С.Д.П. Из истории литературного быта пушкинской поры
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Князь вернулся около 7 часов. У нас было много народу в верхнем парке. Граф Шереметьев и г-н Симонен были рады меня увидеть; в этом году я еще не был на даче у графа, за что он мне попенял. Обе мисс Симплз, вся семья Северина, леди Бузо с супругом, ее кузен Кочеров, г-н Бэнкер и другие англичане; дети графа Орлова, Денисова, графа Коновницина, много иностранцев и проч. заполнили сад. Качались на различных качелях, катались, гуляли, вечер был очень оживленным. Вернулись мы в шесть часов. Сразу же после ужина все разошлись, так как князь встал рано и у него не было времени отдохнуть после обеда.
Завтра я поеду в город и зайду к г-же Пономаревой. Посмотрим, каким образом меня там примут.
J’'etais arriv'e en ville lundi `a 11 heures. J’ai pass'e tout de suite chez No-roff, mais il 'etait d'ej`a sorti. J’ai pass'e ensuite `a la banque d’amortissement et j’y suis rest'e plus d’une heure avec Mr Golovine. En sortant de la banque, j’ai 'et'e voir ce qui se fait chez Sleunine. Rien de nouveau. J’ai d^in'e chez Mr. Golo-vine, o`u nous n’'etions que deux. Instantan'ement — apr`es d^iner, je suis all'e chez M-me Ponomareff, pour voir quel accueil l’on me ferait. Je l’ai trouv'ee pr^ete `a se mettre `a table, avec son 'epoux, son fr'ere et Pana"ieff. Ell m’a fait l’accueil assez froid d’abord mais dans la suite nous nous sommes raccomod'es. Ce n’est pas que je ne lui aie fait une petite reprimande pour le billet qu’elle m’avait 'ecrit; elle a demand'e `a voir ce billet et l’a d'echir'e. Je me suis mis `a ge-noux devant elle, je lui ai demand'e pardon pour la lettre que je lui ai 'ecrit `a ce sujet, en la suppliant de la d'echirer aussi, mais elle m’a repondu qu’elle la garderait comme toutes les autres qu’elle tient de moi. Je n’ai pas insist'e da-vantage, mais je lui ai dit que je suis d'esol'e d’avoir perdu son billet, parcequ’il 'etait le seul que j’ai eu le bonheur de recevoir d’elle. Elle m’a dit de ne pas d'esesp'erer d’en avoir d’autres. J’ai 'et'e tr`es gai, m^eme trop gai, sur quoi son fr`ere m’a fait la remarque m’ayant dit qu’il ne connaissait personne qui soit plus que moi garcon sans souci. Comme c’'etait le jour des fiancailles de sa soeur avec Mr Andreyeff Madame m’a pr'evenu qu’ils devaient y aller; et moi, ayant vu que Pa-na"ieff doit ^etre aussi du bal, je suis parti de bonne heures. J’ai voulu faire une visite `a l’aide de camp, Dournoff, mais je ne l’ai pas trouv'e au logis, ni son fr`ere.
J ’ai donc 'et'e oblig'e de rentrer chez moi, par la grande pluie, qui m’a mouill'ee presque jusqu’aux os. N’importe, j’ai eu quelques moments agr'eables.
Je ne sais si je pourrai tenir ma promesse `a Md de venir passer la journ'ee de mercredi chez elle; je le ferai volontier, si rien n’emp^eche.
La matin 'ee est superbe. Le Prince est all'e en ville. Je voudrais aller d^iner chez le Comte Pouchkine, mais comme on dit que nous aurons du monde aujourd’hui, je veux bien rester `a la maison.
Nous avons eu `a d^iner Mrs Toumansky et Golovine. Mr Anastac'ewitz est aussi venu. A 7 heures la Princesse Anne Scherbatoff avec ses deux filles, le Prince Dmitry, Mrs Moreau et le Docteur Rosemann, 'etant venus, on a 'et'e au carrousel. Le cheval du Prince se cabra et manqua de renverser le cabriolet o`u se trouvait le Prince avec la Psse Natalie qui criait de toutes ses forces. Je suis accouru dans l’ar`ene et lui ai pr'esent'e la main pour l’enserrer du cabriolet. Heureusement il ne lui est arriv'e rien de f^acheux. Puis nous nous sommes pro-men'es en bas sur l’'etang du jardin avec le Prince Dmitry, nous nous sommes balanc'es, etc.
A propos des promenades sur l ’eau. Hier les trois jeunes Comtes Ko-nownitzin se promenaient en bateau sur la pi`ece d’eau du jardin de Kra <нрзб.>. Le p`ere 'etait sur le bord. Tout `a coup le bateau a chavir'e et les jeunes gens s’enfoncent dans l’eau. Le p`ere les voit tomber et ne peut les secourir.
La f ^ete du Prince s’est pass'ee d’une mani`ere assez <tran> [338] — quille. Le matin il a recu les visites et f'elicitations <de> ses connaissances de voisinage. Nous avons eu aussi <quelqu>es personnes `a d^iner. Le Comte Orloff-Denisoff <a> 'et'e, ainsi qu’Alexis avec toute la famille Metschnikoff, apr`es 7 heures presque tout le <mon>de est parti. La maigre mine de la Psse les a disperc'es. <…> l’anniversaire de l a naissance de la princesse Natalie: <nous> aurons beaucoup de monde le soir, de la musique; <les> jeux seront en mouvement etc. etc.
338
Край
Homo proponit, et deus disponit.Je suis port 'e cependant `a croire que le bon Dieu ne se m^ele point de tous les vains projets de l’homme, tels que ses f^etes, rejo-uissances etc. et qu’il a cr'e'e, expr`es `a cet effet, une fatalit'e qui est presque tou-jours l`a pour contrecarrer les plaisirs et les jouissances que l’homme se promet.
La matin 'ee d’hier a 'et'e tr`es pluvieuse: il n’y a presque pas eu de beau temps. J’ai f'elicit'e la Psse Natalie chez son papa, `a 9 heures du matin. Vers une heure d’apr`es midi je suis venu chez la Psse m`ere: je trouve la jeune Psse sur la terrasse et lui demande si Md sa ch`ere maman voudrait bien recevoir mes f'elicitations et hommages. Elle entre chez elle, repara^it et me dit que je serais le bienvenu, c’est `a quoi je ne m’attendais gu`ere, sachant que la Psse fut la veille continuellement occup'ee d’Alexis et de sa charmante 'epouse, ce qui n’a pas d^u contribuer `a la disposer en ma faveur. J’ai 'et'e d’autant plus surpris de l’accueil gracieux, qu’elle m’a fait; elle m’a parl'e plus d’une demi heure avec un sourire plein de gr^aces qui ne lui est pas toujours propre. Apr`es maints quolibets coup sur coup renvou'es par S. Exell. la Psse, moi et une tierce personne qui 'etait la Psse Natalie, car nous n’'etions que trois, j’ai pris cong'e d’elles, et je suis rentr'e pour faire ma toilette.
Утро великолепное. Князь уехал в город. Мне хотелось бы пойти на обед к графу Пушкину, но говорят, что у нас будут сегодня гости, поэтому я останусь дома.
С нами обедали г-а Туманский и Головин. Г-н Анастасевич также пришел. В 7 часов приехали Анна Щербатова с дочерьми, князь Дмитрий, г-н Моро и доктор Роземан и все отправились на карусель. Лошадь князя встала на дыбы и чуть было не опрокинула кабриолет, в котором находились князь и княжна Натали, кричавшая изо всех сил. Я поспешил в манеж и подал ей руку, чтобы вызволить ее из кабриолета. По счастью, ничего страшного с ней не произошло. Потом мы с князем Дмитрием прогуливались на лодке по пруду нижнего парка, качались на качелях и проч.
Кстати о водных прогулках. Вчера трое молодых графов Ко-новнициных катались на лодке на пруду <нрзб> парка. Отец был на берегу. Внезапно лодка перевернулась и молодые люди оказались под водой. Отец видел, как они падали, и не мог их спасти.
Праздник князя прошел довольно спокойно. Утром он принимал визиты и поздравления своих знакомых, живущих по соседству. На обеде также присутствовало некоторое количество человек. Был граф Орлов-Денисов, а также Алексей со всем семейством Мечниковых; после 7 часов почти все разошлись. Кислое выражение лица княгини их распугало *. … день рождения княжны Натали, у нас будет много народу вечером, музыка, игры и т. д. и т. д.
В этом месте и в некоторых других край письма оборван.
Homo proponit, et deus disponit [339] . Я склонен, однако, думать, что Боженька не вмешивается во все пустые помыслы человека, такие, как празднества, увеселения и проч., проч., и что он создал специально для этого провидение, почти всегда готовое помешать удовольствиям и радостям, на которые надеется человек.
Вчерашнее утро было очень дождливым, небо почти не прояснялось. Я поздравил княжну Натали в кабинете у ее отца в 9 часов утра. Около часа дня я пошел к княгине; на террасе я нахожу молодую княжну и спрашиваю, сможет ли г-жа ее любезная матушка принять мои поздравления и свидетельства глубокого почтения. Она входит к ней, вновь появляется и говорит, что меня с радостью ждут, — то, на что я вовсе не рассчитывал, зная, что накануне княгиня была постоянно занята Алексеем и его очаровательной супругой, а это не должно было расположить ее в мою пользу. Тем более я был удивлен ласковым приемом, который она мне оказала; она разговаривала со мной более получаса с милой улыбкой, которая ей не всегда свойственна. После множества шуток, которыми мы обменялись с княгиней и еще одним присутствующим лицом, которым была княжна Натали — ибо мы были втроем, — я попрощался с ними и вернулся к себе, чтобы переодеться и привести себя в порядок.
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Человек предполагает, а бог располагает ( лат.).
Dix sept jours sans vous voir, Madame! Jugez donc si mon pauvre c oeur devrait ^etre d'echir'e. Mille fois j’'etais sur le point d’aller me pr'ecipiter, voler `a vos pieds, mais un g'enie ennemi me suscitait toutes les fois quelques f^acheu-ses contrari'et'es, quelque circonstance qui venait l`a-dessus pr`es pour d'ejouer mes resolutions. Pour comble d’infortune, le Prince s’'etant demis le pied de-vait garder la chambre et moi son compagnon dans les affaires et dans les ad-versit'es, je devais rester clou'e au chevet de son lit. Enfin je saisis la premi`ere occasion favorable qui se f^ut pr'esent'ee, je cours, je vole me prosterner devant ma souveraine et lui r'eit'erer foi et hommages jur'es tant de fois et si sinc`ere-ment.
Ne croyez pas cependant, Madame, que cette cruelle absence e ^ut dimi-nu'e, affaibli les sentiments dont mon ^ame pour vous est remplie! Eloign'e de vous, peut-^etre oubli'e, effac'e de votre souvenir, mes plus ch`eres pens'ees, cel-les que je caressais le plus dans mon imagination vous furent toujours con-sacr'ees; je ne vivais, ne respirais que dans l’avenir, que dans l’`esp'erance de pouvoir un jour vous les transmettre. Eloign'e de vous, j’'etais sans cesse en-tour'e de votre image; je ne lisais que les ouvrages dont nous avons parl'e ensemble, que ceux que vous avez eu la bont'e de me pr^eter. Je suis devenu plus d'evot, je prie le bon Dieu avec fureur deux fois par jour et c’est afin de pouvoir redire plus souvent votre nom que j ’ai plac'e dans mes pri`eres. Vous pouvez bien deviner que votre image est alors l’ange tutelaire qui volage autour de ma <нрзб.> et si je desirais voir celui qu e le bon Dieu m’avait donn'e `a ma nais-sance, j’aurais voulu qu’il m’appar^ut sous vos traits: je l’adressais, je l’en aimerais davantage. J’aime ici la solitude: c’est alors que je suis seul avec vous. Je m’imagine encore d’^etre aupr`es de celle que j’adore, j’admire ses gr^aces, ses talents, son amabilit'e, je me la repr'esente sous tous les aspects, sous toutes les formes, avec cette vari'et'e d’humeur qui la caract'erise. Tant^ot je crois la voir rire, j’'ecoute ses babils aimables et enjou'e, o`u l’esprit perce tou-jours `a travers le voile de la gaiet'e dont elle veut le cacher, tant^ot je l’entends chanter ces airs que j’aime tant et qu’elle embellit de sa voix; je deviens tout ou"ie, je n’ose plus respirer, je crains de perdre le moindre son, la moindre inflexion de sa voix. Tant^ot je l’entends raisonner, parler de la litt'erature, avec ce go^ut pur, cette justesse du tact juste qui lui sont naturel. Tant^ot je suis ab-sorb'e dans la contemplation de ses perfections ext'erieurs, rien ne m’'echappe alors: cette figure noble et spirituelle, ces traits qui ont pour moi la r'egularit'e d’un beau id'eal, cet heureux accord de la beaut'e et des gr^aces, ce sourire plein d’app^as, ces yeux dont le feu embrasse le t'emeraire qui ose les fixer, cet-te blancheur 'eclatant du teint, cette peau si tendre et si mince, ce joli pied si 'el'egant, que les Gr^aces elles-m^emes avaient moul'e sur mod`ele, ce beau sein, ce sein, le tr^one de l’amour et de la volupt'e… mes yeux croient se promener, caresser tous les contours de ce coprs enchanteur, mon imagination m’entraine, m’'egare, je m’enflamme, je br^ule, je m’an'eantis par l’exc`es de mes sensations si cuisantes, de mes r^eves si s'eduisantes!..
Helas! qu ’elle est triste, cette r'ealit'e que je vois autour de moi lorsque j’ose descendre sur la terre apr`es avoir quitt'e ces belles r'egions des illusions o`u mon imagination m’emporte! Je me vois seul, dans le d'esert, les beaut'es de la nature ne font sur moi aucune impression et celui de l’art moins encore.
Je vous ai dit une fois, Madame, que j ’ai souvent des id'ees qui parais-sent n’avoir pas le sens commun. Ici, loin de vous, c’est encore pire. Voici quelques une de ces aberrations d’une imagination effr'en'ee qui cherche `a tra-vailler dans l’absence d’une r'ealit'e plus douce. Je fais des reproches `a la nature, `a ma malheureuse 'etoile non pas d'ej`a de ne m’avoir pas fait beau et bien-fait, mais de ne m’avoir pas cr'e'e laid et difforme. En voil`a la raison: vous se-riez d’abord rebut'ee par mon ext'erieur, puis vous auriez compar'e vos perfections avec ma difformit'e, vous auriez 'et'e frapp'ee par le contraste, vous auriez dit: pourquoi cet ^etre est-il si laid tandis que je suis si belle? pourquoi doit-il rebuter tout le monde tandis que j’attire… et vous m’auriez plaint: et dans la plainte de vous est encore un bonheur plus grand du moins que de vous ^etre tout-`a-fait indiff'erent… Vous auriez peut-^etre voulu me consoler mon triste sort et ce serait d'ej`a une jouissance!.. Ah! veuillez me consoler de aussi d’une similitude de l’esp'erance, veuillez p'en'etrer dans le fond de mon coeur, y lire l’amour qu’il vous porte et all'eger le poids qui le p`ese! Mes souffrances deviendraient autant de f'elicit'es `a proportion que vous daignerez croire `a la sinc 'erit'e de mes sentiments, de ces <нрзб.> que je ne saurais mieux peindre qu’en r'ep'e tant sans cesse
Me voil `a rapproch'e des lieux que vous habitez. Madame! j’ai quitt'e la brillante campagne pour me r'einstaller de nouveaux sous l’humble toit qui me sert d’abri `a Petersbourg. Que de plaisirs, que de dissipations me promettait le s'ejour de la ville! Mes amis, Schydlowski et Toumansky sont de retour, St. Thomas est l`a pour me conter ses aventures d’Italie et d’Espagne, pour me rappeler sa belle patrie et de me tanner de temps en temps des bord'ees de calembourgs et de jeux de mots. La douce amiti'e va dor'enavant rouvrir ses bras pour me rece-voir: en sera-t-il autant de l’amour? — Non! mon coeur me le dit et ce proph`ete, bien qu’il ne f^ut consolent, ne m’a jamais tromp'e. C’est une triste chose que l’esp'erance qui ne voit point de terme `a ses atteints: on aime `a se nourrir des vains illusions qui s’'evanouissent au moindre souffle de le r'ealit'e, et c’est alors que le coeur g'emit de voir dispara^itre les douces erreurs dont il 'etait beri'e.
Votre opinion, Madame, doit ^etre en toutes choses la boussole de la mienne. Dans mes lettres suivantes je prendrai la libert'e de vous entretenir sur la litt'erature Russe, sur la litt'erature de notre langue maternelle; ce sujet ne peut pas vous para^itre ennuyeux, Madame, `a vous, qui aimez les productions de nos po`etes et de nos prosateurs. Je me promettrai donc d’y 'enoncer mes sentiments sur chacun de ceux de notre temps qui se sont acquis une sorte de c'el'ebrit'e. Mais je vous prie, Madame, de m’'eclairer par vos observations, de m’aider par votre lumi`ere: je m’en rapporterai toujours `a votre jugement si sain, `a votre tact si juste, `a votre go^ut si pur. Esp'erant d’avance en votre indulgence, je d'epose `a vos pieds l’hommage des sentences d’amour et d’adoration, dont mon coeur est rempli pour vous, Madame, pour vous qui ^etes mon id'eal de tout ce qui est beau, de tout ce qui est sublime.