Том 8. Былое и думы. Часть 1-3
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– J’ai 'et'e bien malade, et je suis bien malheureuse, – me dit-elle avec une tristesse profonde et en me montrant du regard ses v^etements pass'es et ternes.
– Mais o`u est donc votre ami?
– Il a 'et'e tu'e en Crim'ee.
– Moi qui le croyais n'egociant.
Un peu interdite, au lieu de me r'epondre, elle m’interrogea d’un air triste:
– Dites-moi, de gr^ace, est-ce que je suis bien chang'ee?
– Oui, lorsque je vous ai vue pour la premi`ere fois on pouvait vous prendre pour une enfant; maintenant vous avez l’air d’avoir vous-m^eme des enfants.
Elle rougit encore plus et me dit, stup'efaite par mon observation:
– Comment l’avez-vous devin'e?
– De mani`ere ou d’autre; mais j’ai devin'e. Maintenant, parlez-moi s'erieusement, que vous est-il donc arriv'e?
– Rien du tout. – Seulement, c’est vrai, j’ai un petit. – Si vous l’aviez vu. Mon Dieu! Qu’il est beau; tous les voisins en sont 'etonn'es. Je n’ai jamais vu un enfant pareil. – L’ autre il s’est mari'e `a une femme riche, et il est parti pour le Continent. Le petit est n'e apr`es, et c’est lui qui m’a plong'e dans cette mis`ere. Au commencement j’avais de l’argent; je lui achetais tout dans les grands magasins. Mais, peu `a peu, tout s’en est all'e; j’ai engag'e ce que j’avais. – On me conseillait de placer l’enfant en nourrice dans quelque village. Certainement cela serait mieux; mais il m’est impossible de m’en s'eparer. Je le regarde – je le regarde, et je pense que c’est mieux de mourir ensemble que de l’abandonner `a des gens qui ne l’aiment pas. J’ai t^ach'e de trouver une place; mais personne ne veut me prendre avec l’enfant. Je suis revenue chez ma m`ere. Elle est bonne; elle m’a tout pardonn'e, et elle aime le petit; elle le caresse. Mais il y a quatre mois, elle perdit l’usage de ses jambes. – Sa maladie nous a bien co^ut'e, et cela ne va pas mieux.Vous savez vous-m^eme, quelle dure ann'ee… Le charbon, le pain, tout est cher. – Nous n’avons pas de v^etements, pas d’argent. – Eh bien! je… Certainement, il serait mieux de se jeter dans la Tamise. – Oh! Ce n’est pas un plaisir, allez… mais… `a qui laisser le petit?..
Je lui donnai quelque argent, et, ajoutant un shelling, je lui dis:
Je la regardais tout 'emu – et je serrai, avec amiti'e, avec estime, la main de cette femme… perdue.
Les amateurs de la r'ehabilitation feraient peut-^etre mieux de sortir de ces boudoirs parfum'es, o`u ils trouvent, sur des sophas couverts de velours et de damas, des dames aux cam'elias et des dames aux perles, pour s’encanailler un peu. Ils trouveraient, au coin des rues, en regardant en face la d'ebauche fatale, la d'ebauche impos'ee par la faim, la d'ebauche qui entra^ine sans merci ni mis'ericorde, qui ne permet ni de s’arr^eter, ni de prendre haleine, des sujets d’'etude un peu plus s'erieux. Les chiffonniers trouvent plus souvent des diamants dans le ruisseau que dans les oripeaux de th'e^atre, sem'es de paillettes de papier dor'e.
Cela me rappelle le malheureux G'erard de Nerval. Dans les derniers temps, avant son suicide, il s’absentait tr`es souvent pour deux ou trois jours. On sut enfin qu’il passait son temps dans les estaminets les plus mal fam'es. L`a, il avait fait connaissance avec des voleurs, des r^odeurs de barri`eres. Il jouait aux cartes avec eux, il les r'egalait et dormait quelquefois sous leur 'egide. Ses amis le pri`erent de ne plus y aller. Mais Nerval leur r'epondit, avec une grande na"ivet'e: «Chers amis, je vous assure, que vous avez des pr'ejug'es 'etranges et injustes contre ces gens-l`a. Croyez-moi, ils ne sont ni meilleurs ni pires que tous les autres que j’ai connus». – Alors les honn^etes gens ne dout`erent plus de l’ali'enation mentale du traducteur de «Faust».
Le jour fatal approchait, la peur devenait de plus en plus grande. Je regardais avec servilit'e le docteur, et, ce personnage myst'erieux, la sage-femme. Ni N…, ni moi, ni notre jeune femme de chambre, nous ne savions ce qu’il fallait faire. Heureusement, une vieille et bonne dame vint, de Moscou, chez nous, et prit d’une main ferme les r^enes du gouvernement. – J’ob'eissais comme un n`egre.
Une fois, au milieu de la nuit, j’entends une voix qui m’appelle, j’ouvre les yeux; la vieille dame, en jaquette de nuit, un foulard sur la t^ete, un bougeoir `a la main, 'etait l`a: m’ordonnant d’envoyer `a l’instant chercher le docteur et la sace-femme. Je mourais de frayeur – comme si c’e^ut 'et'e une surprise, comme si nous n’avions pas parl'e des mois entiers de ce moment! Avec quel bonheur je me serais tourn'e sur l’autre c^ot'e, apr`es avoir pris une dose d’opium pour dormir pendant tout le temps du danger! – Mais il n’y avait rien `a faire. – Je m’habillai tout tremblant; j’envoyai le domestique, et m’'elancai dans la chambre `a coucher de N… – Je lui prenais les mains; j’ennuyais la vieille dame par des questions insipides et je sortais dix fois par minute dans le vestibule pour 'ecouter si on n’entendait pas le bruit d’un 'equipage. – C’'etait une nuit chaude d’'et'e, tout 'etait tranquille et calme; les oiseaux commencaient `a chanter; l’aurore colorait les feuilles des arbres du jardin; j’aspirais l’air fortement et je retournais dans la chambre `a coucher. – Enfin, on entendit une voiture roulant sur le Pont! – Gr^ace `a Dieu! – Ils arrivaient encore `a temps.
A onze heures du matin, je tresaillis comme frapp'e d’un coup 'electrique. Le cri fort d’un nouveau-n'e avait frapp'e mes oreilles.
Toute id'ee de danger avait disparu (quoique tr`es souvent ce soit alors que le danger commence). Une joie folle s’empara de moi, comme si j’avais un carillon de toutes les cloches, un brouhaha de f^ete `a l’int'erieur. N… me souriait, souriait `a l’enfant, pleurait, riait; et seulement la respiration spasmodique et une p^aleur mortelle rappelaient les souffrances de tout `a l’heure.
Je quittais l’appartement; j’entrai chez moi, et, compl`etement bris'e, je me jetai sur mon canap'e; sans pens'ee d'etermin'ee, sans me rendre compte de ce qui s’'etait pass'e, je restai l`a – dans une souffrance de bonheur.
J’ai vu encore, ailleurs, de jeunes traits exprimant `a la fois cette souffrance et ce bonheur: de jeunes traits o`u la mort et une joie douce et suave planaient ensemble. C’'etait `a Rome, dans la galerie du prince C… Je les ai <tout> de suite reconnus, en regardant la Madone de Van Eyck, et je me suis arr^et'e tressaillant – et je ne pouvais pas m’arracher de ce tableau.
J'esus vient de na^itre, on le montre `a la Madone. Bris'ee, fatigu'ee, languissante, sans une goutte de sang dans la figure, elle sourit `a l’enfant et arr^ete sur lui un regard faible qui se fond en amour.
Il faut le dire, la vierge-m`ere ne va pas du tout dans la religion c'elibataire du christianisme. Avec elle, dans l’'eternel enterrement du monde par l’'eglise, dans le dernier jugement et autres horreurs de la th'eodic'ee sacr'ee, p'en`etrent la vie, la douceur, l’amour.
C’est pour cela que le protestantisme ne chassa que la Madone de ses hangars de pi'etisme, de ses fabriques de sermons. Elle confond l’ordre divin de la Trinit'e; elle ne peut pas se d'efaire de la nature terrestre; elle chauffe l’enceinte froide de l’'eglise, et reste, quand-m^eme, femme et m`ere. Par un enfantement naturel, elle se venge de la conception miraculeuse, et elle arrache au moine asc`ete une b'en'ediction – `a son ventre.
Michel Ange et Rafael ont compris tout cela avec leurs pinceaux.
Dans le Dernier Jugement de la Chapelle Sixtine, dans cette Saint-Barth'el'emy au ciel, nous voyons le Fils allant f^eter la vengeance divine. – Il a d'ej`a lev'e une main; `a l’instant il donnera le signal, et les tortures, les martyres, un auto-da-f'e universel commenceront aux sons terribles de la trompette. Mais `a c^ot'e de lui, une femme, sa m`ere, tremblante, dolorosa, se presse contre lui. – Peut-^etre en la regardant, il s’adoucira; il oubliera sa dure parole, «femme, qu’y a-t-il entre moi et toi?», et il ne donnera pas le signal.