Том 5. Письма из Франции и Италии
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Il faut savoir ce que c’est qu’une prison francaise en g'en'eral. La diff'erence avec Spielberg et la forteresse de P'etersbourg, avec Spandau et Rustadt n’est pas si grande qu’on le pense. C’'etait une de ces erreurs, par lesquelles les lib'eraux de l’'epoque de Louis-Philippe se consolaient eux-m^emes et trompaient le peuple [353] .
Mais si les prisons francaises valent bien le Castel S. Elme, la d'eportation `a Nouka-Hiva est bien plus terrible que la Sib'erie. Le climat de la Sib'erie est tr`es rigoureux, mais tr`es salubre. Les d'eport'es qui ne sont pas envoy'es aux mines sont libres dans leur district. Les femmes et les enfants peuvent suivre leur mari, <leur> p`ere.
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La prison de Chillon sur le L'eman, 'elev'ee au moyen ^age par les ducs de Savoie, est une salle de bal en comparaison du ch^ateau d’If pr`es de Marseille o`u l’on faisait suffoquer les insurg'es de Juin!
Je n’ai pu comprendre les murmures des honorables l'egislateurs lorsque Pierre Le Roux a dit que
Mais Nouka-Hiva n’'etait pas encore suffisante pour les ministres et les repr'esentants, ils propos`erent d’'elever une prison sur cette ^ile mar'ecageuse, br^ul'ee par le soleil tropical et couverte de mosquittes. Ils veulent avoir une bastille r'epublicaine et 'equatoriale – pour y envoyer leurs ennemis, m^eme ceux qui 'etaient d'ej`a condamn'es ant'erieurement.
Lorsqu’un dernier vestige de conscience de justice s’est r'eveill'e chez Odillon Barrot contre cette absurdit'e juridique, lorsqu’un remord, peut-^etre, appela `a la tribune un g'en'eral pour proposer une enceinte fortifi'ee au lieu d’une prison, – c’est alors qu’il fallait voir les Iroquois de l’ordre! Des sons inhumains s’'echapp`erent pendant le scrutin des l`evres tremblantes de ces vieillards fauves, de ces avocats impitoyables! Ayant perdu les deux points, ils se cramponn`erent au troisi`eme avec la furie d’une louve `a laquelle on veut arracher ses petits, et ils le firent passer… «Les familles des condamn'es n’ont pas le droit d’accompagner leurs chefs `a la d'eportation – c’est une gr^ace que le ministre peut refuser. – «Les condamn'es politiques, les ennemis de la soci'et'e n’ont pas de famille», – a dit un des orateurs.
…Et une langue humaine a trouv'e, au beau milieu du XIXe si`ecle, ce si`ecle de lumi`ere et de civilisation – assez de force pour prononcer publiquement ces paroles! Comment a pu s’'elever `a cette hauteur de l^achet'e le cynisme politique… Je ne le sais, c’est un myst`ere de l’'education de ces gens…
Demandez-leur – ils vous r'epondront qu’ils sacrifient tout ce qui est humain pour d'efendre la soci'et'e, la religion, la famille. Comment la d'efendre, contre qui?.. Une soci'et'e qui tombe en pi`eces a son ennemi dans son coeur, dans son sang…
Elle doit ^etre belle pourtant, la soci'et'e d'efendue par Thiers.
La religion – d'efendue par Thiers!
La famille – d'efendue par Thiers!
Thierus, salvator societatis, redemptor – usurae et proprietatis defensor… ora pro nobis!
Pauvre J'esus Christ! A quels temps de mis`ere es-tu parvenu…
Je dis Thiers… car il est le plus parfait repr'esentant de la majorit'e, de cette majorit'e audacieuse en apparence et humble en fait, majorit'e joviale qui en riant et faisant des phrases d'eporte des milliers, qui n’a qu’un Dieu – le capital – et son proph`ete – la rente… n’a d’autre Dieu `a c^ot'e de lui.
Thiers – causeur in'epuisable, l'eger, superficiel, mutin et aimant l’autorit'e; lib'eral et couvert du sang de Lyon; esprit fort qui a dict'e les lois de septembre – oui, c’est le type dela majorit'e renti`ere! M^eme son ext'erieur de vieillard mignon avec de petites jambes dodues, avec un ventre agr'eable, avec son air de majordome, de Figaro `a cheveux blancs – est un id'eal – repr'esente tr`es bien la couche grasse qui se r'epand comme l’huile sur toute la soci'et'e moderne!
Qu’on ordonne donc au plus vite de couler une statue de Thiers, en airain, une statue avec des lunettes, avec son costume d’'et'e et son sourire de toutes les saisons. Sa place est toute trouv'ee; il remplacera la danseuse d’op'era sur la colonne de Juillet. A la Place de la Bastille – Thiers; `a la Place Vend^ome – son empereur. L’'epoque h'ero"ique de la bourgeoisie allant conqu'erir le monde et l’'epoque de floraison de la bourgeoisie jouant le monde `a la bourse!
– Tout cela est bien triste, bien d'eplorable, – me disaient mes braves amis atteints d’une esp'erance chronique et d’un optimisme incurable, – mais c’est passager; il ne faut pas se m'eprendre… Attendez un peu; nos ennemis veulent toucher de leurs mains «sacril`eges et liberticides» au suffrage universel. Le peuple se l`evera comme un seul homme pour d'efendre le plus sacr'e de ses droits…
Je secouais la t^ete sans rien dire. Deux mois se sont 'ecoul'es. Le suffrage universel est aboli, et pas un homme ne s’est lev'e. Le peuple est rest'e dans le calme
Mais les hommes frapp'es d’esp'erances `a perp'etuit'e me rient au nez… «Vous n’y comprenez rien, le gouvernement est tout proche de sa chute… regardez, regardez comme il se penche!..»
Je regarde… Le gouvernement devient de plus en plus stable…
– Mes amis, – leur disais-je, – il tombera, pas le moindre doute; tout passe dans ce monde, et la passion du changement est le bon g'enie de la France… Mais ce n’est pas par vous ni pour vous que le r'egime actuel tombera. Le peuple n’est ni pour le gouvernement ni pour vous. La lutte entre les formes gouvernementales ne l’int'eresse pas. Il vous suffit, `a vous, d’avoir les mots; le peuple ne d'esire que les choses,votre libert'e formaliste ne le tente pas. Le peuple n’est pas avec vous parce que vous devez ^etre avec lui. Vous devez enfin s'erieusement l’'etudier – non dans les livres mais dans les chaumi`eres, – et non lui – donner son sang pour des essais de r'evolution exp'erimentale. Il faut abandonner la vieille routine… ou ^etre pr^et `a passer `a l’'etat d’anachronisme vivant, de revenants, de raret'e historique, pal'eontologique – comme les l'egitimistes, les j'esuites et autres fossiles.
– Il est beau d’esp'erer… mais il est diablement utile d’analyser!
Mais je quitte mes amis… pour ajouter encore quelques mots sur Paris.
Il est difficile de s’imaginer de loin ce qui se fait ici. Aucune de ces petites, pauvres garanties, donn'ees par le code `a l’individu n’existe plus; une terreur polici`ere domine la ville, une terreur f'eroce et hypocrite qui se tient dans les t'en`ebres, qui se cache derri`ere le mur, qui 'ecoute derri`ere la porte. Les secrets de famille, les confidences amicales, tout tombe dans les mains sales des laquais de l’inquisition la"ique. On fait des perquisitions on emporte les papiers – on ne restitue que les notes des tailleurs et des bottiers.
On craint tout le monde… On craint les portiers, les соmmissionnaires, ses domestiques et les trois quarts de ses amis. Les uns dorment ailleurs que chez eux; d’autres portent toujours un passeport vis'e pour quelque pays libre. Au coin des rues r^odent des figures patibulaires en redingote qui n’est pas faite `a leur taille, en chapeau r^ap'e, avec une moustache militaire. Ces ^etres reconduisent les passants par leur regard, les suivent, les montrent `a d’autres… Ce sont les anges gardiens de la soci'et'e!