L'Arrestation de Fant?mas (Арест Фантомаса)
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— Je pr'ec`ede la voiture imp'eriale, annoncait-il. Elle est `a quelques kilom`etres seulement.
L’envoy'e ne se trompait point. Il avait `a peine fait ranger sa propre voiture, qu’une nouvelle automobile s’arr^etait devant la petite porte de l’usine.
Les fr`eres Rosenbaum se pr'ecipit`erent pour faire les honneurs de leur maison. Tr`es p^ale, mais l’air r'esolu, le prince Nikita bondit `a la porti`ere qu’il ouvrit en personne :
— Sire, commenca le jeune officier, permettez-moi…
Mais il n’avait pas le temps de souhaiter la bienvenue au souverain. Du fond de la voiture, une voix br`eve, enrou'ee, lui coupa la parole :
— Lieutenant, ne m’appelez pas
Et, en m^eme temps, n'egligeant l’offre des bras qui se tendaient pour lui pr^eter appui, le tsar descendit de la limousine, non sans remonter autour du cou, bien que la temp'erature f^ut tr`es douce, un 'epais cache-nez :
— Pressons, messieurs, conduisez-nous, prince Nikita. J’ai un maudit enrouement, je ne tiens pas `a l’aggraver en prenant froid.
Bien que les fr`eres Rosenbaum, tout comme le prince Nikita, d’ailleurs, fussent un peu d'ecus de la s'echeresse qui percait dans les paroles imp'eriales, ils n’avaient pas `a marquer leur m'econtentement :
— Excellence, si vous voulez me suivre, en effet… commenca le prince Nikita.
Et, marchant devant l’Empereur – car l’usage veut, en Russie, que le souverain soit toujours pr'ec'ed'e de quelqu’un, pour le cas o`u un danger pourrait se trouver sur sa route – le lieutenant guida le tsar vers le cabinet garni de fleurs o`u il allait avoir `a « rendre compte » de sa mission :
— C’est ici que nous devons causer ? eh bien, causons, lieutenant. Vous avez le portefeuille ?
Le tsar ne s’'etait m^eme pas d'ebarrass'e de son paletot. Il gardait son chapeau sur la t^ete, il avait l’air de vouloir en quelques minutes finir un entretien d'eplaisant.
— Mon Dieu songeait cependant le prince Nikita, consid'erant son auguste ma^itre et fr'emissant de plus en plus `a la pens'ee de la terrible confidence qu’il allait avoir `a lui faire. Pourvu qu’il ne m’en veuille pas.
— Prince, dit le tsar, qui nerveusement tirait de sa poche une cigarette russe, et se penchait au-dessus d’une lampe famili`erement, pour l’allumer, je vous attends. Donnez-moi ce portefeuille.
Le lieutenant mit un genou en terre et avoua :
— Sire, je ne l’ai pas.
Mais le prince Nikita n’avait pas achev'e de parler que, brusquement, le tsar se retourna :
— Vous ne l’avez pas ? demandait-il d’une voix devenue fr'emissante, vous ne l’avez pas ? allons donc, je ne veux pas vous croire. Je sais qu’hier soir…
— Sire, je ne l’ai pas. Je ne l’ai plus.
— On vous l’a repris ?
— Je l’ai d'etruit, sire.
— Vous l’avez d'etruit ? Vous ^etes fou.
— Non, sire, mais charg'e par l’Auguste Bienveillance de Votre Majest'e de la terrible mission de rapporter ce portefeuille, j’ai estim'e que Votre Auguste Bienveillance avait trop compt'e sur moi, que je n’'etais pas certain de pouvoir, f^ut-ce au p'eril de ma vie, sauver ce portefeuille des convoitises de vos ennemis et c’est pourquoi, sire, je l’ai d'etruit. Mais je l’ai d'etruit apr`es avoir lu le document qu’il contenait, apr`es avoir grav'e chacun de ses mots au plus profond de ma m'emoire.
— Lieutenant, je ne vous comprends pas.
— Sire, Votre Majest'e va comprendre.
En quelques mots, en effet, le prince Nikita mit le tsar au courant des multiples aventures qui avaient marqu'e le sauvetage du portefeuille rouge au moment du naufrage du Skobeleff.
Il lui dit, vantant avec une touchante sinc'erit'e le d'evouement de Juve, combien avait 'et'e p'erilleuse la recherche du portefeuille rouge, maintes fois vol'e, toujours retrouv'e, et seulement la veille au soir, d'efinitivement parvenu entre les mains du policier.
— Sire, concluait le prince Nikita, hier soir, quand j’ai tenu ce document, int'eressant la Russie tout enti`ere dans mes mains tremblantes, j’ai pens'e que l’on pouvait me tuer, que l’on pouvait me ravir encore une fois ce portefeuille et qu’alors, peut-^etre, jamais plus Votre Majest'e ne pourrait conna^itre ce document. Sire, voici les renseignements qu’il contenait, que Votre Majest'e m’'ecoute.
En quelques mots, mais employant sa langue natale, cette langue russe dont les inflexions sont douces et m'elodieuses, le prince Nikita, baissant les yeux, r'ep'eta le texte, d’ailleurs fort bref, qu’il avait appris par coeur, la veille.
— Sire, reprit alors l’officier, maintenant, vous savez, maintenant, ma mission est remplie.
Et le prince Nikita, levant les yeux, osa regarder face `a face le tsar.
Or, le souverain 'etait si p^ale, si bl^eme, serrait les dents dans un geste de col`ere si furieux, que le prince Nikita eut peur.
— Ah, Petit P`ere, s’'ecria-t-il avec un accent de d'evouement passionn'e et usant du tutoiement respectueux qu’emploient les Russes quand ils prient, sans doute j’ai trahi les ordres quand je me suis permis de lire ce document secret, mais, tu dois le comprendre, si j’ai agi ainsi, c’est qu’il me semblait que c’'etait le seul moyen que j’avais en ma possession d’arriver `a te faire savoir ce que tu devais savoir. Petit P`ere, pardonne-moi.
La voix du prince Nikita tremblait. C’est d’une voix plus tremblante encore que le tsar finit par r'epondre :
— Lieutenant, mes ordres interdisaient `a quiconque de prendre connaissance du contenu du portefeuille rouge. Quand vous l’avez ouvert, vous avez su ce que vous n’auriez jamais d^u savoir.
— Petit P`ere, r'epondit-il, c’est vrai, tu as raison. J’ai su ce que je ne devais pas savoir, ce que tu devais conna^itre seul, mais ne dis pas, Petit P`ere, que je t’ai trahi. Non, ne le dis pas. Maintenant, tu sais, et maintenant encore, puisque tu ne me pardonnes pas, tu vas ^etre seul `a savoir. Le lieutenant prince Nikita n’est pas de ceux qui sauvent leur vie au prix d’un manquement `a l’honneur. Comprends-moi bien. Petit P`ere, tu sais, toi, et, je te le r'ep`ete, tu vas ^etre seul `a savoir.