L'Arrestation de Fant?mas (Арест Фантомаса)
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Fant^omas, en effet, n’'etait pas reparti imm'ediatement apr`es l’ex'ecution du lugubre 'equarrisseur devenu valet de guillotine. Quelques minutes encore, le Ma^itre de l’'Epouvante, au risque d’^etre surpris par le bourreau, 'etait demeur'e dans le Hangar Rouge, quelques minutes il avait travaill'e `a la guillotine. Il savait `a pr'esent que le truquage 'etait parfait, que la bascule ne basculerait pas, que le couperet resterait suspendu, qu’impuissant `a guillotiner OEil-de-Boeuf, Deibler devrait le laisser retourner au cachot o`u, sans aucun doute, suivant un usage constant, il serait graci'e par le Pr'esident de la R'epublique.
Fant^omas surveillait donc d’un oeil calme le montage de la machine.
— D'ecid'ement, remarqua-t-il encore, s’int'eressant au spectacle en amateur averti, Deibler conna^it son m'etier. Il op`ere avec une habilet'e classique. L’emplacement est sabl'e, nivel'e. Il ne laisse rien au hasard. Tiens, les soldats.
Tandis que le bourreau, en effet, s’occupait aux d'etails d’installation des bois de justice, sur la place des soldats 'etaient apparus.
Distraitement, alors, Fant^omas suivit des yeux les 'evolutions de la troupe qui, en d'epit des protestations unanimes, impitoyablement, refoulait vers les rues adjacentes ceux qu’avait attir'es le spectacle.
— Quels imb'eciles, songeait Fant^omas, on ordonne que les ex'ecutions soient publiques, et puis, chaque fois que la justice op`ere, on repousse au loin ceux qui viennent contempler la chose. Il faudrait, pourtant une bonne fois s’entendre, d'ecr'eter que l’on cachera la guillotine comme une chose hideuse dans la cour des prisons, ou admettre au contraire que sa vue est moralisatrice et alors, laisser la foule s’en repa^itre les yeux.
Lentement, implacablement, la petite place fut donc d'eblay'ee par les soldats. Les badauds sanguinaires durent se retirer. Bient^ot, dans le cercle vide que dessinaient les soldats rang'es en piquet d’honneur, on ne distinguait plus, s’agitant `a la lueur des lanternes que commencait `a jaunir le jour naissant, que quatre hommes, Deibler et les trois valets de guillotine, quatre hommes qui s’affairaient `a descendre du fourgon vert les caisses num'erot'ees o`u reposaient les montants de la machine.
Fant^omas, vite lass'e par le spectacle des 'evolutions de la cavalerie dispersant les curieux, consid'era alors le travail m^eme du bourreau. En bras de chemise, car il avait d^u retirer sa redingote, n'egligemment jet'ee sur le si`ege d’un des fourgons, M. de Paris, `a gestes pr'ecis et m'eticuleux, dirigeait les aides. Et, bien qu’il f^ut assez distant, Fant^omas entendant par moments les 'eclats de sa voix, une voix qui semblait 'etrange, tant elle paraissait calme et qui ordonnait :
— Prenez donc garde. Vous voyez bien que ce montant est mal fix'e. Et puis, d'ep^echez-vous, nous allons ^etre en retard.
Un coup'e de ma^itre arrivait, suivi d’une Victoria, suivi de voitures de louage plus modestes, mais toutes ayant des allures officielles. De graves personnages, en tenue de c'er'emonie, mirent pied `a terre, et leurs traits tir'es, leurs mines blafardes confessaient l’'emotion qu’ils 'eprouvaient, les uns et les autres, `a se rencontrer `a pareille heure et pour cette besogne.
La foule, qui, repouss'ee par les soldats, 'etait revenue, avait grimp'e sur les toits voisins, escalad'e les arbres, franchi des cl^otures, envahi les maisons riveraines, saluait l’arriv'ee des voitures d’exclamations satisfaites :
— Le procureur. Tiens, voil`a l’aum^onier.
— Vous reconnaissez l’avocat ? Le juge d’instruction ?
— Celui-l`a, c’est un journaliste.
Fant^omas hochait la t^ete, devenu un peu p^ale :
— Mon Dieu, songeait-il, maintenant malgr'e lui 'etreint d’une secr`ete anxi'et'e, pourvu que ni Deibler, ni ses aides, n’aient l’id'ee d’essayer la machine avant d’aller proc'eder au r'eveil de ce malheureux OEil-de-Boeuf ? Si jamais ils s’apercevaient que la bascule ne fonctionne pas, tout serait perdu.
Fant^omas, lentement, souleva le store qui l’emp^echait de voir facilement dans tous ses d'etails le spectacle sur la place. Or, comme il jetait `a nouveau les yeux vers la guillotine, voil`a que le bandit se mordit les l`evres, laissa 'echapper une exclamation de fureur :
— Voil`a ce que je craignais. Il est l`a.
`A cet instant, faisant crier le gravier sous les roues, une voiture traversa les lignes de gendarmes, puis les rangs de cavaliers composant le service d’ordre, vint se ranger `a quelques pas de la guillotine.
Un homme v^etu de noir, un homme au maintien s'ev`ere en descendit, et c’est la vue de ce personnage, qui avait fait bl^emir le Ma^itre de l’Effroi.
— Juve, r'ep'etait Fant^omas. Juve, pourquoi est-il venu ici ? que pense-t-il faire ? Je sais qu’il a tent'e, mais vainement d’obtenir du Pr'esident de la R'epublique la gr^ace d’OEil-de-Boeuf. Juve ne voudrait pas qu’on le guillotin^at ce matin, c’est 'evident, car il sait qu’OEil-de-Boeuf n’a jamais assassin'e l’officier russe. Mais Juve, par devoir, s’il s’apercoit que la guillotine a 'et'e truqu'ee, avertira le bourreau.
Et, dans l’^ame de Fant^omas, `a cet instant, la peur s’installait en ma^itresse. Fant^omas, en effet, ne pouvait admettre que l’un de ses lieutenants, qu’un de ceux qui l’avaient fid`element servi, p^ut ^etre guillotin'e. Etrange conscience de ce bandit que n’avait jamais effray'e aucune atrocit'e et qui tremblait `a la pens'ee de n’avoir pu, lui, le Roi du Crime, lui, le Redoutable, lui, l’Insaisissable, sauver l’un de ses complices.
— Juve est l`a, se r'ep'etait-il, que vient-il faire ?… Juve. C’est ce que je pouvais craindre de plus terrible.
Une pens'ee, pourtant, calma le bandit.
Juve n’avait pas eu de regard pour la guillotine. Le policier, trop de fois, avait assist'e `a des ex'ecutions pour 'eprouver encore la moindre curiosit'e `a l’'egard de ce spectacle de sang.
S’il 'etait venu `a Quimper, ce n’'etait pas pour voir tomber la t^ete d’OEil-de-Boeuf.
Juve, en compagnie du procureur g'en'eral et du juge d’instruction qui 'etaient venus lui serrer la main d`es sa descente de voiture, faisait le tour du service d’ordre, plongeant des regard curieux dans les rangs de la foule qui se pressait un peu partout.