Bel-Ami / Милый друг
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– Est-ce gentil, dis, est-ce gentil? Et pas a monter, c'est sur la rue, au rez-de-chaussee! On peut entrer et sortir par la fenetre sans que le concierge vous voie. Comme nous nous aimerons, la dedans!
Il l'embrassait froidement, n'osant faire la question qui lui venait aux levres.
Elle avait pose un gros paquet sur le gueridon, au milieu de la piece. Elle l'ouvrit et en tira un savon, une bouteille d'eau de Lubin, une eponge, une boite d'epingles a cheveux, un tire-bouchon et un petit fer a friser pour rajuster les meches de son front qu'elle defaisait toutes les fois.
Et elle joua a l'installation, cherchant la place de chaque chose, s'amusant enormement.
Elle parlait tout en ouvrant les tiroirs:
– Il faudra que j'apporte un peu de linge, pour pouvoir en changer a l'occasion. Ce sera tres commode. Si je recois une averse, par hasard, en faisant des courses, je viendrai me secher ici. Nous aurons chacun notre clef, outre celle laissee dans la loge pour le cas ou nous oublierions les notres. J'ai loue pour trois mois, a ton nom, bien entendu, puisque je ne pouvais donner le mien.
Alors il demanda:
– Tu me diras quand il faudra payer?
Elle repondit simplement:
– Mais c'est paye, mon cheri!
Il reprit:
– Alors, c'est a toi que je le dois?
– Mais non, mon chat, ca ne te regarde pas, c'est moi qui veux faire cette petite folie.
Il eut l'air de se facher:
– Ah! mais non, par exemple. Je ne le permettrai point.
Elle vint a lui suppliante, et, posant les mains sur ses epaules:
– Je t'en prie, Georges, ca me fera tant de plaisir, tant de plaisir que ce soit a moi, notre nid, rien qu'a moi! Ca ne peut pas te froisser? En quoi? Je voudrais apporter ca dans notre amour. Dis que tu veux bien, mon petit Geo, dis que tu veux bien?..
Elle l'implorait du regard, de la levre, de tout son etre.
Il se fit prier, refusant avec des mines irritees, puis il ceda, trouvant cela juste, au fond.
Et quand elle fut partie, il murmura, en se frottant les mains et sans chercher dans les replis de son coeur d'ou lui venait, ce jour-la, cette opinion:
Il recut quelques jours plus tard un autre petit bleu qui lui disait:
«Mon mari arrive ce soir, apres six semaines d'inspection. Nous aurons donc relache huit jours. Quelle corvee, mon cheri!
«Ta Clo.»
Duroy demeura stupefait. Il ne songeait vraiment plus qu'elle etait mariee. En voila un homme dont il aurait voulu voir la tete, rien qu'une fois, pour le connaitre.
Il attendit avec patience cependant le depart de l'epoux, mais il passa aux Folies-Bergere deux soirees qui se terminerent chez Rachel.
Puis, un matin, nouveau telegramme contenant quatre mots: «Tantot, cinq heures. – Clo.»
Ils arriverent tous les deux en avance au rendez-vous. Elle se jeta dans ses bras avec un grand elan d'amour, le baisant passionnement a travers le visage; puis elle lui dit:
– Si tu veux, quand nous nous serons bien aimes, tu m'emmeneras diner quelque part. Je me suis faite libre.
On etait justement au commencement du mois, et bien que son traitement fut escompte longtemps d'avance, et qu'il vecut au jour le jour d'argent cueilli de tous les cotes, Duroy se trouvait par hasard en fonds; et il fut content d'avoir l'occasion de depenser quelque chose pour elle.
Il repondit:
– Mais oui, ma cherie, ou tu voudras.
Ils partirent donc vers sept heures et gagnerent le boulevard exterieur. Elle s'appuyait fortement sur lui et lui disait, dans l'oreille:
– Si tu savais comme je suis contente de sortir a ton bras, comme j'aime te sentir contre moi!
Il demanda:
– Veux-tu aller chez le pere Lathuile?
Elle repondit:
– Oh! non, c'est trop chic. Je voudrais quelque chose de drole, de commun, comme un restaurant ou vont les employes et les ouvrieres; j'adore les parties dans les guinguettes! Oh! si nous avions pu aller a la campagne!
Comme il ne connaissait rien en ce genre dans le quartier, ils errerent le long du boulevard, et ils finirent par entrer chez un marchand de vin qui donnait a manger dans une salle a part. Elle avait vu, a travers la vitre, deux fillettes en cheveux attablees en face de deux militaires.
Trois cochers de fiacre dinaient dans le fond de la piece etroite et longue, et un personnage, impossible a classer dans aucune profession, fumait sa pipe, les jambes allongees, les mains dans la ceinture de sa culotte, etendu sur sa chaise et la tete renversee en arriere par-dessus la barre. Sa jaquette semblait un musee de taches, et dans les poches gonflees comme des ventres on apercevait le goulot d'une bouteille, un morceau de pain, un paquet enveloppe dans un journal, et un bout de ficelle qui pendait. Il avait des cheveux epais, crepus, meles, gris de salete; et sa casquette etait par terre, sous sa chaise.
L'entree de Clotilde fit sensation par l'elegance de sa toilette. Les deux couples cesserent de chuchoter, les trois cochers cesserent de discuter, et le particulier qui fumait, ayant ote sa pipe de sa bouche et crache devant lui, regarda en tournant un peu la tete.
Mme de Marelle murmura:
– C'est tres gentil! Nous serons tres bien; une autre fois, je m'habillerai en ouvriere.
Et elle s'assit sans embarras et sans degout en face de la table de bois vernie par la graisse des nourritures, lavee par les boissons repandues et torchee d'un coup de serviette par le garcon. Duroy, un peu gene, un peu honteux, cherchait une patere pour y pendre son haut chapeau. N'en trouvant point, il le deposa sur une chaise.
Ils mangerent un ragout de mouton, une tranche de gigot et une salade. Clotilde repetait:
– Moi, j'adore ca. J'ai des gouts canailles. Je m'amuse mieux ici qu'au Cafe Anglais.
Puis elle dit:
– Si tu veux me faire tout a fait plaisir, tu me meneras dans un bastringue. J'en connais un tres drole pres d'ici qu'on appelle la Reine-Blanche.
Duroy, surpris, demanda:
– Qui est-ce qui t'a menee la?
Il la regardait et il la vit rougir, un peu troublee, comme si cette question brusque eut eveille en elle un souvenir delicat. Apres une de ces hesitations feminines si courtes qu'il les faut deviner, elle repondit: