Les souliers du mort (Ботинки мертвеца)
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Juve, alors, avait song'e `a son 'eternel ennemi.
Malgr'e tout, la chose lui paraissait tellement extraordinaire, qu’il voulait, avant d’agir, avant de sauter `a la gorge du bandit, s’assurer qu’il ne s’agissait pas d’un autre.
Il fallait d’abord acqu'erir la certitude que l’individu, r'eapparu sous le nom de Baraban, n’'etait pas le v'eritable Baraban.
Juve avait donc imagin'e de venir chez lui, grim'e en domestique. Pour s’assurer qu’il 'etait m'econnaissable, en m^eme temps que pour donner des instructions `a Fandor, il 'etait arriv'e sans se faire conna^itre. Or, Fandor ne l’avait pas d'emasqu'e. C’'etait l`a une exp'erience concluante, qui lui permettait de se pr'esenter hardiment devant ce Baraban myst'erieux sans risquer d’^etre reconnu de lui, m^eme si Juve se trouvait en pr'esence de Fant^omas. Juve savait pertinemment que jamais le v'eritable Baraban n’avait eu de domestique du nom de Sulpice, n’avait jamais employ'e de domestique m^ale m^eme. Juve avait fait mieux encore.
`A cause de ses enqu^etes, alors que l’on recherchait s’il y avait eu crime ou fugue, il s’'etait procur'e la pointure du v'eritable Baraban. Il avait alors achet'e des chaussures de m^emes dimensions, Juve les avait apport'ees, pour les faire mettre `a son interlocuteur. Celui-ci s’y 'etait refus'e.
Il avait suffi d’ailleurs d’un coup d’oeil `a Juve, pour s’apercevoir que le Baraban, qui s’agitait en face de lui, avait les pieds plus grands que le v'eritable Baraban, bel et bien disparu `a coup s^ur. Oui, si l’imposteur avait voulu chausser les souliers du mort, il n’aurait pas pu le faire. D`es lors, Juve ne quitta plus des yeux le myst'erieux personnage en qui il sentait de plus en plus, un redoutable adversaire. Il avait la main sur son browning, et il lui semblait qu’au moment o`u, de ses doigts robustes, il caressait la crosse de l’arme, son interlocuteur devait faire de m^eme, et pr'eparer lui aussi un revolver. Cependant, en l’espace de quelques secondes, M. Baraban, ou le soi-disant tel, avait achev'e de se v^etir, et tout en plaisantant d’une voix mal assur'ee avec celui qu’il continuait `a bien vouloir appeler Sulpice, il se dirigeait vers la porte :
— Mon garcon, ordonna le soi-disant Baraban, je sors, passez devant.
Mais Juve avait bondi en arri`ere.
— Je ne me permettrai jamais. Monsieur, de passer devant Monsieur. C’est contraire `a toutes les r`egles, et un bon domestique comme moi, qui se respecte, ne commet jamais une pareille incorrection.
L’instant n’'etait d’ailleurs plus `a la com'edie, et les deux hommes semblaient se mesurer du regard. Juve s’imaginait qu’il allait peut-^etre avoir `a soutenir une lutte terrible dans un instant, dans une seconde, mais il n’en 'etait rien.
Comme s’il se rangeait soudain `a l’argument du pseudo-domestique, le faux Baraban, car Juve avait d'esormais acquis la certitude qu’il avait un imposteur en face de lui, s’'elancait dans l’escalier qu’il descendait `a vive allure.
« Ca y est, pensa Juve, je te tiens, nous le tenons.
Et il songeait que, pris entre lui et les deux hommes qui gardaient l’entr'ee, le mis'erable n’allait pas pouvoir s’enfuir.
Juve se pr'ecipita donc `a la poursuite de celui qu’il avait d'esormais identifi'e dans sa pens'ee, presque effectivement, pour ^etre Fant^omas.
Et, comme il tournait au milieu de l’escalier, Juve brusquement, poussa un cri et tomba `a la renverse.
Il eut l’impression que les marches lui manquaient sous les pas. Le policier, pendant quelques secondes, perdit conscience de ce qui lui 'etait arriv'e, le choc avait 'et'e violent, la t^ete de Juve avait port'e contre le mur, ce qui le laissa 'etourdi.
Mais l’inspecteur de la S^uret'e r'eagit sur le coup et, faisant un effort surhumain, il retrouva ses sens, se remit debout. Un grand brouhaha retentissait au-dessous de lui. Juve se pr'ecipita.
Comme il parvenait au bas de l’escalier, deux hommes s’'elancaient vers lui : c’'etaient les agents qu’il avait post'es une demi-heure auparavant devant la porte : L'eon et Michel.
Il faisait assez obscur dans le couloir, les deux hommes se jet`erent sur le policier.
— Eh bien ? hurla Juve, o`u est-il ? Vous l’avez arr^et'e ? Je parie que vous l’avez encore laiss'e 'echapper ?
— L’homme n’est pas sorti, dit Michel.
— Mais il me quitte `a l’instant, dit Juve. Il me pr'ec'edait il y a deux secondes !
— Nous avons vu sortir un homme, dit L'eon, il nous a cri'e :
— Et cet homme, interrogea Juve, vous ne l’avez pas reconnu ?
— Vous nous aviez dit d’arr^eter Baraban, l’homme aux longs cheveux blancs, `a la barbe blanche.
— Et, poursuivit L'eon, l’homme qui sort d’ici 'etait brun, ras'e.
— Fant^omas, hurla Juve au comble du d'esespoir, vous avez laiss'e 'echapper Fant^omas.
L'eon et Michel, abasourdis, allaient poser une question `a leur chef. Ils recul`erent terrifi'es, un geste 'energique et brusque les repoussait.
— Imb'eciles, avait dit Juve.
C’est tout. Il n’ajouta pas d’autres commentaires, mais le ton de ses paroles 'etait si m'eprisant, que des larmes en vinrent aux yeux du brave L'eon et de l’excellent Michel.
Juve, cependant, lentement, remontait l’escalier. Il lui restait quelque chose `a 'eclaircir. Il voulait `a toute force savoir pour quelle raison il 'etait tomb'e par terre, et comment il se faisait que Fant^omas avait pass'e devant ses deux agents, non pas grim'e en Baraban, mais avec sa v'eritable physionomie. Il ne devait pas tarder `a avoir la cl'e de l’'enigme.
Sur le palier du premier 'etage, il retrouvait la perruque et les favoris blancs qui faisaient ressembler Fant^omas `a l’oncle Baraban.
Et, montant plus haut, atteignant l’endroit o`u il 'etait tomb'e, Juve constatait que le tapis 'etait tendu, au lieu d’^etre fix'e le long des marches par les tringles de cuivre dispos'ees `a cet effet.
Il comprit aussit^ot ce qui s’'etait pass'e. Ces tringles de cuivre avaient 'et'e enlev'ees, et pos'ees `a c^ot'e des oeillets qui les tenaient. Il suffisait d`es lors `a quelqu’un se trouvant plus bas que Juve ne l’avait 'et'e, de tirer vigoureusement sur le tapis pour tendre celui-ci et d'eterminer la chute de la personne marchant `a ce moment sur ce tapis.
Juve haussa les 'epaules, serra les poings.
— Ca n’est pas fini, murmura-t-il. Fant^omas triomphe cette fois-ci encore, mais il est oblig'e, malgr'e tout, d’abandonner la partie. Mais quel myst`ere ! Et qu’est-ce que tout cela dissimule ?…
22 – LE BEAU TRUQUAGE
Le lendemain, Juve, 'etendu dans son lit, r'efl'echissait une fois de plus.
Le policier 'etait `a peu pr`es certain que l’homme qui se dissimulait sous la personnalit'e de l’oncle Baraban n’'etait autre que son plus mortel ennemi, que le Roi du Crime, que Fant^omas.