40 лет Санкт-Петербургской типологической школе
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(2) D'efinition: La construction biactancielle majeure(CBM) est, en toute langue, celle qui sert `a exprimer l'action prototypique.
Cette construction prend, selon les langues, des formes vari'ees. Elle peut ^etre accusative ou ergative, comporter ou non des indices actan-ciels (marques personnelles ou autres) dans la forme verbale, mettre en jeu ou non des marques casuelles dans les termes nominaux, impliquer un ordre des mots obligatoire ou pr'ef'erentiel, etc. Quelles que soient ces formes, elles ont toutes en commun d'^etre susceptibles de d'enoter un m^eme type de contenu s'emantique, `a savoir des actions prototypiques.
Nous disposons ainsi, pour la comparaison des langues, d'un point fixe, qui consiste en deux 'el'ements corr'el'es:
— sur le plan du contenu de sens ou, en termes saussuriens, des signifi'es, la notion d'action prototypique,
— sur le plan morphosyntaxique ou des signifiants, la construction biactancielle majeure, qui assume des formes diff'erentes dans les diverses langues.
Nous avons donc `a la fois, d'une part, un contenu de sens bien d'efini commun `a toutes les langues et, d'autre part, des formes diff'erentes exprimant ce contenu de sens dans les langues diff'erentes. Nous sommes d`es lors en mesure de comparer l'egitimement ces formes diff'erentes sur la base du contenu de sens commun. Nous pouvons aussi comparer l'extension s'emantique que prend, diff'eremment dans les diff'erentes langues, l'usage de la CBM, c'est-`a-dire examiner, dans une perspective comparative, quels sont les sens qu'elle peut exprimer, dans chaque langue, en plus de l'action prototypique. Nous verrons que ce champ de recherche ne manque pas d'int'er^et.
Ce qui pr'ec`ede (§ 4) constitue la premi`ere 'etape de la d'emarche: nous avons 'elabor'e un cadre conceptuel pour servir de base `a la comparaison des langues, c'est-`a-dire un instrumentde travail choisi librement. La deuxi`eme 'etape consiste `a former une hypoth`ese v'erifiable par l'observation. Notre hypoth`ese est que la notion traditionnelle et confuse de transitivit'e est fond'ee sur l'id'ee implicite d'action prototypique.
(3) Hypoth`ese: La CBM est, en toute langue, la construction transitive.
Cette hypoth`ese est assez facile `a v'erifier. La CBM, c'est-`a-dire la construction utilis'ee pour d'ecrire une action prototypique, est, en francais et dans les langues voisines, celle qu'on appelle ordinairement transitive, avec un objet direct En latin et autres langues du m^eme type, c'est celle qui comporte un objet `a l'accusatif.
Dans les langues ergatives, c'est aussi celle que l'on qualifie habituellement de transitive. Par exemple, le tcherkesse a des constructions biactancielles de deux types diff'erents [Paris 1991: 34]. Toutes deux incluent un terme au cas direct et un pr'efixe actanciel cor'ef'erent de ce terme et plac'e en premi`ere position dans la forme verbale. Mais l'autre terme est diff'erent dans les deux constructions. Dans l'une, c'est un terme nominal au cas oblique qui g'en'eralement n'est pas en t^ete de phrase et qui est cor'ef'erent d'un pr'efixe verbal dit de
Dans l'autre, c'est un terme 'egalement au cas oblique, mais qui figure le plus souvent en t^ete de phrase et qui est cor'ef'erent d'un autre pr'efixe verbal dit de «troisi`eme s'erie» ou de «troisi`eme position» (ex. 5).
Dans (4), — ye est un pr'efixe de deuxi`eme s'erie; dans (5), — yэ est un pr'efixe de troisi`eme s'erie. C'est la construction du type de (5) qui s'emploie dans le cas d'une action prototypique. Et c'est aussi celle-ci que d'ej`a Dum'ezil, parlant des langues caucasiques du nord-ouest en g'en'eral [Dum'ezil 1932: 156] ou de l'oubykh [Dum'ezil 1975: 9], appelle transitive en justifiant ce choix par l'intuition des locuteurs.
Une autre langue ergative, d'un type un peu diff'erent, le lez-ghien, a plusieurs constructions biactancielles. L'une d'elles, qui comporte un terme `a l'ergatif et un autre `a l'absolutif, ex. (6) [Haspelmath 1993: 289], sert `a exprimer l'action prototypique. C'est aussi celle qui est d'ecrite comme transitive.
(6) ajal-di get'e xa-na
enfant-ERG pot casser-AOR
«L'enfant a cass'e le pot».
Citons un dernier exemple dans une langue accusative o`u tous les compl'ements du verbe sont pr'epositionnels, le tahitien. Dans une phrase comme (7), la construction comprend un compl'ement introduit par la pr'eposition multifonctionnelle i, qui s'emploie dans beaucoup d'autres compl'ements; mais une certaine propri'et'e transformationnelle qui ne peut ^etre d'ecrite ici (v. [Lazard & Peitzer 2000: 63–64]), fait que cette construction est analys'ee comme transitive. Or c'est pr'ecis'ement celle qui sert `a exprimer l'action prototypique: cette construction est donc dans cette langue la CBM.
(7) 'ua h^amani te t^amuta i te fare
ASP fabriquer ART charpentier PREPART maison
«Le charpentier a construit la maison».
On pourrait multiplier les exemples avec toujours le m^eme r'esultat. Ils confirment l'id'ee que la notion d'action prototypique est `a la base de la notion traditionnelle plus ou moins intuitive de transitivit'e. L'attachement des grammairiens `a cette notion et l'usage 'etendu qu'ils en font sugg`erent que la notion d'action prototypique a une importance particuli`ere pour les humains en tant qu'^etres parlants: elle semble bien jouer le r^ole de mod`ele de tout proc`es impliquant deux participants. Avec, corr'elativement, les constructions qui l'expriment (les formes de la CBM), elle occupe une place centrale dans la syntaxe de toutes les langues.On est ainsi conduit `a penser qu'elle appartient, d'une certaine mani`ere au noyau central de la repr'esentation du monde dans l'esprit des hommes. Cette consid'eration ouvre une perspective int'eressant'e sur les processus cognitifs. On saisit ici un exemple des contributions que l''etude comparative des langues, faite avec une m'ethode suffisamment rigoureuse, peut apporter aux sciences cognitives.
Les consid'erations qui pr'ec`edent permettent de construire une int'eressante typologie des langues. Nous avons dit que, dans la plupart des langues, la CBM, que nous pouvons d'esormais appeler tout simplement la construction transitive, n'est pas limit'ee `a l'expression de l'action prototypique. Mais les langues diff`erent consid'erablement quant `a l'extension qu'elles lui dorment.
En francais la construction transitive s'emploie pour exprimer quantit'e d'actions non prototypiques, comme peuvent l'illustrer les exemples suivants.
(8a) Le jardinier a tu'e le lapin.
(8b) Le jardinier a tu'e un/des lapins.
(8c) Le jardinier tuait des lapins.
(9a) La foudre a tu'e le jardinier.
(9b) L ''emotion a tu'e ce malheureux.
(10a) Le jardinier a vu le lapin.
(10b) Le jardinier aime ses lapins.
(8a) exprime une action prototypique: le sujet d'esigne un humain d'efini, donc bien individu'e; l'action est r'eelle, discr`ete, compl`ete; l'objet d'esigne un ^etre d'efini, qui est assur'ement affect'e par l'action. Dans tous les autres exemples, la m^eme construction est employ'ee pour d'ecrire des actions qui, toutes, par un trait ou un autre, s''ecartent du prototype. Dans (8b) le patient est moins individu'e, car ind'efini; il l'est encore moins s'il est pluriel. Dans (8c) l'action n'est pas discr`ete ou n'est pas compl`ete, car l'imparfait d'enote un proc`es habituel ou en cours. Dans (9a) et (9b) le sujet ne d'esigne pas un humain, mais une force naturelle ou un 'etat psychique. Dans (10a) et (10b), il n'y a pas d'action du tout, mais une perception et un sentiment. Le maximum d''ecart par rapport `a l'action prototypique se rencontre dans des phrases comme (11), o`u il n'y a ni action ni agent ni patient: le verbe exprime une localisation, le sujet et l'objet d'esignent des choses inanim'ees, dont ni l'une ni l'autre n'est affect'ee par le proc`es [38] . Et cependant la construction est toujours la m^eme que dans (8a).
38
'j'emploie le terme de
(11) L ''ecole jouxte la mairie.
Le francais est donc une langue o`u la construction transitive a une tr`es grande extension. 11 en va de m^eme en g'en'eral dans les langues indo-europ'eennes d'Europe occidentale. Il semble m^eme qu'en anglais la construction s''etende plus loin encore qu'en francais. En revanche, en rosse l'emploi de la construction transitive est sensiblement plus limit'ee. Beaucoup de proc`es ou de relations qui s'expriment en francais et d'autres langues d'Europe occidentale au moyen de la construction transitive sont rendus en russe au moyen d'autres constructions, ex.