Том 8. Былое и думы. Часть 1-3
Шрифт:
Il 'etait difficile d’ajouter quelque chose `a notre bonheur; et pourtant la nouvelle d’un ^etre `a venir, d’un enfant, d'ecouvrit dans notre coeur des espaces que nous ne connaissions pas, des sentiments d’une nouvelle ivresse, pleine de terreur, d’esp'erance, d’inqui'etude et d’une attente passionn'ee.
C’est le commencement de la famille – car sans enfant il n’y a pas de famille. L’amour effray'e devient plus tendre, se fait garde-malade, soigne, veille. L’'ego"isme `a deux ne se fait pas seulement 'ego"isme `a trois, mais r'esignation de deux pour un troisi`eme. Un 'el'ement nouveau entre dans l’intimit'e de la vie; un personnage myst'erieux frappe `a la porte, un h^ote qui est et qui n’est pas, mais qui est d'ej`a compl`etement n'ecessaire, indispensable. Qui est-il? – personne n’en sait rien. – Mais qui que tu sois, inconnu, tu es heureux. Avec quel amour, avec quelle tendresse on t’attend au seuil de la vie.
Et quelles transes, quels doutes! – Sera-t-il vivant, ou non? – Il y a tant de cas malheureux. – M^eme cela arrive souvent. Le m'edecin sourit, ne veut pas dire ou ne sait pas. On se cache des autres. On n’a personne `a qui demander un conseil, et on a honte.
Mais l’enfant donne ses signes de vie. – Je ne connais pas de sentiment plus pieux et religieux que celui qui remplit l’^ame lorsque la main sent les premiers mouvements de la vie future qui t^ache de briser ses liens, de sortir au grand jour, qui essaie ses muscles non m^urs et endormis. – C’est la premi`ere imposition des mains, par laquelle le p`ere donne sa b'en'ediction `a l’^etre futur et qui c`ede une partie de soi-meme.
– Ma femme, – me dit un jour un brave bourgeois, – ma femme, – et il se tourna `a gauche et `a droite pour voir s’il n’y avait pas dans l’appartement des femmes ou des mineurs, – elle est enfin, pardonnez-moi, mais enfin… elle est enceinte…
Oui, la confusion de toutes les notions morales est encore telle que parler de l’'etat d’une femme enceinte offense les moeurs. Pourtant c’est bien 'etrange: on exige d’un homme un respect absolu, une v'en'eration sans bornes pour la m`ere quelle qu’elle soit, et on voile le myst`ere de la naissance, non par un sentiment de pi'et'e ou de respect, mais – par biens'eance. Tout cela, r'esultat de la dissolution id'eelle, de la corruption monacale, de cet 'eternel et maudit holocauste de la chair, de ce malheureux dualisme qui nous tire en deux sens oppos'es, comme les h'emisph`eres de Magdebourg. Il y a deux ann'ees, j’ai lu dans un livre – 'ecrit par un socialiste – qu’avec le temps les enfants na^itront d’une autre mani`ere! – et de laquelle? – comme les anges. – Au moins, c’est claire.
Honneur `a notre ma^itre commun, le vieux r'ealiste Goethe! C’est lui qui a os'e mettre `a c^ot'e des vierges du romantisme la femme enceinte, et qui n’a pas craint de ciseler les formes alt'er'ees de la m`ere future, en les comparant aux formes sveltes de la femme future.
En effet, la femme qui porte, avec la m'emoire des transports pass'es, toute la croix de l’amour, tout son fardeau; qui sacrifie sa beaut'e, sa vie; qui souffre, qui nourrit enfin de son sein, – c’est une des plus po'etiques et des plus touchantes images.
Dans les El'egies romaines, dans la Fileuse, dans Gretchen et sa pri`ere pleine de d'esespoir, Goethe a exprim'e de quelle solennit'e exhub'erante la nature entoure le fruit m^urissant, et de quelle couronne d’'epines la soci'et'e entoure le vase du futur.
Pauvres m`eres! qui doivent cacher comme une fl'etrissure les traces de l’amour, avec quelle inhumanit'e, avec quelle grossi`eret'e le monde les pers'ecute!.. Dans le temps o`u la femme a un besoin si 'enorme de repos, de tendresse, de bienveillance, on leur empoisonne ces moments irremplacables o`u la vie faiblissante succombe sous le poids du bonheur et de la pl'enitude.
C’est avec horreur que la m`ere malheureuse d'ecouvre ce secret. Elle t^ache de se convaincre que ce n’est rien… Mais bient^ot le doute devient impossible; elle accompagne de larmes et d’angoisses chaque mouvement de l’enfant; elle voudrait arr^eter le travail myst'erieux de la nature, lui faire rebrousser chemin; elle attend un malheur comme une mis'ericorde, comme un pardon. Mais l’infl'exible nature va son chemin. – Elle est si forte, si jeune!..
Forcer une m`ere `a d'esirer la mort de son enfant, et quelquefois plus, faire d’elle son bourreau et la livrer ensuite `a l’autre, ou, si le coeur f'eminin prend le dessus, la fl'etrir: – quelle organisation magnifique et morale de la soci'et'e!
Et qui s’est jamais donn'e la peine d’'etudier, d’appr'ecier tout ce qui s’est pass'e dans son coeur pendant qu’elle parcourait le chemin fatal de l’amour `a la frayeur, de la frayeur au d'esespoir, du d'esespoir au crime! – c’est-`a-dire `a la folie: car il y a une absurdit'e physiologique dans l’enfanticide.
Cette femme avait sans doute des moments d’oubli o`u elle aimait 'eperdument son enfant futur, et d’autant plus que son existence 'etait un secret profond entre elle et lui. – Elle r^evait aussi `a sa petite jambe, `a son sourire, `a ses l`evres pleines de lait – deson lait `a elle; elle l’embrassait en r^evant, lui trouvait de la ressemblance avec des traits qui lui furent si chers;… et il faut le tuer!
Oh! Certainement, il y a des pauvres malheureuses; mais, en g'en'eral, les femmes – perdues – n’ont pas ces sentiments.
Les femmes perdues, – lesquelles?
Certes, il n’y a rien de plus d'echu que ces l'ezards, ces chauves-souris qui vont et viennet dans le brouillard des nuits de Londres, en offrant – victimes de la pauvret'e par lesquelles la soci'et'e d'efend les honn^etes femmes… contre l’exc`es des passions de leurs adorateurs – leur corps transi de froid au passant, pour ne pas mourir de faim.
Dans cette classe, il serait bien difficile de trouver quelques traces de coeur maternel, n’est-ce pas?
Eh bien, je vais vous raconter un petit fait qui m’est arrive!
Il y a trois ans, je rencontrai une jeune fille, assez jolie et mignonne. Elle appartenait `a l’aristocratie de la corruption; c’est-`a-dire qu’elle ne faisait d'emocratiquement le trottoir, mais 'etaitbourgeoisement entretenue par un n'egociant. C’'etait `a un bal public. Un de mes amis, avec lequel j’'etais l`a, la connaissait. Il l’invita `a prendre un verre de vin avec nous. Elle accepta. C’'etait un ^etre gai, 'eveill'e, superficiel, sans aucun souci de lendemain. Ayant fini son dernier verre, elle s’'elanca dans le tourbillon lourd de la danse anglaise, et je la perdis de vue.
Cet hiver, par une soir'ee pluvieuse, je traversais la rue pour m’abriter sous les arcades de Pall-Mall, lorsque j’apercus sous une lanterne, une jeune femme pauvrement v^etue qui grelottait, attendant une proie. Il me semblait, que je connaissais ses traits. Elle jeta un regard sur moi et se d'etourna. Mais il 'etait trop tard; je l’avais reconnue.
M’approchant d’elle, je lui demandai avec int'er^et, comment elle se trouvait l`a. Une rougeur f'ebrile couvrait ses joues fan'ees. – Etait-ce la honte – ou la phtisie? Je ne sais pas; mais il me semblait bien que ce n’'etait pas le rouge v'eg'etal. Dans ces deux ann'ees elle avait vieilli de dix.