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Европейская аналитика 2018
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L’histoire commence avec l’arriv'ee `a la t^ete de l’Union sovi'etique en 1985 de Mikha"il Gorbatchev. Lors de son premier d'eplacement `a l’'etranger, `a Paris, il lance sa formule de “maison commune europ'eenne” `a destination des dirigeants ouest europ'eens. Le choix de le capitale francaise n’est pas un hasard. Le pr'esident Charles de Gaulle avait d'efendu l’id'ee d’une Europe “de l’Atlantique `a l’Oural”: une Europe des nations, ind'ependantes de toute tutelle, dans laquelle la Russie aurait renonc'e au communisme, que le g'en'eral prenait pour une lubie passag`ere. A l’'epoque, Moscou n’avait gu`ere pris au s'erieux la proposition du g'en'eral: l’Union sovi'etique tenait fermement au maintien de la division de l’Europe, `a commencer par l’Allemagne, la mat'erialisation de sa pr'esence au coeur du vieux continent.

Le slogan de la maison commune europ'eenne n’est pas non pas d'enu'e de motivation tactique. Il vise `a favoriser un certain d'ecouplage entre Washington et ses alli'es du Vieux continent, pour pousser les 'Etats-Unis `a n'egocier. Vu de Moscou, la fin de la course aux armements prend un caract`ere d’urgence, en raison du co"ut insoutenable des d'epenses militaires. La parit'e strat'egique, garante de la coexistence pacifique, demeure un point d’'equilibre pr'ecaire. `A deux reprises, le monde vient de friser l’an'eantissement: en septembre 1983, Stanislav Petrov, un officier de la force antia'erienne bas'ee pr`es de Moscou d'ejoue une fausse alerte nucl'eaire, puis en novembre 1983 les Sovi'etiques s’affolent devant l’exercice Able Archer de l’Otan pensant qu’il camoufle une vraie attaque. “Les scientifiques venaient d’inventer le concept terrifiant d’hiver nucl'eaire, se rem'emore M. Pouchkov. Je faisais partie de ceux qui voulaient en finir avec la guerre froide”. Lors d’une .premi`ere rencontre pourtant difficile `a Gen`eve en novembre 1985, le pr'esident am'ericain Ronald Reagan et Mikha"il Gorbatchev tombent d’accord pour faire le constat qu’une guerre nucl'eaire ne peut ^etre gagn'ee et ne doit jamais avoir lieu. En octobre 1986 `a Reykjavik, le secr'etaire g'en'eral du parti communiste d’Union sovi'etique fait une proposition tr`es audacieuse: supprimer 50 % des arsenaux nucl'eaires dans les cinq ann'ees `a venir et leur liquidation compl`ete dans les cinq ann'ees suivantes. Le pr'esident am'ericain Reagan acquiesce, mais s’obstine `a obtenir le champ libre pour son Initiative de d'efense strat'egique (IDS), qui est vue par les Sovi'etiques comme la recherche d’une sup'eriorit'e militaire 12 – et qui ne verra jamais le jour… Pour surmonter le gouffre de d'efiance, M. Gorbatchev fait des concessions unilat'erales. Le trait'e sur les forces nucl'eaires `a port'ee interm'ediaire du 8 d'ecembre 1987, permet ainsi l’'elimination de 1836 missiles sovi'etiques, deux fois plus que la contrepartie am'ericaine.

12

Serina G. Reagan Gorbatchev – Reykjavik, 1986: le sommet de tous les espoirs. Paris: l’Archipel, 2016.

Au cours de l’ann'ee 1988, sous la pression des difficult'es internes au bloc socialiste, la “maison commune europ'eenne” prend une consistance strat'egique. L’'economie sovi'etique traverse une zone de turbulences, que M. Gorbatchev ne pense pouvoir surmonter qu’en introduisant une dose suppl'ementaire de propri'et'e priv'ee et de march'e dans le syst`eme de planification sovi'etique. En Europe de l’Est, les revendications d'emocratiques confortent le dirigeant sovi'etique dans sa conviction: l’ouverture politique va dans le sens de l’histoire, vouloir la contenir serait s’opposer `a un courant trop puissant. La confrontation id'eologique remis'ee, l’objectif n’est plus de coop'erer de bloc `a bloc, mais de les fondre dans une Europe 'elargie sur la base de valeurs communes: libert'e, droits de l’homme, d'emocratie et souverainet'e. La diplomatie sovi'etique prend alors des accents gaullistes: c’est un “retour vers l’Europe <…>, civilisation `a la p'eriph'erie de laquelle nous sommes longtemps rest'es” selon les mots du diplomate Vladimir Loukine 13 .

13

Cit'e par Rey M.-P. Gorbatchev et la maison commune europ'eenne // Revue russe. 2012. N 38.

Le syst`eme 'etait `a bout de souffle et il fallait se d'ebarrasser, sans aucun doute, du communisme” convient aujourd’hui Alexandre Samarine, premier conseiller `a l’ambassade de Russie `a Paris, qui rappelle que son pays, membre de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) depuis 1998, est d'esormais “capitaliste” et “oppos'e au protectionnisme”. “Tout le monde sentait que nous 'etions dans une impasse, abonde un diplomate `a la retraite souhaitant garder l’anonymat. Mais, s’empresse-t-il d’ajouter, personne ne pensait qu’il fallait faire des concessions unilat'erales”.

Marqu'e par la r'epression du Printemps de Prague en 1968, M. Gorbatchev consid`ere d`es son arriv'ee au pouvoir comme caduque la “doctrine Brejnev” sur la souverainet'e limit'ee des “pays fr`eres”. En encourageant les r'eformateurs et en refusant toute intervention par la force, il a enclench'e une dynamique qui finit par lui 'echapper. `A ses concessions, les Occidentaux r'epondent par des promesses (lire ci-contre), la question allemande illustrant le march'e de dupes qui s’engage. “Ce fut une erreur de Gorbatchev. En politique, tout doit ^etre 'ecrit, m^eme si une garantie sur papier est aussi souvent viol'ee”, confiait en juillet 2015 M. Poutine au r'ealisateur am'ericain Oliver Stone 14 .

14

Conversations avec Poutine. Paris: Albin Michel, 2017.

Apr`es la chute du mur de Berlin, M. Gorbatchev soutient l’id'ee d’une Allemagne neutre (ou adh'erant aux deux alliances militaires conjointement), ins'er'ee dans une structure de s'ecurit'e paneurop'eenne qui prendrait pour base la Conf'erence pour la s'ecurit'e et la coop'eration en Europe (CSCE) cr'ee en 1975 par l’Acte final d’Helsinki. Point d’orgue de la d'etente est-ouest, avant le regain de tension li'e `a l’intervention sovi'etique en Afghanistan en 1979, cette d'eclaration commune sign'ee par trente-cinq 'Etats r'esultait d’un marchandage entre les deux camps. Les pays occidentaux validaient le principe, d'efendu depuis des ann'ees par Moscou, de l’intangibilit'e des fronti`eres, reconnaissant ainsi la division de l’Allemagne et les acquis sovi'etiques en Europe centrale et orientale. En 'echange, le camp socialiste s’engageait `a respecter les droits de l’homme et des libert'es fondamentales “y compris la libert'e de pens'ee, de conscience, de religion ou de conviction”. Seul organe permanent ou si'egeaient ensemble les 'Etats-Unis, le Canada, l’Union sovi'etique et la plupart des pays europ'eens de l’Est et de l’Ouest, la CSCE constituait aux yeux de Moscou la premi`ere pierre d’un rapprochement des deux Europe.

Au cours de l’ann'ee 1990, Gorbatchev n’est pas seul `a d'efendre l’option paneurop'eenne. Les nouveaux dirigeants est europ'eens, souvent d’anciens dissidents marqu'es par leur engagement pacifiste, ne souhaitent pas basculer imm'ediatement dans le camp occidental. Leur pr'ef'erence va d’abord `a la formation d’une r'egion neutre et d'emilitaris'ee, formant un pont entre les deux rives de l’Europe. Au lendemain de son 'election `a la pr'esidence de la Tch'ecoslovaquie, Vaclav Havel choque les Am'ericains, en demandant la dissolution des deux alliances et le d'epart de toutes les troupes 'etrang`eres d’Europe centrale. Le chancelier allemand Helmut Kohl s’irrite des d'eclarations du premier ministre est-allemand Lothar de Maizi`ere favorable `a la neutralisation de Allemagne. En avril 1990, le pr'esident polonais Jaruzelski, dirigeant du premier pays `a avoir ouvert les 'elections `a des candidats non communistes, accepte la proposition de M. Gorbatchev de renforcer provisoirement les troupes du Pacte de Varsovie en Allemagne de l’Est, le temps de mettre en place une structure de s'ecurit'e paneurop'eenne. Il propose m^eme d’y joindre des forces polonaises. Ce n’est qu’en f'evrier 1991 que Hongrie, Pologne, Tch'ecoslovaquie abandonnent cette option en formant le groupe de Visegrad: craignant un retour de b^aton conservateur `a Moscou, ils y affirment leur volont'e commune de s’abriter sous le parapluie am'ericain.

Du c^ot'e ouest europ'een, les dirigeants partagent le souci de poser les bases d’une nouvelle Grande Europe plus autonome de Washington, m^eme s’ils restent attach'es au maintien de l’OTAN en Europe. Le pr'esident francais Francois Mitterrand souhaite ins'erer l’Allemagne r'eunifi'ee dans un syst`eme de s'ecurit'e europ'een 'elargi, m'enageant une place pour la Russie. “L’Europe ne sera plus celle que nous connaissons depuis un demi-si`ecle. Hier, d'ependante des deux superpuissances, elle va, comme on rentre chez soi, rentrer dans son histoire et sa g'eographie. <…>, d'eclare-t-il lors de ses voeux traditionnels du 31 d'ecembre 1989. `A partir des accords d’Helsinki, je compte voir na^itre dans les ann'ees 1990 une Conf'ed'eration europ'eenne au vrai sens du terme qui associera tous les 'Etats de notre continent dans une organisation commune et permanente d’'echanges, de paix et de s'ecurit'e”. Cherchant `a 'eviter l’isolement de l’URSS, M. Mitterrand dessine une architecture paneurop'eenne en cercles concentriques: les douze membres d’alors de la Communaut'e 'economique europ'eenne (CEE) devaient former un “noyau actif”, `a l’int'erieur d’une structure de coop'eration paneurop'eenne 'elargie comprenant les anciens pays communistes. La premi`ere ministre britannique Margaret Thatcher cherche `a envelopper cette puissance allemande en voie d’^etre restaur'ee dans un cadre europ'een. Elle mandate en f'evrier 1990 son minist`ere des affaires 'etrang`eres, Douglas Hurd, pour pousser dans les n'egociations l’option d’une “association europ'eenne 'elargie <…> accueillant les pays est-europ'eens et, `a terme, l’Union sovi'etique15 , avant de pr'eciser que cette politique conduira `a renforcer la CSCE.

15

Сit'e par Sarotte M.-E., 1989. The Struggle to Create Post-Cold War Europe. Princeton–Oxford: Princeton University Press, 2009.

Les premieres deceptions

M. Gorbatchev n’a pas su tirer profit de cette convergence fugace avec des dirigeants ouest europ'eens, favorables eux aussi `a une r'eunification allemande au rythme ma^itris'e, accompagn'ee d’une mont'ee en puissance de la CSCE. Fort de la victoire de l’Union chr'etienne-d'emocrate (CDU) aux premi`eres 'elections libres en R'epublique d'emocratique d’Allemagne (RDA) en mars 1990, le chancelier Kohl pr^one une solution rapide: l’absorption pure et simple de la RDA par la R'epublique f'ed'erale d’Allemagne (RFA). Le temps joue en faveur de M. Kohl et du pr'esident am'ericain Georges Bush, son principal alli'e. L’Union sovi'etique a besoin d’argent ; Washington, qui ne peut d'ecemment financer son adversaire, enjoint Bonn `a se montrer g'en'ereux. Les 13,5 milliards de marks promis l’Allemagne, au titre de contribution au rapatriement des troupes sovi'etiques, rendent l’URSS plus conciliante.

Avec le trait'e Start de 1990, les Occidentaux ont obtenu une r'eduction drastique des arsenaux nucl'eaires, les “d'emocraties populaires” sont tomb'ees les unes apr`es les autres, mais lorsque Gorbatchev r'eclame une aide 'economique lors du sommet du G7 `a Londres en juillet 1991, les Am'ericains disent qu’ils ne sont pas pr^ets `a faire des investissements “non rentables”. L’effondrement de l’Union sovi'etique en d'ecembre 1991 tient lieu de coup de gr^ace au projet paneurop'een. Dans les ann'ees qui suivent, Washington estime que la disparition du pays `a qui avaient 'et'e faites des promesses orales les lib`ere de leur engagement. C’est donc le mod`ele pr'efigur'e par la r'eunification allemande qui s’impose au reste de l’Europe, `a savoir l’absorption de l’Est par l’Ouest: l’Alliance atlantique int`egre par vagues successives les anciennes d'emocraties populaires, plus les ex-r'epubliques sovi'etiques baltes (voir la carte ci-contre). L’Union europ'eenne en fait autant.

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