Les souliers du mort (Ботинки мертвеца)
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— D'ecid'ement, songea Juve, j’ai bien fait de venir. Les myst`eres sont loin d’^etre 'eclaircis.
La concierge, cependant, l’avait quitt'e pour aller r'epondre `a une foule de comm`eres qui s’introduisaient dans sa loge, envahissaient le couloir de la maison. Le quartier venait d’^etre mis au courant, les journaux du matin avaient annonc'e le retour de Baraban. On venait aux renseignements.
Juve grimpa l’escalier, sonna `a la porte de l’appartement du fameux personnage.
Quelques instants apr`es Juve se trouvait en pr'esence de M. Baraban.
Le vieillard 'etait tir'e `a quatre 'epingles. Il avait une rose `a la boutonni`ere de sa jaquette et portait, sur sa chevelure blanche, tr`es abondante, un chapeau haut de forme, cr^anement inclin'e sur l’oreille.
Un instant, il parut interdit en apercevant ce visiteur, et eut un brusque recul en arri`ere. Mais imm'ediatement apr`es, le personnage se ressaisissait, il ajustait son lorgnon sur son nez et prof'era d’une voix cordiale, un peu chantante :
— Tiens par exemple, quelle bonne surprise ! Comment allez-vous, mon cher ami ?
Sans attendre de r'eponse, il pirouetta sur ses talons, alla `a la fen^etre de son petit salon, fit tomber une jalousie, ce qui att'enuait la lumi`ere :
— C’est `a cause des mouches, s’'ecria-t-il. Mon appartement est expos'e au midi, et ces sales b^etes l’envahissent chaque fois qu’elles le peuvent.
Il revenait vers Juve, lui tapait amicalement sur l’'epaule :
— Je vous demande pardon, je suis horriblement press'e. Je descends.
Juve 'etait demeur'e silencieux, abasourdi par cet accueil. Baraban ne le connaissait gu`ere, il l’avait juste apercu la veille. Que signifiait cette r'eception ?
— Il est peut-^etre fou, pensa Juve. En tout cas, c’est un dr^ole d’'energum`ene.
Le policier allait poser une question, son interlocuteur ne lui en laissait pas le temps, il l’entra^inait sur le palier de l’escalier. Puis, dans la demi-obscurit'e qui r'egnait, il s’approcha de Juve, le d'evisageant curieusement :
— C’est dr^ole, fit-il, je vous connais tr`es bien, et je ne vous remets pas en ce moment. Quel est donc votre nom ? Vous ne m’en voulez pas de vous le demander, n’est-il pas vrai ? Je vois tellement de monde, et il m’est arriv'e depuis quelques heures, de si singuli`eres aventures, que j’en suis tout abasourdi.
Juve se nomma.
Baraban levait les bras au ciel :
— C’est bien ce que je me disais, fit-il. Vous 'etiez `a Vernon hier soir ?
— Oui, commenca Juve.
Mais Baraban l’avait pris par le bras, l’entra^inait dans l’escalier, le contraignant `a descendre avec lui :
— Quel dommage mon cher ami, disait le joyeux vieillard, que vous ne soyez pas rest'e `a la r'eception qui m’a 'et'e faite par toute la population hier soir chez les Ricard. C’'etait d’un charmant, d’un exquis, d’un d'elicieux ! Je ne connaissais pas Vernon, la ville est coquette, les femmes y sont ravissantes, et les hommes des plus aimables. C’est 'egal, croyez-vous que c’en est une aventure, et que mes pauvres petits neveux, cette gentille Alice, cet excellent Fernand, ont eu du fil `a retordre `a mon sujet avec les gaffes de la police. Cela ne vous vexe pas au moins que je dise du mal des gens de la S^uret'e ?
— Mon Dieu ! prof'era Juve, pour ma part, je n’ai jamais cru `a un assassinat, mais bien `a une fugue !
— L`a ! s’'ecria l’oncle Baraban en secouant les mains du policier, je l’aurais jur'e sur la t^ete des enfants que je n’ai jamais eus. Vous ^etes un type 'epatant, vous ! Ca se devine tout de suite et vous avez du flair. Parbleu, vous vous ^etes dit :
Juve, compl`etement ahuri par l’'etourdissant verbiage de ce joyeux vieillard, ne pouvait pas placer un mot. On 'etait d'esormais sur le pas de la porte. Baraban passa raide devant la loge de la concierge. D’un geste de m'epris il la d'esigna au policier :
— La vilaine, fit-il, c’est elle qui est la cause de toutes mes histoires.
Cependant, la porti`ere s’approchait. Elle balbutia, larmoyante :
— Monsieur Baraban, voyons… vous m’en voulez toujours ?
Solennel, le faux Baraban d'eclara :
— Tout est fini `a jamais entre nous, madame, et je d'em'enage au prochain terme.
Cependant, Baraban s’'etait avanc'e dans la rue, une clameur s’'elevait.
C’'etaient les comm`eres du quartier qui prof'eraient leur enthousiasme et leur surprise `a la vue du vieillard, et Juve, qui le suivait difficilement dans la foule, entendait `a son sujet les commentaires les plus bizarres :
— Comme il est chang'e, on ne le reconna^itrait pas, disait la fruiti`ere, juch'ee sur un escabeau sur le pas de sa porte, cependant que deux voisines protestaient :
— Moi, je le reconnais ! Toujours le m^eme, ce Baraban, et v^etu comme un prince. On voit bien que c’est un homme `a femmes.
Baraban, cependant, s’'eloignait, 'ecartait d’un geste digne les importuns. Quelques audacieux avaient demand'e :
— Qu’est-ce qu’il vous est donc arriv'e, Monsieur Baraban ?
— Si vous voulez le savoir, lisez les journaux, il y a vingt-cinq colonnes sur mon histoire, on ne parle que de moi.
Juve avait rejoint Baraban.