L'Arrestation de Fant?mas (Арест Фантомаса)
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Jean-Marie reconnut le Ma^itre de l’'Epouvante.
Livide, d’une voix haletante, il voulut demander :
— Mais qu’avez-vous ? pourquoi ? par piti'e d'eliez-moi ?
— Te d'elier ? user de piti'e ? ah ca, Jean-Marie, mais tu deviens fou ? Tu as oubli'e ?
— Ma^itre, je vous en supplie.
— Tais-toi et 'ecoute ce que j’ai `a te dire, Jean-Marie. Tu es le valet de guillotine, tu aimes ton m'etier, or, il se trouve que dans trois jours – dans trois jours, tu le disais tout `a l’heure – tu vas avoir `a ex'ecuter, `a Quimper, un homme qui est innocent des crimes qu’on lui reproche, un homme qui m’a fid`element servi, un homme que je veux sauver, OEil-de-Boeuf. Dis-moi, Jean-Marie, peux-tu t’engager sur l’honneur `a sauver OEil-de-Boeuf ? Je ne peux pas laisser guillotiner l’un de mes lieutenants, peux-tu me promettre, toi, toi que je tiens en ce moment `a ma merci, de m’aider `a le sauver ? Veux-tu faire en sorte que la guillotine, cette guillotine sur laquelle tu es couch'e, ne fonctionne pas lorsque Deibler, `a la sinistre minute, pressera sur le d'eclic ?
— Mais cela ne sauverait pas OEil-de-Boeuf ?
— Si. Au moment o`u OEil-de-Boeuf sera couch'e sur cette bascule, au moment o`u Deibler pressera le d'eclic, si le d'eclic ne fonctionne pas, OEil-de-Boeuf est sauv'e. L’usage veut, Jean-Marie, que, lorsque le bourreau ne peut imm'ediatement accomplir son sinistre office, on d'etache le condamn'e `a mort, on le ram`ene en prison et le pr'esident fait gr^ace. La vie d’OEil-de-Boeuf est donc entre tes mains et je ne veux pas qu’il meure. Allons, vas-tu me servir ?
— Ma^itre, d'eliez-moi et je vous servirai fid`element, OEil-de-Boeuf ne sera pas ex'ecut'e.
Jean-Marie, en ce moment, ne doutait point que Fant^omas n’accept^at le compromis qu’il venait en somme de lui offrir lui-m^eme. Mais il devait, aller d’effroi en effroi.
Loin de para^itre en effet le moins du monde 'emu par le serment de Jean-Marie, le Ma^itre de l’'Epouvante ricana :
— Voil`a bien ce que j’attendais de toi, l^ache et poltron, tra^itre et peureux. Jean-Marie, Jean-Marie, sais-tu bien que, moi, qui n’ai peur de rien, tu me fais peur ? Oui, tu me fais peur. Car tu incarnes tous les vices humains. Ah, ah, vraiment, tu tombes dans tous les pi`eges que l’on te tend. Apr`es m’avoir trahi, je t’offre de trahir la guillotine, qui est en somme ton unique amour, et tu acceptes, d’enthousiasme. Jean-Marie, Jean-Marie, tu n’es donc pas capable, m^eme pour tes passions, de vaincre ta peur ?
Jean-Marie s’'etait repris `a trembler.
— Mais je ne vous ai jamais trahi, s’'ecria-t-il sur un ton d'esesp'er'e. C’est vous qui venez de me demander d’emp^echer que la guillotine fonctionne.
— Tu ne m’as jamais trahi ? ripostait Fant^omas, tu crois ? Dois-je te rappeler qu’apr`es m’avoir donn'e ta parole de ne rien faire sans moi tu as voulu, seul, assassiner dame Brigitte ? Dois-je te rappeler que, plus tard, tu t’es entendu avec le prince Nikita pour d'epouiller ma fille ? Mais tu as fait pis encore, Jean-Marie. Allons, souviens-toi. Qui donc, lorsque ma fille – et tu savais que c’'etait elle – est all'ee au clos d’'equarrissage, a voulu la violenter ? qui donc plus tard encore, il y a deux jours `a peine, au cours de la rafle qui eut lieu dans la plaine de Saint-Ouen, a voulu assommer H'el`ene d’un coup de poing pour lui ravir le portefeuille ? ce portefeuille qu’elle tenait, que je voulais et que tu voulais aussi pour le vendre, pour contrarier mes desseins ? R'eponds, Jean-Marie, te dis-je, quelle vengeance crois-tu que je doive tirer de toi, de toi qui n’as pas craint de t’attaquer `a ma fille ?
— Piti'e.
Mais pouvait-on demander piti'e `a Fant^omas ? Le Roi de l’Effroi ricana encore. Imitant la voix de la brute dont il venait de s’emparer, il r'ep'etait :
— Voil`a tout ce que tu sais dire ? voil`a tout ce que tu trouves ? Tu veux que je te fasse mis'ericorde alors que tu t’es attaqu'e `a ma fille ? Sens-tu ce qu’il y a de monstrueux dans ta demande de piti'e ?
— Je sauverai OEil-de-Boeuf.
— Imb'ecile. Je n’ai pas besoin de toi pour sauver mon lieutenant.
Fant^omas, qui jusqu’alors s’'etait tenu devant la guillotine debout, en face de Jean-Marie, s’approcha du mis'erable, le fr^ola presque :
— Tu ne m'erites aucune piti'e. Avant de venir ici, avant de m’introduire dans ce hangar o`u je savais bien que tu trouverais moyen de rester seul pour satisfaire `a ton aise la hideuse passion qui t’attache `a cet instrument de mort, j’avais pes'e ta conduite. En v'erit'e, tu vas mourir. Tu aimais ta guillotine ? Parbleu, tu vas mourir de ton amour. Regarde-moi bien, Jean-Marie, ne perds pas un de mes gestes, regarde. Regarde de tous tes yeux, je l`eve le doigt, ma main cherche le d'eclic. J’ai le pouce sur le d'eclic. J’appuie. Le couperet, en une seconde va glisser le long des montants et tu seras mort, et tu auras le cou tranch'e, et ton corps ne sera plus que deux troncons informes d’o`u le sang, que tu aimais, jaillira en jets 'epais et lourds. Regarde, Jean-Marie, regarde le couteau qui domine ton cou.
Brusquement, Fant^omas pesa sur la bascule, la renversa.
Jean-Marie devait vivre cette horreur intense de contempler en effet au-dessus de lui, `a la lueur fumeuse du falot le couperet triangulaire. Jean-Marie se sentit perdu.
— Fant^omas, commenca-t-il, ne me tue pas, j’ai le portef…
Mais, indiff'erent `a ce que clamait l’apache, n’'ecoutant m^eme point ce qu’il hurlait, Fant^omas avait achev'e sa phrase :
— Regarde, Jean-Marie, je vais presser sur le d'eclic, je le presse.
En m^eme temps, Fant^omas avait mis en action les rouages de la guillotine.
Avec une rapidit'e effrayante, le couperet s’'etait pris `a glisser au long des montants. La t^ete de Jean-Marie, sectionn'ee net, roula sur le sol. L’apache n’avait pas eu le temps d’achever les mots myst'erieux qui, peut-^etre, l’auraient sauv'e. Il avait parl'e trop tard. Sa voix s’'etrangla dans sa gorge. Le heurt sourd du couperet tranchant les os, puis, s’arr^etant au long des montants, heurtant une plaque de li`ege, r'esonna seul dans le silence du Hangar Rouge.
Le corps de Jean-Marie, agit'e d’'epouvantables crispations, se tordit alors quelques secondes sur la bascule, puis, rigide, demeura immobile.
— Justice est faite, cria Fant^omas.
Quelques secondes encore, le bandit demeura dans le Hangar Rouge. Il ne d'etacha point le corps de celui qu’il venait de supplicier, mais cependant il s’affairait aupr`es de la guillotine :
— Parbleu, murmura-t-il, et il se remit `a rire, nul ne songera `a v'erifier si la machine marche bien lorsque l’on d'ecouvrira le corps de Jean-Marie. Bourreau, valets et juge d’instruction en auront la preuve sous les yeux. C’est la certitude que l’on ne d'ecouvrira pas le truquage que je fais de la bascule. C’est la certitude que cette guillotine ne fonctionnera pas dans trois jours `a Quimper, qu’OEil-de-Boeuf sera graci'e.
Lorsque, plus tard, Deibler et ses aides p'en'etr`erent dans le Hangar Rouge, 'etonn'es de ne pas avoir vu revenir Jean-Marie, ils furent, d`es l’entr'ee, surpris que la lampe se f^ut 'eteinte.
— 'Ecoutez, commanda M. Deibler `a ses aides.
…Dans le hangar d'esert un tout petit bruit, comme le bruit d’un clapotis discret et silencieux.
C’'etait le sang de Jean-Marie qui, goutte `a goutte, tombait des montants de la Machine Rouge, de la Machine Rouge qui, ce soir-l`a, 'etait plus rouge encore de tout ce sang qu’elle avait bu.