Les souliers du mort (Ботинки мертвеца)
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Juve ignorait encore exactement le mobile qui avait pu guider le Roi du Crime `a jouer cette sinistre com'edie. Il ne savait pas si les Ricard 'etaient complices ou dupes de l’infernal bandit, mais Fandor, qu’il avait envoy'e `a Vernon, lui rapporterait sans aucun doute des 'eclaircissements `a ce sujet. Car, en surveillant attentivement les faits et gestes des 'epoux Ricard, il paraissait probable que l’on arriverait `a conna^itre la v'erit'e sur ce myst'erieux couple.
Juve, ce matin-l`a, 'etait de d'etestable humeur, il monologuait :
« Apr`es tout, je commence `a en avoir assez de toutes ces histoires, je ne me l`eve pas de la journ'ee. Ca me reposera toujours. Apr`es on verra.
Le c'el`ebre inspecteur, cependant, changea vite d’id'ee. L’homme qui poursuivait Fant^omas depuis si longtemps 'etait dans l’impossibilit'e mat'erielle de prendre le moindre repos lorsqu’il avait quelque indice sur la personnalit'e sous laquelle le sinistre Ma^itre de l’Effroi se dissimulait actuellement.
Juve, brusquement, appela :
— Jean ! Donnez-moi mon petit d'ejeuner, et vite !
Le fid`ele domestique apparaissait une seconde plus tard, portant sur un plateau une grande tasse de caf'e noir que Juve buvait rapidement.
— Monsieur d'ejeunera ici ? demanda Jean.
— Non, je file `a Vernon. Si Fandor t'el'ephonait…
Mais Juve n’acheva pas.
Au moment m^eme o`u il parlait, l’appareil pos'e sur le coin du bureau avait grelott'e.
— Tiens, je parie que c’est lui, fit Juve.
Il d'ecrocha :
— All^o, qui est l`a ?
Mais aussit^ot la voix de Juve avait pris un ton respectueux.
— Parfaitement, monsieur, c’est bien le policier Juve qui vous r'epond.
Puis, Juve, silencieux, avait 'ecout'e. Ce n’'etait pas Fandor en effet qui t'el'ephonait au roi des policiers.
— All^o, avait dit le policier, c’est moi, c’est bien moi, moi, Juve ! `A qui ai-je le plaisir de parler ?
— `A M. de Parcelac.
Juve, `a ce nom, fronca les sourcils :
— Au directeur du Comptoir National ? pr'ecisa-t-il.
— `A lui-m^eme.
— Que puis-je pour vous, monsieur ? s’informa Juve.
— Monsieur, je serais tr`es d'esireux de vous voir d’urgence. Je me trouve avec M e Masson, pr'esident de la Chambre des notaires, et nous avons besoin de vous entretenir imm'ediatement. Pouvez-vous vous rendre `a mon bureau ?
— `A mon grand regret, monsieur de Parcelac, je ne puis venir. Je suis charg'e par M. Havard d’une enqu^ete difficile et je dois partir ce matin m^eme.
— All^o, c’est pr'ecis'ement M. Havard que je viens moi-m^eme de joindre par t'el'ephone, qui m’a dit de communiquer directement avec vous. C’est M. Havard qui m’a conseill'e de vous prier de passer d’urgence.
— Si M. Havard m’enjoint de me mettre `a votre disposition, monsieur de Parcelac, je n’ai aucun motif pour ne point passer vous voir, mais de quoi s’agit-il ?
— D’une affaire grave, tr`es grave !
— Vraiment ? Laquelle ?
— Je ne puis vous la dire par t'el'ephone, monsieur Juve, mais un nom vous renseignera. Il s’agit de M. Baraban.
— Eh bien, c’est entendu, je saute dans un taxi-auto, monsieur de Parcelac, et je vous rejoins.
***
Deux jours auparavant, alors que le jeune et innocent Claude Villars, pupille de l’oeuvre des orphelins d’officiers minist'eriels, avait tir'e de la roue le num'ero 6 666, on avait remarqu'e, dans l’assistance, combien le sort 'etait aveugle qui favorisait ainsi d’un gros lot de deux cent mille francs ce fameux personnage d'esormais l'egendaire qu’'etait l’oncle Baraban.
M e Gauvin, d'epositaire du billet appartenant `a Baraban, s’'etait 'etonn'e de la chose, en avait dit quelques mots. De bouche en bouche, la nouvelle avait circul'e et M e Masson, pr'esident de la Chambre des notaires, n’avait pas 'et'e le dernier `a faire remarquer la co"incidence. M e Masson, toutefois, savait trop combien les op'erations des loteries 'etaient r'eguli`erement faites pour s’y attarder.
Quarante-huit heures apr`es le tirage de la loterie, alors que M e Masson, qui avait bien d’autres occupations en t^ete, ne se souciait plus du tout, ni du gros lot de deux cent mille francs, ni de son b'en'eficiaire, un jeune notaire qui remplissait la fonction de secr'etaire `a la Chambre des notaires entrait `a l’'etude de M e Masson.
M e Lussay savait que M e Masson 'etait fort occup'e `a son 'etude et qu’il ne faisait pas bon le d'eranger, cependant le jeune notaire arrivait, 'emu.
Oubliant m^eme les formules protocolaires, il 'etait entr'e en trombe dans le bureau de M e Masson, sans s’excuser le moindrement de son incorrection :
— Ah, mon cher pr'esident, avait-il cri'e, il y a… il y a… un effroyable malheur !
Et, sans tenir compte du saisissement o`u ses paroles jetaient le pr'esident de la Chambre des notaires, M e Lussay avait continu'e :
— Figurez-vous que ce matin, des huissiers de la Chambre se sont amus'es `a jouer entre eux au tirage de la loterie. Par plaisanterie ils ont fait tourner la roue. Ils ont choisi des num'eros.
— Eh bien ? interrogea M e Masson, alors ?
— Alors, reprenait d’une voix haletante le jeune notaire, alors, c’est abominable, mon cher pr'esident, mais ils se sont apercus que toujours, invariablement, ils tiraient le m^eme num'ero, le num'ero qui a gagn'e voici deux jours le gros lot de 200 000 francs, le num'ero 6 666.