Les souliers du mort (Ботинки мертвеца)
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— Tu ne feras jamais cela, mon petit car tu le regretterais toute ton existence, et m^eme apr`es.
— Juve, s’'ecria Fandor.
C’'etait en effet le policier qu’il avait devant les yeux, mais le policier si merveilleusement grim'e que son ami le plus intime, que Fandor lui-m^eme, avait 'et'e incapable de le reconna^itre.
— 'Ecoute, Fandor, dit le policier, les instants sont compt'es. Rends-moi service, et ob'eis sans chercher `a comprendre, les explications viendront ensuite. Il est sept heures et quart, Fandor. Dans quarante-deux minutes, un train part pour Vernon. Prends-le. Installe-toi tout pr`es de la maison des Ricard. Surveille-moi discr`etement, mais attentivement, les faits et gestes de ces gens-l`a. Il ne faut pas que nous perdions leurs traces, c’est de la plus haute importance. Attends-moi l`a-bas et tiens-moi au courant. S’ils s’en vont, suis-les.
Juve quittait d'ej`a Fandor. Le journaliste courut apr`es lui :
— Entendu, disait-il, mais de gr^ace, Juve, qu’allez-vous faire ? Pourquoi ce d'eguisement ?
Sans r'epondre `a la question de Fandor, le policier lui demanda simplement :
— Suis-je bien grim'e ?
— Vous ^etes admirable.
— M'econnaissable, n’est-ce pas ?
— Ah certes oui. Vous voyez, Juve, moi-m^eme, je ne vous ai pas…
D'ej`a, le policier 'etait parti.
En h^ate, d'esormais, le journaliste s’habillait. Dix minutes apr`es, il 'etait hors de chez lui.
Juve l’avait 'ecout'e partir du haut de l’escalier. Lorsque Fandor se fut 'eloign'e, le policier gagna le seuil de la porte de l’appartement occup'e par Baraban.
Et, comme il l’avait fait l’instant pr'ec'edent chez Fandor, il sonnait chez celui qu’il prenait pour l’oncle des Ricard.
Le coeur lui battait fort, `a l’excellent inspecteur de la S^uret'e, alors qu’il attendait derri`ere cette porte. Allait-on lui ouvrir ? Se trouverait-il en pr'esence de l’homme qu’il recherchait ? Ou alors, l’'enigmatique personnage que Juve avait poursuivi la veille avec tant d’acharnement s’'etait-il m'efi'e ? Avait-il d'ej`a disparu ?
La porte s’ouvrit enfin, et Juve, dissimulant sa satisfaction, se trouva en pr'esence de l’oncle Baraban.
Celui-ci achevait sa toilette. Il 'etait en pantoufles et en veston d’int'erieur.
— Me voil`a, fit-il.
Souriant d’un air stupide `a son interlocuteur, Juve r'epondit :
— C’est moi, monsieur Baraban. Que de plaisir pour moi `a vous retrouver.
Avec m'efiance, Baraban regardait ce nouveau venu.
— De me retrouver ? Qui ^etes-vous donc ?
— Monsieur ne me reconna^it pas ? Monsieur veut plaisanter ? Je suis Sulpice. Voyons, monsieur… Monsieur sait bien que je suis le domestique de monsieur et que j’'etais encore `a son service, lorsque monsieur est parti d’ici avec la petite dame.
Tandis que Juve prof'erait ces paroles, Baraban le consid'erait avec une singuli`ere attention, une attention telle que Juve, un instant, redouta d’^etre reconnu.
Mais cela ne durait pas, et soudain, la physionomie du pseudo Baraban s’illumina :
— Que je suis b^ete, s’'ecria-t-il. Mon pauvre Narcisse ! J’ai perdu la t^ete, d'ecid'ement, `a la suite de cette aventure. Si je vous reconnais, mais je pense bien, je ne connais que vous. Ah ce brave Narcisse, ce brave…
— C’est pas Narcisse, monsieur sait bien que je m’appelle Sulpice.
— J’ai dit Narcisse, ce n’est pas possible. Parbleu, Sulpice, je ne connais que ca !
L’extraordinaire vieillard allait et venait dans la pi`ece. Il reprit apr`es un l'eger silence :
— Eh bien, Sulpice, je suis enchant'e de vous avoir vu, mais je ne vous retiens pas, il faut que je sorte.
— Comme ca se trouve, s’'ecria Juve, j’ai justement apport'e des affaires `a monsieur, ses bottines. Monsieur sait bien, celles qu’il avait dit de ressemeler.
Juve d'efit en h^ate un paquet de lustrine qu’il avait sous le bras et il d'eposa aux pieds de Baraban une paire de chaussures que celui-ci contempla, sinc`erement surpris :
— Ah, c’est tr`es bien, dit-il, mais pour le moment, je n’ai besoin de rien.
Avec une pr'ecipitation extraordinaire le vieil homme, `a l’allure si bizarre, enfila une paire de bottines `a peine propres, qu’il choisit de pr'ef'erence `a celle apport'ee par ce domestique empress'e.
Juve, tout en affectant un air enjou'e et soumis, ne perdait pas des yeux Baraban. Et, instinctivement, le policier ramenait sans cesse la main droite `a la poche du pantalon dans laquelle se trouvait son browning tout arm'e.
Le coeur lui battait. L’exp'erience qu’il venait de tenter r'eussissait, 'etait 'eminemment concluante `a ses yeux.
Depuis la veille, Juve avait r'efl'echi, longuement, minutieusement, et il s’'etait dit :
— L’individu que je viens de suivre, que je prenais pour l’oncle de Ricard, n’est pas Baraban. C’est un imposteur, quelqu’un qui, pour une raison que j’ignore encore, s’est attribu'e cette personnalit'e, pour en tirer un b'en'efice.
Mais pourquoi Juve, subitement, ne croyait-il plus `a la personnalit'e de Baraban ? Pourquoi le policier, qui, cependant, avait vu triompher sa th`ese de la fugue par l’arriv'ee inopin'ee `a Vernon du vieillard, brusquement, avait-il chang'e d’avis ? Oh, la chose 'etait facile `a comprendre !
Lorsque la veille, en venant au 22 rue Richer, `a seule fin de questionner Baraban au sujet de la disparition sensationnelle, Juve avait eu l`a, bien en face de lui, l’extraordinaire vieillard, lorsqu’il l’avait enfin perdu de vue au moment de leur arriv'ee `a tous deux rue Duperr'e, le c'el`ebre policier, malgr'e lui, avait eu l’intuition subite, puis bient^ot la certitude que ce vieillard 'etait un imposteur et qu’il jouait un r^ole en se faisant passer pour l’oncle des Ricard. Et, `a certains indices, `a certains d'etails relev'es au cours de sa promenade dans Paris avec le bizarre personnage, Juve s’'etait dit :