Bel-Ami / Милый друг
Шрифт:
– Est-elle du meme cru?
– Non, mais aussi drole. Une grande seche, soixante ans, frisons faux, dents a l'anglaise, esprit de la Restauration, toilettes meme epoque.
– Ou ont-ils deniche ces phenomenes de lettres?
– Les epaves de la noblesse sont toujours recueillies par les bourgeois parvenus.
– Pas d'autre raison?
– Aucune autre.
Puis une discussion politique commenca entre le patron, les deux deputes, Norbert de Varenne et Jacques Rival; et elle dura jusqu'au dessert.
Quand on fut retourne dans le salon, Duroy s'approcha de nouveau de Mme de Marelle, et, la regardant au fond des yeux:
– Voulez-vous que je vous reconduise, ce soir?
– Non.
– Pourquoi?
– Parce que M. Laroche-Mathieu, qui est mon voisin, me laisse a ma porte chaque fois que je dine ici.
– Quand vous verrai-je?
– Venez dejeuner avec moi, demain.
Et ils se separerent sans rien dire de plus.
Duroy ne resta pas tard, trouvant monotone la soiree. Comme il descendait l'escalier, il rattrapa Norbert de Varenne qui venait aussi de partir. Le vieux poete lui prit le bras. N'ayant plus a redouter de rivalite dans le journal, leur collaboration etant essentiellement differente, il temoignait maintenant au jeune homme une bienveillance d'aieul.
– Eh bien, vous allez me reconduire un bout de chemin? dit-il.
Duroy repondit:
– Avec joie, cher maitre.
Et ils se mirent en route, en descendant le boulevard Malesherbes, a petits pas.
Paris etait presque desert cette nuit-la, une nuit froide, une de ces nuits qu'on dirait plus vastes que les autres, ou les etoiles sont plus hautes, ou l'air semble apporter dans ses souffles glaces quelque chose venu de plus loin que les astres.
Les deux hommes ne parlerent point dans les premiers moments. Puis Duroy, pour dire quelque chose, prononca:
– Ce M. Laroche-Mathieu a l'air fort intelligent et fort instruit.
Le vieux poete murmura:
– Vous trouvez?
Le jeune homme, surpris, hesitait:
– Mais oui; il passe d'ailleurs pour un des hommes les plus capables de la Chambre.
– C'est possible. Dans le royaume des aveugles les borgnes sont rois. Tous ces gens-la, voyez-vous, sont des mediocres, parce qu'ils ont l'esprit entre deux murs, – l'argent et la politique. – Ce sont des cuistres, mon cher, avec qui il est impossible de parler de rien, de rien de ce que nous aimons. Leur intelligence est a fond de vase, ou plutot a fond de depotoir, comme la Seine a Asnieres.
Ah! c'est qu'il est difficile de trouver un homme qui ait de l'espace dans la pensee, qui vous donne la sensation de ces grandes haleines du large qu'on respire sur les cotes de la mer. J'en ai connu quelques-uns, ils sont morts.
Norbert de Varenne parlait d'une voix claire, mais retenue, qui aurait sonne dans le silence de la nuit s'il l'avait laissee s'echapper. Il semblait surexcite et triste, d'une de ces tristesses qui tombent parfois sur les ames et les rendent vibrantes comme la terre sous la gelee.
Il reprit:
– Qu'importe, d'ailleurs, un peu plus ou un peu moins de genie, puisque tout doit finir!
Et il se tut. Duroy, qui se sentait le coeur gai, ce soir-la, dit, en souriant:
– Vous avez du noir, aujourd'hui, cher maitre.
Le poete repondit:
– J'en ai toujours, mon enfant, et vous en aurez autant que moi dans quelques annees. La vie est une cote. Tant qu'on monte, on regarde le sommet, et on se sent heureux; mais, lorsqu'on arrive en haut, on apercoit tout d'un coup la descente, et la fin, qui est la mort. Ca va lentement quand on monte, mais ca va vite quand on descend. A votre age, on est joyeux. On espere tant de choses, qui n'arrivent jamais, d'ailleurs. Au mien, on n'attend plus rien… que la mort.
Duroy se mit a rire:
– Bigre, vous me donnez froid dans le dos.
Norbert de Varenne reprit:
– Non, vous ne me comprenez pas aujourd'hui, mais vous vous rappellerez plus tard ce que je vous dis en ce moment.
Il arrive un jour, voyez-vous, et il arrive de bonne heure pour beaucoup, ou c'est fini de rire, comme on dit, parce que derriere tout ce qu'on regarde, c'est la mort qu'on apercoit.
Oh! vous ne comprenez meme pas ce mot-la, vous, la mort. A votre age, ca ne signifie rien. Au mien, il est terrible.
Oui, on le comprend tout d'un coup, on ne sait pas pourquoi ni a propos de quoi, et alors tout change d'aspect, dans la vie. Moi, depuis quinze ans, je la sens qui me travaille comme si je portais en moi une bete rongeuse. Je l'ai sentie peu a peu, mois par mois, heure par heure, me degrader ainsi qu'une maison qui s'ecroule. Elle m'a defigure si completement que je ne me reconnais pas. Je n'ai plus rien de moi, de moi l'homme radieux, frais et fort que j'etais a trente ans. Je l'ai vue teindre en blanc mes cheveux noirs, et avec quelle lenteur savante et mechante! Elle m'a pris ma peau ferme, mes muscles, mes dents, tout mon corps de jadis, ne me laissant qu'une ame desesperee qu'elle enlevera bientot aussi.
Oui, elle m'a emiette, la gueuse, elle a accompli doucement et terriblement la longue destruction de mon etre, seconde par seconde. Et maintenant je me sens mourir en tout ce que je fais. Chaque pas m'approche d'elle, chaque mouvement, chaque souffle hate son odieuse besogne. Respirer, dormir, boire, manger, travailler, rever, tout ce que nous faisons, c'est mourir. Vivre enfin, c'est mourir!
Oh! vous saurez cela! Si vous reflechissiez seulement un quart d'heure, vous la verriez.
Qu'attendez-vous? De l'amour? Encore quelques baisers, et vous serez impuissant.
Et puis, apres? De l'argent? Pourquoi faire? Pour payer des femmes? Joli bonheur! Pour manger beaucoup, devenir obese et crier des nuits entieres sous les morsures de la goutte?
Et puis encore? De la gloire? A quoi cela sert-il quand on ne peut plus la cueillir sous forme d'amour?
Et puis, apres? Toujours la mort pour finir.
Moi, maintenant, je la vois de si pres que j'ai souvent envie d'etendre les bras pour la repousser. Elle couvre la terre et emplit l'espace. Je la decouvre partout. Les petites betes ecrasees sur les routes, les feuilles qui tombent, le poil blanc apercu dans la barbe d'un ami, me ravagent le coeur et me crient: