L'Arrestation de Fant?mas (Арест Фантомаса)
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28 – L’INSTANT FATAL S’'ETERNISE
La m`ere K'eradeuc, `a dix lieues `a la ronde, 'etait connue pour ^etre la plus mauvaise langue, la plus capricieuse vieille femme, la plus assommante des m'enag`eres de Quimper.
Elle se tenait au milieu de sa cuisine, une petite pi`ece carrel'ee de rouge et meubl'ee de bois blanc, assise sur un tabouret ; elle avait rejet'e sur sa t^ete, d’ordinaire coiff'ee d’un pimpant bonnet, son long tablier bleu, et elle attendait.
Le petit matin blafard, sale, pluvieux, suintait semblait-il des toits d’ardoise entourant de tous c^ot'es, avec de pittoresques clochetons, la petite place o`u se dressait la maison de la m`ere K'eradeuc.
Dans la cuisine, o`u l’on voyait mal, le brouillard entrait `a gros flocons, rendant l’atmosph`ere quasi irrespirable, et pourtant la m`ere K'eradeuc ne songeait pas `a allumer la moindre chandelle, non plus qu’`a vaquer `a quelque occupation.
Quelle heure 'etait-il donc ?
La m`ere K'eradeuc, de temps `a autre, d’en dessous son tablier, jetait un regard timide et effar'e `a la grande pendule accot'ee `a la muraille qu’elle avait `a c^ot'e d’elle, et alors, elle se lamentait :
— Deux heures et demie seulement et c’est `a cinq heures, `a cinq heures quatre, m’a-t-on dit, que cela aura lieu. Ah, j’en deviendrai folle, dame oui.
La vieille Bretonne, de plus en plus, se dissimulait sous son tablier relev'e, et m^eme bient^ot elle appuyait ses deux mains contre ses oreilles comme quelqu’un qui ne veut pas entendre, qui n’a qu’un d'esir : ^etre dans le noir, demeurer dans le silence.
Or, comme la vieille Bretonne, au comble de l’effroi, se ratatinait sur elle-m^eme de plus en plus, voil`a qu’elle sursauta brusquement, montrant bien la peur violente qu’elle venait d’'eprouver.
Du premier 'etage de sa maison, par l’escalier de bois blanc, une voix venait de la h'eler, une voix forte qui ne tremblait pas, elle, la voix d’un homme, d’un homme qui devait ^etre jeune :
— Madame K'eradeuc, venez donc un peu ?
— Descendez donc vous-m^eme, mon bon monsieur. Qu’est-ce que vous voulez ? Seigneur ma Dou'e, si c’est possible d’avoir la curiosit'e que vous avez, et que tous les autres qui sont sur la place ont comme vous. Ah, dame, il faudrait me payer cher, moi, pour aller regarder `a la fen^etre.
Un pas pesant 'ebranla le petit escalier, puis un homme, l’homme qui venait d’appeler, fit son entr'ee dans la pi`ece.
— Allons, madame K'eradeuc, dit-il non sans hausser les 'epaules d’impatience, vous ^etes effroyablement peureuse. Il faut vous secouer. Voulez-vous monter ?
— Ah, Dieu non, je ne veux pas monter.
— Eh, madame K'eradeuc, je crois pourtant que je vous ai pay'e assez cher le droit de me mettre `a votre crois'ee pour que vous n’ayez pas regret de l’autorisation que vous m’avez donn'ee. D’ailleurs, il ne s’agit pas de ca. Voyons, renseignez-moi au moins, puisque vous ne voulez pas m’accompagner. Par quelle porte doit-il sortir ?
La m`ere K'eradeuc ne r'epondit pas. L’homme, d’ailleurs, n’insista pas.
— La vieille est compl`etement affol'ee, songea-t-il. Ne nous faisons pas d’illusion, elle ne nous apprendra rien.
Tournant sur ses talons, l’inconnu abandonna la cuisine o`u la m`ere K'eradeuc resta seule, puis remonta l’escalier sans h^ate.
Il p'en'etra dans une petite chambre claire et proprette, sentant le pitchpin, dont le lit 'etait couvert d’une cretonne blanche, dont les rideaux 'etaient de toile blanche et sur la chemin'ee de laquelle, poussi'ereuse et touchante, on pouvait juste apercevoir, sous globe de verre, une couronne de fleurs d’orangers.
L’inconnu ouvrit la fen^etre, fit tomber le store et `a travers les trous de l’'etoffe regarda la petite place de Quimper.
On n’aurait certes pas reconnu ce jour-l`a la tranquille petite ville bretonne. Alors que d’ordinaire personne ne s’arr^etait sur la place d'eserte s’'etendant devant la maison de la m`ere K'eradeuc que bordaient d’un c^ot'e de vieilles b^atisses et de l’autre la monumentale prison, une foule immense y grouillait aujourd’hui, chantant, riant, buvant. Rares 'etaient ceux qui s’'etaient couch'es la veille au soir. Il y avait l`a des paysans, des paysannes aussi, mais il y 'etait surtout venu, d’on ne savait o`u, des chemineaux, des gars de batteries et aussi de ces travailleurs aux allures 'equivoques qui abondent dans les campagnes comme ailleurs et qui ne manquent jamais de se rassembler pour des spectacles analogues `a celui dont ils allaient ^etre t'emoins.
L’inconnu, d’un oeil morne, lass'e, presque blas'e, examina la foule grouillante :
— D'ecid'ement, songeait-il, il y a l`a toute l’aristocratie sp'eciale de la Bretagne. Dommage, en v'erit'e, que toute cette foule soit expos'ee `a ^etre cruellement d'ecue d’ici quelques instants.
Il y eut comme un fr'emissement.
— Parbleu, dit l’inconnu, ce sont les fourgons.
`A l’un des bouts de la petite place, une voiture poussi'ereuse, peinte en vert, fit son apparition, tra^in'ee au trot d’un vieux cheval blanc.
— Deibler, vive Deibler.
Les cris se croisaient : on applaudissait, on s’agitait.
L’arriv'ee des voitures composait en quelque sorte le premier acte de l’ex'ecution d’OEil-de-Boeuf qui, `a l’heure fix'ee par la Loi, c’est-`a-dire au lever du jour, allait prendre place.
Les fourgons, car une seconde voiture venait d’appara^itre, encadr'ee par un escadron de gendarmes `a cheval, sabre au clair et galopant botte `a botte, traversaient la foule qui s’ouvrait pour leur laisser passage, gagn`erent le centre de la place, s’immobilis`erent enfin en un endroit que le bourreau la veille au soir avait soigneusement d'etermin'e.
— Eh, eh, songeait toujours l’inconnu, observant la place de Quimper de la fen^etre qu’il avait lou'e `a la m`ere K'eradeuc, Deibler n’est pas en retard, et m^eme il ne para^it pas 'emu. Bigre, c’est un temp'erament. J’aurais cru, apr`es le drame d’il y a trois jours, apr`es la d'ecouverte de son aide assassin'e, de ce Jean-Marie que j’ai si proprement exp'edi'e, qu’il aurait eu quelque frayeur `a venir op'erer `a Quimper. N’emp^eche, la t^ete qu’il va faire en voyant que la bascule est truqu'ee.