L'Arrestation de Fant?mas (Арест Фантомаса)
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Interloqu'e par la demande de Juve, M. Havard, naturellement, avait demand'e :
— O`u m’emmenez-vous ? qu’est-ce qui vous prend ?
Mais Juve secoua la t^ete :
— Il ne me prend rien, disait-il. J’ai plut^ot envie de prendre quelqu’un `a l’endroit o`u je vous emm`ene. Ma foi, c’est bien simple. Je vous emm`ene `a Feignies.
— `A Feignies ? vous ^etes fou ? Sur la fronti`ere belge ? Pour quoi faire ?
— Pour arr^eter Fant^omas.
M. Havard n’en avait pas demand'e plus.
Il connaissait trop Juve pour ne pas se douter que si le policier venait le trouver, il devait s’agir de choses graves.
Juve n’'etait pas homme `a entreprendre un voyage sans n'ecessit'e absolue et puis, il prononcait le nom de Fant^omas.
M. Havard sonna, donna deux ordres rapides, annonca son absence, prit son chapeau, descendit avec Juve, monta dans le taxi-auto du policier.
— Allez-vous m’expliquer maintenant ?
— Non, dans le train.
C’'etait seulement, en effet, apr`es que le train eut d'emarr'e, alors qu’il 'etait certain par cons'equent que M. Havard ne pouvait plus l’abandonner, ne pouvait plus se refuser `a l’accompagner, que Juve consentit `a fournir quelques explications au chef de la S^uret'e.
Il tira de sa poche son portefeuille, y prit la note qu’il avait le matin m^eme trouv'ee dans le dossier 'etiquet'e
Or, M. Havard ne comprenait rien, tout d’abord, `a la manoeuvre de Juve.
— Eh bien, quoi ? faisait-il, un peu nerveux. Qu’est-ce que cela veut dire ? C’est une fiche sur le tsar ? Et ce que vous montrez, c’est le poids du souverain ? Soixante-cinq kilos ? Quelle importance y attachez-vous ?
— Une importance capitale.
— Laquelle, bon Dieu ?
Juve rit de son petit rire 'enervant, le petit rire dont il accompagnait g'en'eralement ses triomphes les plus sensationnels.
— Avec ce renseignement, disait-il, ou je me trompe fort, ou nous allons arr^eter Fant^omas.
Et comme M. Havard le regardait interloqu'e, se prenant `a douter que Juve f^ut dans son bon sens, le policier enfin consentit `a parler un peu plus clairement :
— Voici mon plan, disait Juve, voici ce que je crains. Voici ce que je crois.
Juve, net, pr'ecis, usant de cette concision qui faisait sa force, rappelait `a M. Havard la terrible lutte qui s’'etait livr'ee, entre lui et Fant^omas `a propos du portefeuille rouge.
— Depuis la perte du Skobeleff, dit Juve, nous n’avons pas eu un instant de r'epit. Pas un, si ce n’est `a partir du moment o`u j’ai eu le portefeuille rouge entre les mains, `a partir de la parade d’ex'ecution d’OEil-de-Boeuf qui m’a valu de retrouver le portefeuille.
— Eh bien ?
— Monsieur Havard, apr`es avoir 'et'e trop mal, toutes ces affaires marchent trop bien.
— Ce qui signifie ?
— Ce qui signifie que, pour moi, si Fant^omas ne m’a pas poursuivi, si hier j’ai pu dormir en paix chez moi, rue Bonaparte, si le prince Nikita arrive vivant `a Feignies, c’est que Fant^omas a pr'epar'e quelque coup formidable, c’est qu’il a trouv'e moyen de duper une derni`ere fois le prince Nikita.
— Ah c`a, qu’imaginez-vous donc ?
— Un pi`ege inou"i. Ceci, en deux mots : le prince Nikita ne va pas avoir affaire au tsar, il va se trouver en face de Fant^omas.
`A ces mots, M. Havard, dans le compartiment du rapide, secou'e par la vitesse, se dressa debout, litt'eralement stup'efait :
— Vous ^etes fou, vous ^etes fou. Vous supposez que Fant^omas va prendre la place du tsar ?
— J’en jurerais.
— Une imposture de cette importance est impossible, voyons.
— Tout est possible `a Fant^omas.
— Sans doute, mais…
— Il n’y a pas de « mais ».
— Enfin, que comptez-vous faire ?
— Peser le tsar.
Et Juve pr'ecisa son plan :
— Le tsar, disait-il, peut avoir un visage, une attitude, une voix, une facon d’^etre. Tout cela, ce n’est rien, tout cela, ce n’est pas suffisant pour l’identifier. Tout cela, si Fant^omas veut s’en donner la peine, il peut l’imiter. Il l’imitera pour duper le prince Nikita, pour duper ceux qui assisteront `a l’entrevue. Mais il y a une chose que Fant^omas ne saurait truquer, pour la bonne raison qu’il n’y pensera pas et cette chose-l`a, c’est son poids. J’ai le poids du tsar et si l’homme qui entretient l'e prince Nikita ne p`ese pas son poids ou `a peu pr`es, c’est que ce n’est pas le tsar.
Juve avait si bien d'efendu sa th'eorie, si nettement d'emontr'e `a M. Havard qu’on pouvait tout craindre de la part de Fant^omas, m^eme cette imposture invraisemblable, que M. Havard s’'etait laiss'e convaincre.
— Vous ferez comme vous l’entendrez, Juve, avait fini par d'eclarer le chef de la S^uret'e. Toutefois, pas de scandale avant que nous ayons une certitude.
Juve, d’un hochement de t^ete, avait rassur'e son chef, puis il avait 'eclat'e de rire :
— D’ailleurs, expliqua-t-il, ce qu’il y a d’amusant, monsieur Havard, c’est que, si r'eellement Fant^omas a pris la place du tsar, non seulement il va ^etre arr^et'e par nous, mais encore il aura 'et'e fort d'esappoint'e par l’invention du prince Nikita. Vous savez que cet officier a d'etruit le document pour en r'eciter le texte au tsar. Il y a gros `a parier que le lieutenant prince Nikita s’adressera au tsar en russe. Fant^omas n’en comprendra pas un tra^itre mot.
***
Quatre-vingt-huit kilos.
Juve, arriv'e `a l’usine de Feignies avant le prince Nikita lui-m^eme, avait merveilleusement endoctrin'e les fr`eres Rosenbaum qu’il devait pourtant, dans la soir'ee, faire si promptement mettre `a la porte par les policiers r'equisitionn'es `a la brigade de gendarmerie voisine.
Gr^ace aux directeurs de l’usine, Juve, en compagnie du chef de la S^uret'e, avait en effet obtenu que l’on trac^at de telle mani`ere le chemin du souverain, que, forc'ement, fatalement, pour 'eviter des obstacles accumul'es `a dessein dans la cour de la cristallerie, le tsar d^ut passer sur une grande bascule de niveau avec le sol, ce qui allait permettre de le peser `a son insu.