fit la concierge, sans quoi j’aurais eu le temps de me remettre comme de bien entendu, et telle que vous me voyez, je suis encore sous le coup de la surprise et de l’'emotion.