L'Arrestation de Fant?mas (Арест Фантомаса)
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— Parbleu, songeait Fant^omas, Juve se dit qu’au moment o`u la t^ete d’OEil-de-Boeuf va tomber, Fant^omas ne doit pas ^etre loin. C’est moi qu’il cherche. C’est moi qu’il s’efforce de trouver. C’est moi que Juve voudrait jeter `a cette bascule, `a ce couperet, `a la tombe que l’on creuse en ce moment au cimeti`ere.
Juve, `a cet instant, passait au pied de la maison de la m`ere K'eradeuc. Instinctivement, le policier leva la t^ete, toisa la facade hostile de la b^atisse. Peut-^etre son regard s’arr^eta-t-il sur le store derri`ere lequel se tenait Fant^omas ? Peut-^etre un pressentiment le fit-il tressaillir ? H'elas, le policier ne pouvait, au travers de l’'etoffe, deviner le bandit en embuscade. Et Fant^omas qui, lui, par la d'echirure o`u il collait ses yeux, ne perdait pas un mouvement du policier, se gaussait du policier :
— Cherche bien, Juve, cherche-moi bien, tu ne me tiens pas encore, tu n’es pas encore le triomphateur que tu voudrais ^etre. Fant^omas est libre et Fant^omas va sauver l’homme que tes pareils s’appr^etent `a tuer.
Fant^omas 'etait d’ailleurs si d'edaigneux de l’enqu^ete, forc'ement vaine, que tentait en ce moment le Roi des Policiers, qu’il d'etacha bient^ot ses yeux du groupe que formaient Juve et les officiels qui l’accompagnaient, pour regarder encore la guillotine.
Mais, `a peine Fant^omas eut-il vu la guillotine, presque pr^ete maintenant, qu’il bl^emit.
— Mon Dieu, me serais-je donc tromp'e ? Vais-je donc avoir la douleur… il ne faut pas que cela soit, je ne veux pas que cela soit.
Fant^omas tremblait maintenant de tous ses membres, une sueur froide perlait `a son front, lui coulait des tempes.
— Il ne faut pas que cela soit. Je ne veux pas qu’on le tue. Je ne veux pas m’^etre tromp'e. Une erreur de ma part serait criminelle. Ah, mal'ediction.
Que venait donc d’apercevoir Fant^omas ?
Il lui avait sembl'e que la machine qu’il avait devant les yeux 'etait plus petite que celle qu’il avait truqu'ee dans le Hangar Rouge. Oui, les bras sanglants 'etaient moins 'epais, moins hauts. Oui, le couperet 'etait de dimension plus exigu"e. Oui, le b^ati m^eme de la guillotine diff'erait par quelques traits essentiels. Et Fant^omas, affol'e, se demandait :
— Me suis-je donc tromp'e ? N’ai-je pas truqu'e la guillotine qui doit servir ce matin ? 'Etait-ce une autre guillotine que celle-ci qui m’a servi `a tuer Jean-Marie ?
Et, avec une lucidit'e effarante, le bandit, qui avait voulu sauver OEil-de-Boeuf, se rappela soudain que Deibler poss'edait deux guillotines, l’une dont il se servait `a Paris, l’autre, de dimensions moindres, qu’il n’utilisait qu’en province, et que c’'etait la guillotine parisienne que Fant^omas avait mise hors d’'etat. C’'etait la guillotine des d'epartements qui se dressait lugubre devant lui, `a qui, dans quelques minutes, on allait jeter OEil-de-Boeuf, OEil-de-Boeuf, que, d'esormais, rien ne pouvait plus sauver, qui, devant Fant^omas, allait avoir la t^ete tranch'ee.
***
Le bandit, derri`ere le store, 'etait, certes, plus p^ale qu’OEil-de-Boeuf, pourtant livide, la chemise 'echancr'ee, les cheveux coup'es ras, les bras attach'es derri`ere le dos, entre deux gardiens de prison, pr'ec'ed'e de l’aum^onier, suivi du bourreau et de ses valets.
Il fallait que Fant^omas, `a cet instant, fit un effort terrible sur lui-m^eme pour ne pas se pr'ecipiter sur la place, courir `a son lieutenant, l’'etreindre, lui demander pardon de sa m'eprise.
Fant^omas se dompta pourtant.
— Il va mourir, se r'ep'etait-il. Il va mourir. Nul ne peut le sauver.
Et d’ailleurs, dans le silence angoiss'e qui soudain pesa aussi bien sur les soldats du service d’ordre que sur la foule juch'ee partout, s’'ecrasant dans les ruelles, s’agrippant en grappes aux toits des maisons voisines, le drame se d'eroula avec l’instantan'eit'e d’un 'eclair.
La porte de la prison s’'etait ouverte, OEil-de-Boeuf, le cou instinctivement enfonc'e entre les 'epaules, gardait une attitude de vrai courage. L’aum^onier, brusquement, se jeta de c^ot'e. Ce mouvement d'emasquait la guillotine. OEil-de-Boeuf sembla vaciller sur ses jambes, deux aides le prirent sous le bras. On le poussa vers la bascule.
Alors, des l`evres exsangues du mis'erable qu’on allait tuer, un cri, presque ind'echiffrable, s’'eleva :
— J’'etais innocent. Je n’ai pas tu'e l’officier russe. Adieu.
Pouvait-il dire plus ?
Deibler, qui marchait derri`ere le condamn'e au moment o`u celui-ci d'ebouchait de la prison, s’'etait d'ej`a pr'ecipit'e `a la droite de la guillotine et, le doigt sur le d'eclic, il attendait.
Les valets du bourreau alors intervinrent.
L’un d’eux, par les 'epaules, coucha OEil-de-Boeuf sur la planche de la bascule. Les courroies, que maniait un autre valet, boucl`erent les chevilles, les 'epaules du malheureux. Un troisi`eme aide se tenait pr^et `a tirer la t^ete du condamn'e par les oreilles afin de l’introduire dans la lunette o`u, dans quelques secondes, le couperet allait s’abattre avec une foudroyante rapidit'e.
Et tout cela s’'etait fait en moins d’une demi-seconde. Et d'ej`a Deibler, visage impassible, pesait sur le levier manoeuvrant la bascule.
Fant^omas vit distinctement l’effort que faisait le bourreau. Il voyait le geste de Deibler. Il le voyait… et, brusquement, il s’'etonnait de le voir.
Des l`evres du bandit, alors, un rauque juron s’'echappait :
— Mort de Dieu, mais qu’est ce qu’il se passe ?
Que se passait-il, en effet ?
C’'etait, autour de la guillotine, en cet instant, un affolement extraordinaire.
Et tandis que, de la foule, aussi bien que des soldats rang'es tout autour de la
Deux minutes plus tard, sans doute, brusquement le Procureur intervint. On d'eligota le condamn'e 'evanoui. Des hommes le prirent aux 'epaules. On l’emporta vers la prison, cependant que la foule, rompant les barrages, commencait `a envahir la place. Cependant que les commandants du service d’ordre, sabre en main, hurlaient `a leurs hommes :
— Chargez. Il ne faut pas que la foule approche des bois de la justice.
***
Au moment o`u Deibler avait appuy'e de toutes ses forces sur le levier commandant le d'eclic de la guillotine, et qu’il 'etait effar'e de le voir r'esister, Juve, qui se tenait `a quelque distance de la machine fatale, s’'etait 'elanc'e en courant vers le bourreau.